le monde merveilleux de lucien

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CHAPITRE VINT-TROIS

 

23

 

 

Cela sévissait partout, frappant au hasard:

Le riche ou le pauvre, l'enfant ou le vieillard!

Meurent le noble puissant et le vagabond.

Tout être vivant n’est que sursis moribond.

La chair est victime d’un monstre scélérat:

Un mal pernicieux ensemence les rats!

L’homme et sa médecine ont dû capituler;

Même les rebouteux ne savaient postuler.

La peste traînait avec elle un long cortège.

Lors la Dame Faux s’était jointe au sortilège.

La tristesse, les larmes, la peur et la faim:

Font souffrances qui prédisent demain la fin.

La misère, la soif font pavé dans la mare:

Permanente réalité du cauchemar!

L'horreur est partout où l'on part à l'aventure.

Or, pourquoi s’en aller s’il n’est plus de futur?

On fuit le long des routes et puis par les bois.

Mais même les loups en ces endroits sont aux abois.

Dans les villages les enfants sont séparés…

Certains sont orphelins, d'autres sont égarés.

S'il n’est là que du malheur dans des yeux rougis,

C'est que partout ne sont que cierges et bougies

Allumées jusqu’à même dans les cœurs contus

Extrême onction et masques à becs pointus…

De pauvres âmes errantes cherchent un havre,

S’adressant au néant en quittant leur cadavre,

Que l'on chargera vivement sur des charrettes :

Lugubres lits précédés d'un son de clochettes.

Notables ou miséreux sont tous ramassés.

Conduits à la fosse: ils finiront entassés.

Sous la vive chaux et de la terre dessus.

Puisque personne ne sait trouver d’autre issue.

Qu’à se détruire sans nul besoin de Satan!

À faire la guerre... qui durera cent ans!

On pouvait accroire les dieux bons courroucés;

Des frasques des humains se sentant agacés.

L’annonce de fin du monde fut unanime:

Car de coupable l’homme en devint la victime…

Dès lors que celui-là l’en crut à l’origine :

Le Diable l’a soumis à sa loi sauvagine…

 

¤

 

      La nouvelle avait fait l’effet d'un boulet de canon qui aurait eu la taille d'une étoile géante... Mais personne, en apparence, ne savait clairement comment cela se fut vraiment produit… Médényga s’était empêtrée dans des explications qui étaient divergentes de celles de son personnel. Et puis, se ravisant, elle avait avoué à Gabryel qu’une ombre immense était arrivée par le centre de la galaxie alors que la Reine Athéna était absente; expliquant que cela avait d'abord enveloppé Hydro, tandis que presque simultanément, une voix puissante avait assuré que cette noirceur était capable d'avaler la petite planète tout entière… comme l’eut fait un trou noir cosmique, et que la menace serait mise à exécution si la Gardienne, ou quelqu’un d’autre, tentait quoi que ce soit pour la contrer.

 

Et puis, toujours selon elle, une sorte d'avatar avait réussi l'exploit de contourner la barrière que représentait le dôme protecteur. En s’insinuant entre elle et le fond de la mer sous la forme d’une baudroie. Cela avait ensuite évolué autrement pour se présenter à l’image d’un puissant dieu sombre, qui tel un spectre passe-muraille avait su pénétrer à l’intérieur du palais sans que personne s'en aperçoive. Toujours selon Médényga, il l'aurait paralysée... Puis menacé tout le monde de destruction totale et immédiate si l’on n'accédait pas immédiatement à sa demande. Toujours en menaçant , l’être malsain était ensuite allé avec elle jusqu'à la clairière sans ciel. Une fois sur place, l’entité avait alors émis la volonté incontournable d'adopter un enfant dieu qu’il avait sut emporter sans nulle gêne apparente… Personne ne savait dire de cette nuée qui avait su traverser l’exosphère ce en quoi elle était faite. Sinon qu’elle avait migré peu de temps après qu’elle se fut dissipée, perçant cette fois la stratosphère terrestre...

 

Cela s'était produit en l’absence de Gabryel. L’Ange dieu ayant été appelé à rejoindre son père pour traiter d’affaires urgentes. Ainsi, durant près d'une semaine, un immense nuage avait assombri une bonne partie du ciel. De grands géologues ont avancé que cela s'était probablement échappé d’un volcan durant la nuit. Mais on n’avait pas su dire lequel. Et puis, cette « cendre » bizarre s'était finalement installée dans un trou de la couche d’ozone en prenant tant ses aises qu'il en avait été grandement accentué. C'est ainsi que sur plusieurs territoires, l'aurore avait cessé de saluer le recommencement des jours: cela éclipsant à la fois, Lune, soleil, et étoiles par un flot indéfinissable de particules magnétiques qui s'agitaient en tous sens. La poussière allait d'une molécule positive pour s'ajouter à l'autre physiquement négative, et réciproquement. Beaucoup d’humains et d’animaux allaient certainement périr à force de se languir dans le froid cauchemardesque qui s'était installé par endroits, en raison d'immenses et nombreuses perturbations électromagnétiques orageuses qui désorganisaient les pôles. Même la nature se mourait. Et puis, faute peut-être de trouver l'énergie qu'il fallait pour durer longtemps sous cette forme démonstratrice, cela s’est rétracté. Laissant néanmoins s’échapper quelque chose qui avait la taille d’un oiseau géant. Un être comparable à ces charognards du crétacé supérieur qui jadis, avec les premiers grands enracinés, peuplèrent le monde des humains bien avant eux.

Junyather qui savait de quoi il retournait avait dit à Gabryel:

 

– Nous avons affaire à un puissant fils du dieu des ténèbres qui est capable de mutations diverses. Nous choisirons de le combattre sur un terrain où sa force sera moindre que dans le cosmos où il dispose d'autant d’énergie visible et invisible qu'il veut. En l’occurrence, il se peut que ce soit sur la Terre que nous puissions peut-être le vaincre. Tu devras pour ça trouver son « talon d'Achille »! Vas mon fils, mais prends garde à toi et à ta famille, car si rassemblés vous avez la possibilité de le contrer: il restera tout de même plus fort que chacun de vous lorsque vous l’affronterez seul à seul. Je ferai de mon mieux pour t’appuyer. Je suis certainement plus puissant que lui, mais il se trouve que je devrai rester discret. Ceci afin de ne pas réveiller la hargne de son père avec qui j’ai signé la paix, comme l’a voulu mon propre Créateur. Entends bien ceci mon fils: il n’est pas souhaitable de revenir au temps du Grand Chaos…

 

Alors, Gabryel était retourné discrètement chez lui, à Castel Anatha, Via la face cachée de notre lune. Puis il avait mentalement consulté l'esprit du président des Nations unies pour connaître sa version des faits. Mais comme l’étrange phénomène avait disparu, il en avait conclu qu’officiellement cela devait rester dans l’idée d’un dérèglement naturel qui fut passager... n’écartant pas cependant l’hypothèse officieuse d’une possible ineptie faisant partie des choses supranormales qu'il était plus aisé de classer comme paranormales que de chercher à les expliquer...

 

Pourtant, si du plus lointain que la faculté de penser par le langage et l'image leur fut donnée, il se trouve que des hommes ne cessent de se comporter en prédateurs L’Ange-dieu Gabryel n’était pas loin de penser que le pire, se trouvant bien ancré dans leurs mentalités retordes allait encore s'accentuer. Et d’ailleurs les guérillas assassines qui se succédaient annonçaient des guerres sanglantes. Notamment entre de petits états émergents qui souffraient des dérives des grands états qu’ils rendaient responsables de leur intolérable pauvreté.

 

« l’Apocalypse est proche… » titrait un grand journal quotidien...

 

Morganie avait été sortie de sa léthargie. Gabryel l’avait mandée en urgence. Elle l'avait aussitôt informé que l’enfant dieu emporté par l’Entité issue de l’ombre lui était apparu comme un « Jésus » désemparé.

Oh! Ce n’était encore qu’un être fragile, et pas encore "fini"… Mais il avait à son côté une puissance ténébreuse venue des ailleurs du "Ciel". Une engeance démoniaque que nul, pas même Gabryel, ne pouvait contrôler à lui seul. Au début, Morganie avait bien tenté de rejeter les intrusions indirectes de ce qu’elle avait finalement baptisé l’HOMBRE, mais ce dernier savait utiliser comme il faut l'Enfant-dieu qu'il avait enlevé du Berceau d'Ydro. C’est ainsi qu’en s’apparentant au « Malin » l’ex Être-De-Lumière Néphysthéo s’imposait de plus en plus dans son esprit, son nouvel instructeur allant même jusqu’à modifier le portrait dans le manoir… pour la défier.

Henry, le vieux majordome, avait remarqué cela tout à fait par hasard, et il devait comme il se doit d'en informer Athénéïse:

 

– Madame, avait-il dit en lui désignant le grand tableau, je suis inquiet… Il y a un détail nouveau sur cette toile, voyez-vous cet oiseau noir en approche, figurant un gypaète, je suis certain qu'il n'y était pas. De plus, l'image que suggère ce portrait de Morganie a perdu en ambiguïté: elle semble différente d’autrefois, plus banale, comme mortifiée. Il m’apparaît d'autre part que les couleurs s'assombrissent… d'ailleurs, voyez aussi ces décolorations, l’on dirait qu’ainsi le tissage tente d’absorber son sujet…

 

Avant de reconnaître en Morganie sa « pareille », Athénéïse avait longtemps détesté la fresque aquatique. Elle la trouvait trop vivante, et donc inquiétante. Ainsi, depuis le premier jour où elle avait pu voir le portrait de cette personne lui ressemblant autant que l'image que lui renvoyait son miroir, elle avait toujours pensé que l’œuvre était maudite… Et puis elle avait toujours ressenti d’étranges vibrations à chaque fois qu’elle passait devant. Au final, elle s'était persuadée que le visage figé la regardait en vrai…

 

– Regardez bien Madame insistait encore Henry… Là! Cet autre détail… le cœur de cette renouée, il m'inspire un visage peint en estompe, alors qu’autrefois ce détail n’existait pas!

 

De plus en plus troublée, Athénéïse s’était attardée à regarder le détail en question. Cela ressemblait effectivement à un visage, lequel se stigmatisait dans une fleur, qui du reste, lui paraîssait à présent très différente des autres. Il lui semblait que c'était une orchidée d’un genre inconnu, et que cela aussi la regardait intensément... Et puis elle était certaine d’avoir déjà vécu pareille métaphore. Cela s'était produit il y a plus de vingt ans, dans un autre endroit, loin de la Terre... Un lieu paradisiaque… Qu’elle avait visité avec Gabryel... Elle pensait à la planète Hydro!... Et même la voix cassante de Médéniagâ s'imposa soudain dans son esprit… comme autrefois! Pourtant, la poétesse balaya le rapprochement. Elle avait bien d’autres soucis. En l’occurrence, il s’agissait des activités occultes de sa fille. Cette dernière prétendant devoir travailler avec Morganie afin de faire barrage à l'entité calamiteuse…

 

      Au tout début, Habygâ s'était vite imposée comme la plus douée des deux. Elle avait rapidement gravi les échelons qui la hiérarchisaient à son tour à la tête des personnalités supérieurement aptes à œuvrer durablement pour une résurgence du culte d'Athséria.

 

Conséquemment, c’est elle qui menerait à présent l'office en tant que Grande Prêtresse Régisseuse. D’ailleurs cela lui revenait de droit, car c’est elle encore, qui guidée et instruite par Morganie, avait su convaincre et obtenir de nouveaux adeptes humains lors des conférences qu'elle donnait à l'occasion d'événements culturels ayant pour thème le très controversé art visionnaire. Appuyant généreusement son argumentation en se montrant volontiers toute auréolée par son aura qu'elle savait faire plus resplendissante à cette occasion. Apprenant en cela aux incrédules, les valeurs et raisons de cette enveloppe protectrice d’énergie spirituelle dont ils disposent aussi (laquelle peut être révélée par le biais de l’effet Kirlian).

Certes, le pouvoir de faire renaître en plein vingt-et-unième siècle, un sanctuaire datant de l'avant Jésus-Christ, et qui dormait situé au centre de l’Europe, sagement masqué sous une végétation arbustive, développée au point de produire à force de temps et d’humus, un amas duquel ne sortait plus guère que le haut de la colonne envahie par le lierre, tenait déjà de la gageure! Mais en garder le secret intact pour un temps qui est suffisant à former de nouveaux adeptes, acceptant l’éventualité de devoir de tout quitter, afin d'entrer dans une autre dimension, un autre monde… tout comme l’action qui consiste à faire basculer tout un village dans un monde parallèle: relevaient carrément d’un défi mageur! C'est donc au terme d’un laborieux travail d’aménagement invisible, ici même, mais bien là matériellement, dans la forêt, à quelques kilomètres du manoir de Castel Anatha, que la blonde déesse Habygâ officiait aujourd'hui assistée de la brune Morganie.

 

Elles communiquaient entre elles par la pensée, mais par signes avec les autres adeptes. Elles attendaient un geste particulier de l’Observateur Astronome. Ce signal, les informant si les circonstances pleinement favorables, pouvaient permettre d’envisager l’acte sacré d’Alchimie...

Pour obtenir la pleine réussite, bien des facteurs devaient intervenir. Notamment, la position galactique des astres, dont celle de notre soleil... et même l’influence diurne de la lune sur le débit d’eau dans les sources n’était pas à négliger. De surcroît, il fallait compter aussi avec la température de l'air, qui au faîte de l’heure solaire, devait faire résonance parfaite avec le flux des esprits attendus… Ainsi, durant tout le temps qu'avait duré l’obscurcissement du ciel par la malédiction de L'HOMBRE, l'acte sacré d'alchimie s'était avéré absolument impossible. Il avait donc fallu que Junyather lui-même entreprenne de percer l'anathème en le criblant par des rais foudroyants d’ampleur suffisante. C'est donc en usant à son tour de la lumière électromagnétique, couplée à celle tellurique incidente, qu'il avait entrepris de désintégrer une à une les particules faibles, car disséminées, de l'entité Sombre. Celle-ci décidant alors de se rétracter, afin de pouvoir lui résister au point de faire front par une nouvelle concentration de sa force...

 

Autant d’actions que la douce et tendre Athénéïse feignait d'ignorer, afin de calmer ses angoisses de mère… Sauf que celle présente était pourtant en pleine progression. D'autant que ce jour-là les astres étaient en bonne position. Et comme le moment avait été jugé favorable et attendu du fait que Les deux prêtresses étaient prêtes: la « Grande Cérémonie » allait donc avoir lieu…

 

Déjà, l’ensemble des femmes et des enfants qui avaient pu être initiés avait été invité à pénétrer dans le monde paradoxal. L’on s’avançait lentement, le long du ruisseau. Chacun prenant garde à ne pas marcher dans l’eau. L’on progressait prudemment, en file indienne. Jusqu’à former une longue procession. Tous se dirigeaient vers l'amont, sachant exactement où se trouvaient les sources sacrées. Un Observateur Astronome attendait dans un lieu bien précis. Lequel s'atteignant par le sentier d'une colline sacramentelle, située au nord, par rapport au centre du site. Sur un acquiescement de Morganie, Habygâ avait pris sa place au sommet d’un tertre. Celui-là était au sud, directement en face de l'étrange colonne couverte d’inscription, plantée comme un if, à cinquante mètres de là, au beau milieu du sanctuaire...

 

Le signe attendu du grand observateur astronome étant favorable, alors, en contrebas, assis dans les gradins de pierre, les membres confirmés de la confrérie qui faisaient déjà preuve d’une belle intensité de méditation et de fusionnement de pensée la décuplèrent encore. Ils entonnèrent des chants vibratoires. Tandis qu’un alchimiste Athsérian s’activait au bas de la colonne. Il disposait comme il faut les trois creusets réceptacles. Ceux-là étant nécessaires pour organiser la collecte des produits en fusion qui s’attendaient du grand creuset principal.

 

Le cercle d’or vibrait déjà au sommet de la colonne, faisant acte annonciateur... il brillerait bientôt… éclaboussé de lumière blanche, jusqu’à produire l’éblouissement aurique. Tout semblait de bon augure pour accéder à la réussite de la transmutation.

Le regard pers de la grande prêtresse Habygâ semblait capable de percer l'azur jusqu’à pénétrer l’éther. Elle avait les bras levés vers l'éternel, mains ouvertes, paumes tournées vers le ciel, les doigts écartés. Ses pieds nus quittèrent doucement le sol et chacun pu voir son corps monter de plusieurs mètres. Alors, elle mima par des gestes le dessin de la grande spirale: notre univers galactique…

 

Avec ses longs cheveux blonds et sa silhouette divine, on pouvait clairement penser qu’elle apparaissait tel un ange, capable comme elle de s’élever à la verticale, mais sans avoir besoin d'ailes. Habygâ prononçait d'étranges formules… elle s’exprimait dans un langage ancien, à présent oublié des habitants de la Terre. Les choses s'accéléraient. L’on eut dit que même l’atmosphère n’était plus qu'un tourbillon de lumière. Là-bas, les âmes des processionnaires se réjouissaient déjà virtuellement des saveurs d'essences sublimes et du miel, que leurs sens charnels allaient goûter. La procession boirait pour cela un peu de l’eau jaillissante des trois fontaines sacrées. Tout ce qui était transmuable par émotion alentour semblait suspendu. Le temps aussi s'était arrêté. L’air que l’on respirait devint immobile, transcendé qu’il était lui-même, par l’approche d’un grand phénomène d’aboutissement qui allait s’obtenir du Tout Spirituel.

 

Plus bas, faisant face à la colonne, les trente-six Athsérians confirmés se trouvaient à présent debout au-dessus des gradins. Adeptes comme apôtres, ils étaient eux aussi en pleine lévitation, détachés qu’ils se voyaient de plusieurs dizaines de centimètres par rapport au sol.

L’instant sublime approchait. Une jouissance profonde se lisait sur les visages. Plus rien d'humain ne pouvait à présent arrêter la transmutation.

 

C’est à ce moment crucial qu’une lumière fulgurante est apparue soudainement dans le ciel pourtant vierge de tout nuage!

Habygâ en était devenue le centre. Elle resplendissait mieux qu'un astre! L'image sublimée de la Déesse surpassait même celle du soleil en montrant davantage de blancheur. Celui-ci, par vision oblique depuis le sol, se trouvait juste derrière elle qui semblait devoir l’éclipser... de fait, on la voyait cernée par un halo bleuté. La prêtresse ramena ses bras à l'horizontale, puis, gardant toujours ses mains ouvertes paume en l'air elle les rapprocha de façon à les garder écartées d'environs quarante centimètres, tel un réceptacle de chair. C’est alors qu’un flot de particules de lumière s'arrêta à une vingtaine de centimètres de ses paumes, puis, suivant un angle de quatre-vingt-sept degrés, il alla précisément frapper les pierres sacrées que l'on avait déposées dans le réceptacle de porphyre, ceci provoquant leur liquéfaction et permettant, selon leur degré de viscosité, de séparer ce qui pouvait respectivement passer par chacun des trois canaux de fusion correspondants, et enfin aboutir dans les petits creusets judicieusement situés au bas de la colonne.

Quand la coulée fut terminée, l’alchimiste fit basculer un à un les trois creusets logés dans la pierre incrustée de signes cabalistiques. Le précieux liquide fut alors recueilli dans autant de récipients adaptés pour recevoir chacun le produit qui lui est destiné. Cela permettant d'entamer la lente phase de refroidissement sans pour autant se lier à la matière qui les contient. Plus tard, lorsque tout sera obtenu, on pourra distinguer trois entéléchies matérielles, sacrées, et différentes. La première se révélant être un liquide verdâtre et nauséabond qu’il convenait de manipuler avec beaucoup de précautions, car on savait qu’il s’agissait là d’un acide si redoutable, qu’une seule goutte pouvait brûler l'être entier qui s’en trouvait atteint, ne laissant guère à sa place que des cendres glaireuses. La seconde produisait un métal très particulier. L'on savait qu’une fois façonné, aiguisé et effilé, il était capable de percer mortellement, car s’enfonçant sans effort au-delà de la peau et jusqu'au cœur, toute chose monstrueuse qui est touchée par lui. La troisième, quant à elle, se montrait tel un cristal défiant la pesanteur, et se montrait si malléable, qu'on pouvait, à faible chauffe, en faire des objets et des flacons plus transparents qu'une eau pure, et qu'il convenait alors d'emprisonner pour les garder! Car si les objets obtenus s'accommodaient des volontés de leurs propriétaires, ils pouvaient aussi se comporter à la moindre impulsion comme tout ce qui est plus léger que l'air, et donc devenir aussi libres que des bulles de savon...

Tout s’était passé comme il était prévu: la transmutation était réussie. Chacun en sortait pleinement transfiguré. Mais, comme à chaque fois, Habygâ avait sombré dans une étrange léthargie. C’était un sommeil inexplicable. Même par Morganie qui ne l'avait jamais subi de cette manière. Ce pouvait être une sorte de transe semi-comateuse. Son état paraissait d'autant plus intolérable pour ses proches qu'il devenait plus long et inquiétant à chaque fois... Et puis, même si son visage montrait une béatitude sereine, on ne savait pas vraiment si elle se réveillerait, ni quand cela serait… Et c’est de cette issue de plus en plus aléatoire qu’avant tout sa mère avait peur!

 

Ce qui troublait le plus Athénéïse, c’est cet aspect de sa fille, qui loin de paraître tourmentée, faisait au contraire songer à une belle qui, comme en un certain conte aux bois... se serait endormie en attendant la venue du beau chevalier qui la délivrerait. Et puis le visage qu'elle montrait, loin d’être impassible, était très animé. L’on pouvait tour à tour voir sa face exprimer calme ou étonnement, puis s’éclairer d'une sorte d'euphorie, et de nouveau c'était la béatitude...

 

Il faut dire aussi que sa mère ignorait alors qu’Habygâ accédait à des ravissements suprêmes durant ses longs sommeils. Oh, cela était sans rapport avec la chair, bien au contraire, car il s'agissait d'une force de voyance psychique issue de l'omniprésence de l’esprit: une énergie au caractère paradoxal perdurant. Et qui continuait de transcender spirituellement son âme et son corps. Ouvrant ainsi l’accès pour son cerveau à toute la connaissance humaine emmagasinée au fil des siècles. Tout en lui faisant parallèlement ressentir l’extase d’un bien-être paradisiaque, afin d'atténuer la perception incontournable de douleurs mentales dues à l'augmentation du nombre de ses neurones impliqués. La déesse blonde baignait toute entière dans une sorte de nirvana intemporel, qu'elle seule percevait en bien plus fort probablement que tout autre chamanisme d'avant elle. D’ailleurs Habygâ voyageait ainsi dans l'espace dépourvu de temps, sans la moindre difficulté. Vivant en alternance des moments d’activité psychique et des survols physiques. Cela portait son esprit au-delà de tout, et même lui faisait parcourir des néants qui révélaient autre chose que l'image erronée, dispensée à tort par les chercheurs humains... Trop timorés comme d’entendement limité, ces derniers n'avaient jamais pu évidemment approcher comme elle d’aussi près la bienheureuse conception universelle de la lumière. Et puis il y avait d’autres voyages, durant lesquels Habygâ accédait en bonne part à l’autre grande connaissance: celle surnaturelle, inaccessible aux humains ordinaires ne sachant guère utiliser qu'une partie du cerveau que la nature à pourtant mis à leur disposition, et que même, peu des anges dieux du système solaire étaient autorisés à consulter autant qu'elle le pouvait infiniment… car seule une élue du dieu créateur de Junyather, une déesse, qu’il semblerait vouloir faite proche en presque égale à lui, pouvait en atteindre l'essentiel… Comme le fait d’avoir conscience d'un autre très mystérieux « Berceau-Pouponnière d'Enfants dieu »...

 

 



07/04/2020
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