le monde merveilleux de lucien

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CHAPITRE QUATORZE

 

14

 

      Nul n'est spontanément admissible pour être prophète en son pays… Et à force raison, on l'est encore moins dans un village où l'on n'est pas né!

 

Mais Lucien n'était pas redescendu jusqu'en bas du patelin pour faire de la philosophie de comptoir! Il souhaitait simplement parler de sa trouvaille à Gladys, la patronne du bistro. Une amie qu'il savait d'esprit plus ouvert que tous ces paysans terre-à-terre. Ces balourds! Et qui n’acceptaient guère d’admettre autre chose que ce qu’ils croyaient connaître. À tort ou à raison!

 

Et puis Lucien se disait en lui-même que ces gens, toujours prêts à cancaner, risqueraient d'y voir autrement cet attachement amical, mais respectueux, qu'il avait toujours eu pour la jolie femme. Elle-même étant une amie d'enfance de son épouse. Alors il avait préféré tourner les talons et s'en était allé. Il avait remonté une bonne partie de la rue Jean-Baptiste, jusqu’à bifurquer dans une autre, qui le conduisit directement à son vieil atelier d'artisan. Quand il y fut arrivé, il en passa la porte dont les gonds fatigués avaient émis leur plainte habituelle. Et puis, punaisant du papier blanc sur la planche à dessin qu’il avait héritée de son père, il avait entrepris d'y croquer son rêve.

 

Et au fur et à mesure que son dessin se précisait, on pu voir l’image d’une Dame bleue émergeant d’une onde qui se présumait en fondatrice. Mais Lucien ne parvenait pas à en préciser les traits du visage, car ils ne lui venaient pas clairement... Alors il ferma les yeux. Laissant opérer la magie intuitive. Laquelle guida aussitôt l'automatisme du geste « à l’éveugle »…

 

Lucien vivait d'étonnantes sensations. Elles allaient et venaient, parcourant les neurones, jusqu’à la main tenant le bâtonnet de pastel bleu qu’il avait choisi sans réfléchir. Un courant mystérieux agissait sumultanément dans son dos. Faisant se hérisser sa pilosité jusque dans ses cheveux. Ce ne fut que lorsqu’il retrouva la pleine maîtrise de son corps qu’il libéra son regard en ouvrant les paupières.

 

Et ce qu’il vit le surprit:

 

– Ce visage... Mais c'est!

 

En fait, ce que la main de Lucien avait tracé sur le papier, pour lui permettre d’identifier la silhouette féminine, montrait des traits qui lui faisaient voir, alterativement le visage de son épouse et celui de Gladys! Un peu comme le fondu enchaîné variable d'un court message hologramme itératif! La transition qui s'obtenait ne permettait en aucun cas l’effacement de l’une ou l’autre image. Un peu comme si elles se disputaient le même plan. La même dimension photogénique. Avec des gènes communs. À ceci près, que la tenue vestimentaire reproduite par le dessin de Lucien était de celles que les femmes portaient dans un autre siècle que le sien...

 

Bon sang! pensa le poète, il faut que je montre çà à Colette...

Plus tard, c'est ce qui fut dit entre eux qui déclencha le reste. Décrochant le téléphone, ils prirent ensemble rendez-vous auprès de Gladys. Et le soir même ils se trouvaient devant elle à l'écouter, et si Lucien ignorait le nom et le site où avait œuvré Morganie, il n'en percevait pas moins ce soir-là l'essence, puisque d’une certaine manière, il avait dessiné un personnage qui lui était inconnu tout en s'y trouvant associé par la couleur...

 

– Colette, tu sais que suite au décès de ma tante adoptive, le notaire m'apprit que j'avais eu un aïeul puisatier prénommé Georges...

– Heu… Il me semble... en effet Gladys. Mais si tu veux bien préciser…

– J’ai fait des recherches sur cette possible affiliation, et cela a abouti à la conclusion suivante: il s'agirait d'un parent que nous aurions en commun!

– Tu veux dire, ma chère Gladys que nous aurions un lien de parenté?

– C'est exactement ça lui répondit son amie en se saisissant d’un document... Regarde bien le dessin de cet arbre généalogique que j’ai entrepris: l'on s'aperçoit que la mère de ma grand-tante Aglaé, qui était aussi la mère de ta grand-mère, aurait connu semble-t-il un lien de parenté avec la sœur de la marraine qu’eut le fils unique du puisatier… Il s’est fait que j'ai même retrouvé un portrait de cette étrange personne. Il est probablement authentique, car dessiné au crayon bleu et signé par ledit puisatier que j’ai, du reste, authentifié d’après une photographie de groupe immortalisant le mariage du fils. Vois! Cette dame surprenante, qui n'y était pas invitée… elle y figure pourtant par un étrange hasard… L'image a été reconnue non truquée par un expert. Il atteste que la superposition pourrait être liée à l'effet Kirlian. Quelque chose d'inexplicable aurait donc eu lieu lors du développement du cliché…

 

Suite à ce monologue, dont les fils, à peine démêlés, paraissaient dignes de faire partie d’un inextricable écheveau de liens ancestraux, le poète et son épouse restèrent tout de même à la fois intéressés et septiques. Alors, joignant paroles et gestuelle, Gladys ouvrit cette fois le tiroir d’un secrétaire en ronce de noyer. L'instant d'après, elle en sortait triomphalement une feuille de vélin jaunie par le temps, qu'elle disposa à plat sur la table...

 

– Mais c'est!...

Lucien et Colette avaient émis ensemble la même exclamation ...

– L'on a vraiment l’impression de regarder un assemblage correspondant aux traits de vos deux visages, précisa le poète qui finalement n’en était pas si surpris, puisque l'ayant déjà vu... Et pour cause!

– C'est exact renchérit Gladys. Mais ce pourrait aussi bien être l'épouse de Georges. Dont certains à l'époque disaient que parfois ils la voyaient roder seule les nuits de pleine lune, tout habillée de bleu, près du lac... Et aussi... plus tard... au bord du fleuve: quand elle fut veuve!

– Et vous partagez Colette et toi les traits de son visage, précisa Lucien.

 

Gladys reconnut que les yeux pers, si pénétrants de l’aïeule, étaient vraiment similaires aux siens. Mais ce port altier, ce corps parfait, qui se devinait sous les vêtements d'époque: c'était bien Colette!

 

– Je comprends, précisa cette fois Gladys, pourquoi nous nous sommes liées d'amitié depuis le premier jour que nous allions ensemble à l’école... Nous avons probablement en nous des gènes communs! Et ainsi, malgré notre aspect physique qui est différent, cela à pu produire cette affinité qui nous semble familiale, cette communion d'âme, qui s’est faite entre nous…

À peine l’amie de Colette avait-elle terminé de méditer sa propre phrase, que Lucien, bien décidé à ajouter sa touche de surprise personnelle, se mit en devoir d'ouvrir le porte-dessin qu’il avait amené. L'instant d'après, il exhibait fièrement la copie conforme de ladite Dame-Bleue qui fut l'épouse dudit puisatier Georges…

 

*

 

 

 

Nota: Si certaines représentations, ne montrent que des ressemblances graphiques sans âme, quelques-unes sont des images métaphoriques autrement poétiques. D'autres encore sont perceptibles, mais invisibles...

Le système visuel des humains ne peut tout voir. Mais leur cerveau, s'il est initié, peut apprendre à réaliser mentalement la vision d'une pensée qui, relativement, n'est rien d'autre que la copie conforme d’une chose non absolue. Laquelle ne s'interprète habituellement qu'électriquement.

Pourtant, l'endroit qui vous sera présenté dans un prochain chapitre, bien qu’il sera spirituellement remis à jour par Morganie, échappe encore visuellement au poète Lucien qui par antithèse, n’est manifestement pas (ou pas encore) habilité comme Dame Athénéïse à visiter l’autre dimension... À moins qu'il ne s'en souvienne plus?

 

 

 



13/03/2020
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