le monde merveilleux de lucien

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CHAPITRE VINGT-SIX

 

26

 

 

       L’Hombre se trouvait à présent debout devant son «Fils». Il avait repris la belle apparence d'un puissant dieu humanoïde… L’avatar géant ayant d'abord rapetissé puis déposé sa proie. Ce n’était plus qu’une pauvre loque vivante mais horrifiée, et déjà exsangue, pour avoir été portée par des griffes acérées aussi coupantes que des cimeterres. Cela ayant sérieusement entamé la chair de l’homme qui ne ressemblait guère mieux qu'à un paquet sanguinolent, négligemment offert à un jeune dieu de bonté qu’on apprenait à devenir mauvais...

Quand tout de même il leva à demi ses paupières boursouflées, l'homme les referma aussitôt sur l'image d'un être mi-ange, mi- démon. Il était maintenant persuadé qu'il allait mourir… Pourtant, le coup fatal tardait à venir, alors, dans un dernier souffle, il pria son bourreau d’en finir…

 

– Et pourquoi donc voudriez-vous mourir, le questionna soudain Néphysthéo.

– C’est que, voyez-vous, répondit l'homme, j’ai failli en toutes choses durant ma vie… Je ne suis rien, pas même un poète raté; et puis je ne fus de presque toute ma pauvre existence qu’un être dépourvu du moindre talent... Je n’ai jamais connu de vrais réconforts, sinon que ceux d'une épouse trop vite éteinte. Depuis qu'elle n'est plus, tout autour de moi se dérobe. Et puis de toute manière, je n'aurais pas dût vivre, puisque déjà ma mère avait tenté de me détruire dans son ventre. J’ai été l'enfant non désiré d’un amour de chair. Cette femme ne souhaitait pas me voir naître. Maudissant mon embryon, la catin m'abandonna aux soins de sa belle-sœur. Ne songeant qu’à fuir un monde mis à feu et à sang qui de toute manière était rongé de partout par l’hystérie politique et guerrière. Tous les grands états d'alors avaient sombré dans la démence d'un immense cauchemar. À l’instant où je pris difficilement vie, dans la pauvre clarté d'une maigre flamme sautillante à la mèche vite étouffée, j’étais déjà maudit! Car au même moment ma marraine périssait: le cou tranché par l’éclat d’un obus meurtrier. L’objet meurtrier ayant quitté sans le moindre discernement le concept assassin d'un autre ventre, celui d'un corps fait de métal, un avion, dont les ailes kaki s'ornaient pourtant d'étoiles blanches. Une machine de guerre, soi-disant alliée, qui était censée nous aider à vivre encore un peu… elle et moi...

J'ai parcouru le terrain qui a vu ma jeunesse comme on marche péniblement, dans un sentier bourbeux et sinueux, et dont les ornières invitent à tomber plus mal que bien. Après quitté mon berceau délaissé par la chance, j’ai subi ma vie enfantine épinglé par le mépris de cette mère indigne, autant que brutalisé par les excès de rage, au demeurant légitime, d'un père trompé alors qu’il était« requis du STO » revenu d’Allemagne Nazie encore plus égoïste et malsain qu'avant... En ces temps où ruisselait le sang des partisans, la mélancolie et la vue des porteurs d’uniformes rongeaient tout mon être. Me conduisant à une récurrente envie d’isolement. Sentiment de l’ombre angoissante, et qui ne m'a jamais lâché d'un pas. De toute ma chienne de vie… pour le timide enfant que j’étais devenu, à force d’entendre des brimades, et d'être l'objet de violences: ce fut une longue épreuve que je ne voudrais revivre en aucun autre karma! Et de toute manière, il s'est fait qu'en raison de cette timidité presque maladive, j'ai aussi raté mon adolescence, et que même mon entrée dans le monde des adultes s'en est ressentie! Si je suis aigri, c’est donc aussi que ma vie d'homme fut précarisée. Alors, puisque mes SOS versifiés n'ont jamais abouti, il se trouve que je ne sais plus maintenant contenir mes accès de rage… qui du reste ressemblent trop bien à ce que j'avais subi de mon père, tant physiquement que psychologiquement. À présent que je suis veuf, un souffle destructeur a ranimé des braises éternelles quelque part dans mon cerveau. La rancœur s’est installée dans ma conscience profonde. Elle complote avec d'autres tourments bouillonnants dans des magmas de réalités révoltantes. Mon cœur est devenu plus dur et froid qu’une pierre tombale. S’il reste disposé à se fendre, c’est à présent qu'il est fragile du comportement mégalomane cryogène que montrent la plupart des gens en qui j'ai, maladroit que je suis, placé ma confiance et offert une franchise qui s'exacerbe d’être trop souvent utilisée par de faux amis en qui, pauvre jocrisse, j'offrais par humanité d'âme, ma sincérité. Je suis à présent déstabilisé par mes incompatibilités d'humeur, et Je m'emporte à entendre les fades mièvreries plébiscitées sans autres raisons, que celles bassement politiciennes ou commerciales, destinées à produire des endoctrinements propagandistes qui servent à point nommé, des minorités anarchisantes. À constater autour de moi l'adoption d'un style de vie mécanique, prônant l’obnubilation et l’idiopathie d'un monde à l’avenir cadenassé, il me semble que l'humanité a décidé sans moi de reculer dans une mouvance cadencée. À les voir comme en troupeau, on dirait des moutons de Panurge! Ces fous s'en vont tout droit vers l'abîme qu’ils ont creusé eux-mêmes! Alors je préfère mourir plutôt que nourrir le même dessin. Cette société dont je suis, me semble aujourd'hui en état critique de méconnaissance… tout autant qu’approbatrice de fausses vérités qui ne servent que ceux qui les ont inventées pour satisfaire, au-delà du raisonnable, leur enrichissement sonnant et trébuchant. Les plus nantis d’entre eux nous cachent certainement d'autres fins personnelles souvent inavouables! Ainsi, je vous le dis: je veux mourir, et sans autre forme de karma ni procès!…

 

À l’habitude, Néphysthéo aurait depuis longtemps mis fin à ce pitoyable discours; pourtant, convenant en lui-même que finalement il se sentait trop souvent seul, il se dit qu’après tout cette âme en peine qu’il s’apprêtait à s’accaparer, pouvait n'être coupable comme autrefois Socrate, que d'avoir voulu offrir à d'autres humains de l’amour désintéressé. D’autant que cette âme esseulée, faute peut-être de n'avoir trouvé le chemin de la reconnaissance platonique en temps voulu, lui paraissait si déterminée à boire la ciguë pour en terminer une fois pour toutes, avec une pauvre enveloppe charnelle qui avait fini par l’entraîner dans le jeu noir d’une haine auto assassine, donnait à penser qu’elle pourrait lui être plus utile en restant dans le corps de ce Lucien que réabsorbée par le sien…

 

D'ailleurs, L’Hombre qui lisait clairement dans ses pensées le comprit aussi. Admettant que pour dominer toute l'humanité, il lui faudrait bientôt lever une troupe armée et nommer des chefs connaissant leurs pareils. Alors il se dit que celui-ci justement, pourrait faire l'affaire une fois qu'il serait «reformaté». Ne serait-ce que pour un temps! Et qui sait, il saurait peut-être même se montrer apte à servir intelligemment son fils… Mais un dieu Sombre tel que lui ne saurait se contenter de guerriers à la psychologie ordinaire! Il lui fallait aussi trouver des monstres de méchanceté à l'esprit docile, tous munis de corps robustes, et donc, avant de songer d’en faire un fou efficace, il lui conviendrait de changer radicalement celui-là par le biais une éducation très particulière...

 

– Homme de peu! Avait soudain rugi l’Hombre: si tu le veux, je ferai de toi quelqu’un!... À la condition que tu sois initié pour devenir celui-là qui peut-être conviendra pour complice...

– Bah, faites de moi ce que bon vous semblera, car de toute façon je suis presque mort... Je doute que vous fissiez une affaire de ce que je vaux... Et ce serait avec l’espoir d’y perdre la vie très vite.

– J’ai dit! Trancha le dieu sombre… et puis, sans se soucier de l'état de loque humaine du poète, il enjoignait à Lucien de le suivre dans le ventre de la terre.

 

*

 

      Durant cela, à la manière d'un Jonas avalé, Habygâ progressait toujours à l'intérieur du boyau vert que lui ouvraient les esprits de la forêt: à savoir, une sorte de tunnel de végétation vivante qui laissait à peine filtrer la blanche lumière de l'astre-corps d'Anatha. Pourtant, comme à chaque fois qu'elle empruntait l'étrange passage des druides, la blonde déesse ne pouvait réprimer quelque appréhension. Elle savait trop bien que ce qui commandait le charme animé de cet endroit aux pouvoirs ésotériques, pouvait être rompu à l’instant. Notamment par l'action contraire de quelque puissant démon qui déciderait subitement de l'encager facilement! Puisque cela se refermait inexorablement derrière elle, aussitôt passée, il suffisait donc de faire cesser l'ouverture par devant pour l’emprisonner de manière inextricable, dans un entrelacs vannier de lianes vivantes, qui serait facile à consolider par le barbelé de quelques puissants ronciers... Mais elle-même, bien plus que ces autres-là, disposait d’une force que lui procurait le caractère mystique d'une influence supérieure redoutable. Et la forêt le savait! Alors, si les esprits des grands arbres Faye ne faisaient que s'amouracher d'elle, la respectant en premier pour sa beauté, la végétation en revanche la considérait comme sa Reine! Ainsi l'ensemble s’acceptait autant pour Morganie qu'Athénéïse jugées pareilles! C'est donc à la presque unanimité que faune et flore se faisaient leurs Alliés. Et cela suffisait à rassurer la déesse… Pourtant, et bien que ce ne fut pas la première fois qu'elle venait ici, plus Habygâ avançait aussi troublante que troublée dans le cheminement faussement interminable, et d'avantage il lui semblait pénétrer l’esprit insondable de cet univers insolite que constituait l'ensemble indissociable de ses chers êtres végétaux. Lesquels à leur manière se montraient bien vivants, puisque multicellulaires!

 

La blonde déesse se savait née ici même, et c'est en joyeuse amante d'eux qu'elle se plaisait de nuit, comme de jour, à pénétrer dans le cœur de cette forêt avenante. Autant que sa mère Athénéïse, elle avait su très vite s’intégrer à son osmose unique. Elle en percevait profondément l'influence. Cela s'accordait harmonieusement en elle et en son âme: belle alliance infinie de leurs esprits complices, étroitement mêlés à ceux du Petit Peuple invisible.

 

*

 

– Lève-toi et marche! Avait confirmé la voix dans l’esprit de Lucien.

 

Alors il avait lamentablement titubé tel un bambin esquissant ses premiers pas. Et puis il avait vu ses plaies se suturer comme par magie; en même temps qu’il récupérait peu à peu, mais lentement, son énergie vitale. Il en avait grand besoin pour tenter d'avancer dans les pas du dieu Sombre. Et bien que celui-là avait soudain disparu quelques minutes après, à la faveur d'un crochet que fit le souterrain, le poète, rendu perplexe, avait cependant décidé de poursuivre cette idée de fuite en avant... dans le ventre de la terre… Le chemin était pourtant assimilable à celui d'un calvaire. Le malheureux homme avançait en traînant la jambe. Et il trébuchait souvent contre des pierres saillantes.

Et puis l''étroit boyau qui serpentait en s’enfonçant dans la roche rougeâtre avait cette fois bifurqué sur la gauche. Mais, loin d’être sec, le sol de plus en plus glissant restait constellé d'embûches. La moiteur de l’air ambiant devenait insupportablement chaude. Pourtant, au lieu de sentir la fatigue et la douleur s'accroître, il semblait à Lucien qu'il acquerrait des forces nouvelles! D’ailleurs, son teint était de moins en moins pâle... Il lui semblait cependant que dans sa tête mijotait la lave d'un volcan actif. Que son corps, tout entier, allait certainement se vomir lui-même. Jusqu’à s’inverser comme on retourne par l'intérieur, l'un de ces nombreux sacs plastiques d'emballage jetés sur les plages, et qui polluent de plus en plus les océans où ils sombrent, allant jusqu’à rejoindre des fonds généreusement mazoutés par les catastrophes industrielles et les dégazages volontaires, commandés par des capitaines de tankers qui le font par économie, presque impunément! Sans se soucier des conséquences! Sans le moindre civisme!... Puisque de toute façon, procéder ainsi ne coûtait guère qu'aux autres...

Lucien s'était autrefois ouvert à dénoncer cela, en pure perte. Mais à quoi bon s'en soucier encore, puisque maintenant, il se trouvait carrément dans le ventre-pourri de la planète!... Et de toute façon, il ne savait même plus ce qu’il faisait là! Sinon qu’il allait se jeter bientôt dans la lave en fusion de son propre volcan d’amertume.

 

¤

 

      Habygâ était enfin parvenue au bout de son tunnel naturel. Alors, et comme pour la récompenser de son effort: devant la blonde Dame de la Forêt s'étendait à présent, joyeuse et généreuse, une superbe clairière au-dessus de laquelle, le Royaume de ses parents faisait chanter ses orgues muettes pour agrémenter le jeu subtil de sa lumière argentée.

Habygâ put enfin se redresser. Elle en fit profit pour détendre son corps et ses membres. Puis elle s’avança d’une centaine de pas, toujours gracieux, dans la clarté hospitalière, jusqu'à pouvoir aboutir au centre de la clairière où elle savait trouver la maison de Morganie une fois que serait franchie la porte invisible de la Lumière-des- Justes…

Comme à l'accoutumée, elle était certaine que sa grand-tante serait heureuse de la recevoir. Bien que natives d’époques différentes, les deux femmes se reconnaissaient une intime complicité de sœurs jumelles: l'une blonde et l'autre brune, mais parfaitement semblables physiquement. Et puis c’est elle, Morganie, qui aidée d'une fée blanche revenue des ailleurs, avait assisté Athénéïse lors de la naissance de la déesse Habygâ. Elle l’avait aussi initiée aux rites de la forêt.

 

– Bien à toi Habygâ!

– Bien à vous ma tante: me voici prête à entendre la suite de votre message télépathique! J’imagine que cela doit être fort d’importance et de discrétion pour m'avoir fait venir jusqu'ici…

– En effet: je t’ai mandée ce soir pour te parler du grand péril… D'ailleurs, tu dois le savoir, il s'agit là d'une entité monstrueuse!… l’HOMBRE! Une calamité qui se présume vomie du grand trou noir situé au centre de notre galaxie… Il se dit même, que c'est parce que la chose fut tant indigeste que la béance l'aurait recrachée!... Ne sachant qu'en faire… Laissant à Junyather la charge d'en juger lui-même et d'agir en conséquence...

– Je sais en effet cela ma tante…

– Il est aussi, que je doive te prévenir qu’un presque égal à ton père, un enfant dieu de lumière de haute lignée, aurait été enlevé par l’HOMBRE qui souhaite en faire son propre fils… Comme si procréé par lui, il le soumet à la métapsychologie qui lui sied de lui inculquer au mieux de son désir, qui du reste, est d'en faire un dieu démoniaque comme lui.

– je n’ignore rien de tout cela ma tante. J’ai même appris dans mes voyages, que non seulement cet être de lumière détourné de sa véritable mission sera pour un temps mon ennemi, mais qu’il n'agira pas seul pour cela, car présentement, L'Hombre a entrepris d’utiliser les sentiments gangrenés d'un honnête poète! Celui-là se donnait sans doute avec tant d’humanité qu'il en a sombré dans l'amertume, à force de vouloir convaincre sans résultat des gens égoïstes et dédaigneux, des humains, faibles comme lui, qui le présumaient à raison comme une affaire perdue d'avance. Le pauvre s’imaginant, sinon de refaire le monde, pouvoir en convaincre quelques-uns de sa bonne foi! Mais qui aurait failli, de guerre lasse, comme beaucoup de ces jeunes gens novateurs, lorsqu'ils se trouvent face à l'égocentrisme imbu des légions hypocrites de leurs faux amis: ces friands amateurs, qui s’empiffrent de la propagande colportée par les médias menteurs, et s'abreuvent de faire-valoir. Sans oublier bien entendu les voyeurs de misères qui en tirent profit, de par l'étalage qu'ils en font, alors qu'ils s’en préservent eux-mêmes. S'enrichissant honteusement, et s'aveuglant volontairement pour ne jamais l'admettre! Et même se croyant parfois bons, en distribuant quelques « miettes »… comme on donne des cacahuètes à des singes parqués…

– Holà ma belle: d’où te vient cette fureur que je ne te connaissais pas, l’interrompt soudain Morganie.

– Ma tante, n’est-ce pas de l’étalage humain d’un certain voyeurisme audiovisuel, que des choses de nature plus belle d'espérance, sont délibérément occultées pour mieux s'en libérer?

– C’est évident… mais le fait n’est pas nouveau! Et pour avoir vu de près s’empiffrer de sang des gens de guerre, je peux t'affirmer que beaucoup sont marchands d’armes et faiseurs d’atrocités. Mais cela a toujours existé d'aussi loin qu'il m'en souvienne.

– J’en conviens ma tante, mais est-ce une raison pour paginer des magazines qui sont essentiellement destinés à faire se développer l’idiopathie, et ce, jusqu’à en rendre certains honteusement incultes ?

– Le fait de participer ainsi à tromper pour obtenir mieux et bien plus encore, si c'est possible, se faire davantage de richesses prometteuses de pouvoir et de gloire usurpée n’est pas un scoop!

– C'est donc à force d'avoir été systématiquement ignoré car faisant le contraire de ceux-là, que Lucien a sombré du côté noir de l’amour: celui de la Haine. Aboutissant à vivre une haine féroce, qui est de celles qui finissent par détruire les cœurs naïfs, les âmes simples, et toutes leurs bonnes intentions…

– Je peux comprendre cet homme, ayant moi-même connue et suivie autrefois la voie qui mène à cette haine viscérale qui taraude les ventres affamés de justice sociale. Elle est sans issue humaine. Elle prouve par elle-même que la colère d'un juste, lorsqu'il est trop souvent bafoué, est un trouble puissant qui est généré par de l'incompris… Cette ire là devenant de mois en mois, puis d'année en années, plus incommensurable. Cela aboutissant à produire un enfer pour l'esprit qui devient mauvais, pour avoir été trop profondément déçu.

– Oui ma tante: je vois aussi que de plus en plus d'hommes et de femmes généreuses, mais forcément fragiles, qui comme lui sombrent ainsi… et c’est notamment à ma mère et à mon père qu’il appartient de les aider tant que faire se peut, puisque même le bon côté de certaines pensées, semble aussi en devenir de se perdre dans les aléas du mauvais choix.

– C'est une évidence Habygâ, et tu as raison de le souligner: le monde des humains semble promis au naufrage. Il devient un navire qui serait en passe d'être noyé par une tourmente capable de nous submerger aussi. À force de déséquilibre, il me semble que leur Terre ne sera bientôt rien d'autre pour les dieux qu'un point qui s’interroge sans trouver de réponse, et qui tel un cadavre cosmique échoué, prendra bientôt, perdu dans la mer galactique, une gîte si fatale que l’histoire de la Dame bleue que je fus se perdra avec, à jamais inutile, dans le froid glacial de l'oubli et du vide cosmique…

– Je te crois ma tante! Car toutes deux nous en avons connaissance. Et le temps, plus que jamais, est donc venu pour nous d’intervenir… ou de périr avec eux.

– Il faut bien admettre aussi que nous aurons à faire renaître et développer certaines des pratiques ésotériques positives, que les Celtes-frères nés de ceux du plateau d’Artz au pays des Germains, avaient transmises par d'autres aux Gaules, qui eux-mêmes, les avaient enseignées à leurs descendants… oublieux d'un temps certes moins confortable, mais plus généreux par nature que le nôtre.

– Ma tante, notre mission est essentielle. Nous devrons à présent non seulement intensifier la célébration du culte d'Athséria par tout le continent, mais aussi le propager au monde entier...

– Je pense comme toi, chère Habygâ que cela peut s'avérer utile, étant donné la puissance que tu peux apporter. Mais comment comptes-tu obtenir le nombre nécessaire de cérémonies, et donc d'adeptes, si elles ne sont pas montrées partout aux yeux des humains pour susciter leur intérêt?

– J'ai pu constater au cours de mes « voyages », dans le monde, et plus précisément au sein des pays membres de la communauté européenne, qu'il subsiste d’autres lieux de culte qu'il faut révéler. Cela devrait être aisé. Les quatre migrations basiques des pacifistes humains ont su faire naître çà et là de sages prophètes. Leurs doctrines se sont commuées religieusement, et même philosophiquement, avant de se propager par les quatre principaux chemins pieux de la Terre.

– Oui, admit Morganie: certains philosophes parlent de « croisée des chemins ». D'autres: des poètes savent qu'il y eut aussi en l’un d’eux un certain « Jésus de Judée ». Un fils sacré dit « de Nazareth », dont les disciples bâtirent l’église qui me condamna… Et à laquelle je pardonne aujourd'hui l'offense de ses quelques serviteurs d’alors mal inspirés… autant que le disent leurs prêtres, car ils ne savaient pas, en ce temps où sévissait l'inquisition, que mon œuvre comme la leur était celle de l'Amour du « Ciel ». Et puis, il faut bien admettre que des incertitudes ont fini par s'éclairer à la faveur de quelques certitudes nouvelles, substitutives en bonne foi à celles qui ont été fondées sur trop de traductions et conduisant à des phrases erronées, créant des métaphores différentes… soumises parfois aussi par des chefs d'église enclins à servir des politiques parfois dépendantes de visions devenues incertaines…

– Ma tante, je sais tout cela aussi… J’ai voyagé au temps des crucifixions, et je sais que le culte juif des Pâques s'attendant, que cela avait paradoxalement contribué pour sauver ce Jésus de la mort cérébrale par précipitation. Il y eut aussi machination politique. Aussi des soldats qui le voyant en état de comas et s'en méprenant, leur chef abrégea alors le temps du supplice en le blessant d’un coup de lance touchant non pas le cœur, mais la plèvre du condamné… soudoyé qu'il était pour faire croire qu’il l’achevait, et autorisant de fait la descente prématurée de la croix... J'ai revu cet homme disciple de Jean-le-Baptiste dans son temps d’après. Il était comme nous doté d’une grande force d’aura. Il connaissait les médecines du corps et de l'esprit. Cette fois où je l'ai suivi, c’était en Inde. Il parlait toujours en phrases paraboles d’un père spirituel. Il l'affirmait fait tout d’amour et de lumière. Il refusait alors d’être un messie. Admettant que finalement, s’il avait été mis en croix sur ordre d'un certain Pilate, plus soucieux de voir régner l'ordre diplomatique que de voir mourir un homme au comportement exemplaire de droiture et de courage, qui ne gênait guère de politique que celle de certains prêtres trop sûrs d'eux. Et puis, si le culte de Jésus put renaître ailleurs, mais de diverses manières, c’est qu’après qu'on l'eut libéré de son caveau puis dûment soigné, la légende aidant, son mythe favorisa la diffusion de doctrines apparentées par toute la terre… Et voici justement ce que Lucien écrivit à propos de cela…

 

Comme un aigle cloué,

Ailes grandes ouvertes.

Ils l’ont planté sur le sable…

Il a mal à son âme, et déchiré,

Son corps s’épuise à étouffer.

Il regarde le monde en face à face.

Sous ciel sombre qui sombre en l’espace.

L’enfer qui détruit la Raison,

Crucifie aussi la Maison…

Si tu juges haut: le silence

Percera ton cœur d’une lance…

«Laisse tout et suis-moi»

Plus seul ne serai sur ma croix…

L’acacia couronnera ton front;

Comme roi qui barre l’horizon!

*

– Habygâ, je connais aussi ces vers écrits par ce poète fragile dont le cœur vif fut écorché. Mais je doute qu’ils servent la "raison" qu'ils visent, et puis tu dois connaître ces autres vers, qu’il écrivit encore avant de basculer du côté de l’Hombre:

 

Les siècles n’ont rien effacé.

Si ce n’est: bien des vérités.

Il faut y croire pour exulter!

Notre monde est différences,

Désamours incohérences,

Disputes et indifférences...

«Aimez-vous les uns les autres»

Vous êtes bons apôtres…

Mais la luxure se vautre!

Pour des bonheurs artificiels:

Naissent des amours logiciels;

Mais qu'en est-il de "nôtre" Ciel ?

*

 

– Qu'en penses-tu Morganie? Un poète qui écrit ainsi ne saurait sombrer complètement du côté noir de l'existence. D’ailleurs, ma mère a croisé ce Lucien à un moment de sa jeune vie humaine… Cet homme semblait très sincère m'a-t-elle confié, peut-être même à en paraître crédule, et de surcroît fort romantique... Non, assurément, cela me serait trop pénible d'avoir à le combattre.

– Chaque vie se détermine par la totalité des actes accomplis dans les vies antérieures. C'est le karma qui fait des gens ce qu’il faut en faire et non l’inverse… Le destin de Lucien est difficile. Il a pavé lui-même de ses désillusions le chemin qu’il a pensé choisir librement. Pourtant il n'en est rien, car sa page était déjà écrite avant sa naissance. Elle montrait une destinée certes particulière, mais la voie qu'il emprunte est parsemée d'ornières et entravée de ronces. Alors, à force de trop de charges et de trop souvent tomber sous l’orage, comme le plus brave des chevaux blancs, il est à craindre qu'il finira foudroyé dans la boue qui le salit ignominieusement. Mais là n’est pas la prime raison qui m’a fait vouloir te rencontrer cette nuit… Tu sais chère filleule, que je suis redevable de ma vie à ton père. Je suis considérable aussi en servante de Junyather. Dépêchée protectrice de ta mère et de toi. Tu n'ignores pas non plus que l'on m’a procuré des pouvoirs surnaturels. Si ma conscience me suggère de les mettre à ton service, c’est donc que nous devrons unir nos forces pour espérer vaincre l’Hombre et son fils Néphysthéo.

– Soit ma tante, mais que proposerais-tu pour arme de dissuasion?

– L'alchimie d'Athséria... Comme l'âme qu'elle nourrit, elle s’apparente aussi de façon caractéristique au « Moi » profond de chacun. Ainsi, la pensée de l'humain, de même que les choix qui le portent à admettre une religion ou d’autres croyances, sont souvent liés à la vie pré adolescente. Avant de se confirmer, ou de se modifier au cours de celle adulte. Et puis il ne faut exclure en rien les philosophies qui l'accompagnent et le guident. Alors, quand ce même humain apprendra par nous que les six éléments constituants de sa personnalité sont percevables chez les alchimistes de la confrérie d'Athséria, notamment par la vision des six couleurs: le bleu pour l’âme, jaune pour les religions et les croyances, l'orange pour la vie maternelle, le violet pour celle matérielle, le vert pour la philosophie, le rouge pour l’esprit… et que de surcroît, ces couleurs sont visibles dans l’aura qui émane plus ou moins forte de chacune et chacun, cela renseignant évidement sur l’état physique et la force de transcendance de la personne . Il va s’en dire aussi que plus l’aura sera perçue lumineuse, et plus la personne est potentiellement active, car à la fois réceptive et émissive. Il faut savoir aussi que l’équilibre des couleurs n’est parfait que si l’aura est blanche et aussi que...

– Dis-moi Morganie, de quelle couleur est mon Aura?

– Je m’attendais bien vois-tu à cela qui m'interrompt, mais je n’y répondrai pas.

– La tienne, ma tante, est indéfinissable, tant elle est de couleur changeante.

– C’est que vois-tu, je sers d’intermédiaire et que de par cela, je suis davantage mon Surmoi que mon Moi. Et puis, malgré mon pardon obtenu, il se trouve que je dois continuer de combattre cette même haine qui m'a longtemps hanté, car elle habite encore, malgré tout, une partie de mon esprit qui fut choqué de ce jour, pourtant lointain, où des hommes ont voulu me brûler... Situation de parasitisme… et qui peut-être analogue à celle que connaît maintenant Lucien...

– C'est étrange Morganie, nous nous ressemblons physiquement et ma mère aussi nous ressemble comme si nous étions toute-trois de parfaits sosies! Nous sommes comparables à des clones qui auraient, du moins en apparence, le même âge! Sinon que tes cheveux sont noirs, les miens blonds, et ceux de ma mère couleur de feu. Alors j'ai le sentiment que chacune d'entre nous pourrait représenter l'autre... Et donc, si cela est comme je le pense, nous devrions dans ce cas nous garder comme étant chacune ce qu'est l'autre aussi. Sinon la blessure que supportera l'une sera ressentie par l'autre, et je n'ose penser à ce qui se produirait si l'une de nous venait à périr...

La déesse Habygâ ignorait en prononçant ces mots graves, qu'elle montrait carrément du doigt le prédéterminisme qui les reliait, et d'ailleurs, la Fée-déesse Morganie, qui n'était pas loin de penser de la sorte, avait acquiescé d'un hochement de tête révélateur qu'elle ne put réprimer à temps. Mais Junyather lui avait confié une mission d'importance, et qui devait passer avant toute autre considération. Aussi préféra-t-elle ne pas relever l'allusion. Elle la balaya comme on chasse un insecte ennuyeux d'un geste de la main:

– Habygâ... le sujet de notre conversation s’étiole, alors à présent entends-moi sans plus m'interrompre: je suis vraiment redevable et servante de ton père. Donc, même si nous supposions que nos Karmas résultent de la division d'un seul, je ne saurais être toi, puisque je ne puis m’adresser à ton père directement pour une requête sans risquer de l’offenser. C'est une évidence, bien que j'eus tutoyé autrefois mon sauveur, car ne le connaissant pas, je dois à présent respecter le protocole des Anges-dieu. Il me faut maintenant m'adresser en premier à toi qui es mon seul soutien pour intervenir auprès de lui. Cela vaut aussi pour ta mère qui m'est devenue très supérieure en l'épousant. Et puis, avec l’Hombre, son fils Néphysthéo, et bientôt Lucien, c’est maintenant trois ennemis du bien que nous allons devoir combattre. Alors, si notre destin à chacune prévoit autrement qu'à la fois, de s'opposer à chacun des ennemis des justes causes, c'est que le prédicat fut génialement écrit en fonction de cette opportunité de réunion, ou au contraire d'extension, de notre force particulière. En l'occurrence, je pressens que L'HOMBRE et son fils seraient moins dangereux contre toi seule pour une raison que j'ignore encore, alors que moi, qui suis une guerrière, je serai fatalement plus exposée. De même que ton père l'est aussi, car son honneur dépend de son action. Ta mère, c'est évident, est une pacifique... Alors, si nous voulons que notre force puisse résister aux attaques d'une possible alliance démoniaque, il me semble qu'il nous faudrait compter sur un élément guerrier supplémentaire..., quelqu'un de rapide, qui serait capable de nous appuyer en toute circonstance. S'unissant à l'action de ton père, comme à l'une et aux autres. Toujours disponible pour mieux agir n'importe où dans une lutte à la fois divisée et conjointe... La situation m'apparaît comme étant très sérieuse Habygâ. Nous devrons agir sans l'aide des humains non initiés qui de toute manière, ne pourraient combattre dans notre dimension, puisqu'elle ne s'ouvrira qu'à ceux d'entre eux qui se convertiront au culte d'Athséria... Nous n'avons plus une seconde à perdre! J'ai vu évoluer L'HOMBRE en combat, et je dois admettre sa puissance bien supérieure à ma seule technique... Je suis très préoccupée... Et il n’y a pas de raison pour que mon malaise ne s’amplifie pas… Gaïa regorge autant sur elle que dans ses entrailles, d'enfants dont le destin est d'être, ou de devenir démoniaque. Alors, tu dois convaincre Gabryel de la gravité du conflit qui s’annonce, afin que de son côté il prévienne tous les Anges dieux de lumière qui sont censés protéger la race humaine. Il faut les inciter à accepter que l'un d'eux au moins, vienne comme ton père sur la Terre. Je pense aussi à tous les dieux priés par toutes les religions de la terre: ils doivent aussi être prévenus, ou au moins, agir pour que cela soit fait en regard de ceux qui ne le sont pas encore. Car, malgré que le fit à sa manière un certain Michel de Nostredame, dit Nostradamus, il faut admettre que beaucoup d'humains ne croyant en rien ses écrits ont dû subir de n'avoir rien fait. Certains l'ont même qualifié d'épileptique alors que tout de même, il obtint en 1557 la publication d'un livre dont la première édition présente avec des références savantes, un bon nombre de centuries divisées de quatrains, dont 353 prophétiques, qui pour beaucoup se sont avérés... même si les calendriers ne sont pas toujours respectés… C'est dire que nous serons isolées puisque hors du temps... Et puis d'ailleurs, je crains fort que si nous ne faisions rien maintenant, au lieu de se peupler d'humains qui iront peut-être au-delà de lui: ce monde finisse par voir arriver sa destruction totale bien avant que son étoile ne s'éteigne... De Fée bleue je suis devenue Fée guerrière certes, et aussi sorcière, car vampirisée pour avoir vécu longtemps de méditation dans le ventre de la terre. Mais il y a là aussi des démons inquiétants. Ils sont commandés par un ange déchu. Il pourrait bien former, avec sa terrible engeance, une troupe très puissante qui serait toute dévouée à Néphysthéo s'il devient leur « seigneur et maître de par L'HOMBRE »! Le dieu Sombre n'ignore pas ce nous sommes, et la menace que nous représentons à l'encontre de ses projets belliqueux et démoniaques. Il ne saurait rester inactif en constatant la reprise européenne de notre culte défensif. Alors, il nous faut trouver très vite de l’aide et des armes, non seulement pour nous défendre, mais aussi pour les arrêter, et même si nous le pouvons: les anéantir. Et puis, qui sait, peut-être même que l’intervention de Junyather, voir celle du Très-Supérieur de Lumière, seront nécessaires! Tu dois en parler par ces mêmes mots avec ton père, afin qu’il aille vite trouver le sien pour lui présenter demande et considération. Il faut aussi que nous soit donné pour aide ce dieu guerrier dont j'ai fait demande tout à l'heure! Car, bien qu’il soit puissant, je sais trop que la bonté spirituelle de ton père fera malgré lui obstacle involontaire à son efficacité combative. Voilà ma chère Habygâ. À présent, va. Et que la force des dieux de lumière soit avec toi!

 

 



21/04/2020
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