le monde merveilleux de lucien

le monde merveilleux de lucien

CHAPITRE TRENTE-SIX

 

36

 

 

      Là bas, au Castel-Anatha, alors que se percevaient les informations à la fois alarmantes et rassurantes qui émanaient de la pensée d'Habygâ, la tension était à son comble, car on pensait bien que le puissant dieu Sombre chercherait à laver l'affront qu'il venait de subir. Mais il savait que Gabryel pouvait mettre à profit le répit causé par l'attaque ratée du village...

Le Grand-Ange dieu de Lumière avait fait venir de la forêt tout ce qui pouvait combattre, mais il faut avouer qu’il ne disposait guère là que d’une force limité, bien qu’issue de toutes les Fééries amies. Et bien que toutes et tous se montraient parfaitement muni de bonne volonté et ne manquait certainement pas de courage, il fallait reconnaître que face à un dieu tel que L’Hombre, qui plus est, ligué avec ce qui se peut vomir d’entrailles malsaines... le Bon-Peuple de la forêt, qu’il se fasse grand de taille, ou bien au contraire minuscule au point de devenir quasiment invisible, ne tiendrait peut-être pas longtemps. Même à lutter contre de simples démons, leur victoire serait incertaine, car illusoire. D'ailleurs, mis à part quelques grands Elfes venus d'un endroit inconnu de la Forêt-Noire, et à qui l'on pouvait confier des armes suffisamment efficaces comme le sont le naar et les pointes de crôol: c'est à peine si on pouvait compter sur d'autres qu'eux pour organiser une réelle défense qui soit capable d’endiguer le flot démoniaque d'une attaque en nombre. Du reste, le dieu Sombre se disait que probablement il restait des démons rescapés qui étaient certainement regroupés sous les ordres de son fils, et qu’il pourrait compter sur un possible renfort. Et puis, que même si ça n’était pas le cas, alors il saurait faire plier Habygâ, en s'emparant par exemple de sa mère, pour en faire une otage, et si possible, en tuant même son père, et aussi l'arrogant Erzeré! Lequel lui semblant apte à concurrencer son fils dans son dessein d’obtenir une union qu'il présumait d’être en bonne voie.

Il n’empêche… que si depuis son « nid d'aigle » stratosphérique, L'Hombre avait bel et bien perçu l'émission d'un sentiment de joie de la part de son pseudo Fils, lequel avait peut-être occulté celui des gens du village moins perceptible pour lui , il en avait déduit, mais à tort, que malgré le courroux d'En-Haut qui l’avait incité à la prudence en quittant un champ d’opération qu’il ne pouvait plus contrôler, il n’en avait peut-être pas moins obtenu une victoire politique, puisque que le revirement d'opinion qu'il avait aussi capté de la part d'Habygâ envers Néphysthéo le mettait en position de croire que sa machination allait se révéler bientôt gagnante. Il se dit encore, en prenant la direction du Castel, que la vouivre du lac allait s'allier à la fée Fausserolle, car si le dégoulinement de sa haine parvenait à séduire le côté corrompu de la fée divisée, la serpente obtiendrait ainsi la supériorité sur les êtres du lac, ce qui aurait pour résultat de briser la dévotion Féerique qui de ce côté là restait encore majoritairement acquise à Gabryel et Athénéïse...

Mais en fin de compte, toutes ces présomptions restaient aléatoires, et le dieu Sombre aurait peut-être bien fait d’y réfléchir un peu plus!… Et ce, afin de savoir avec plus de précision qui encerclait vraiment l’autre! Et à quoi il fallait s'attendre si le hasard redevenait maître dans cet imbroglio...

 

...Et c'est peut-être qu'alors…

 

Serait mis en péril le bienheureux domaine...

Et que l’eau noire ferait l'histoire à la lune:

Fée-Fausserolle côté parure vilaine,

Sortant d’outre pierre pour cracher d’amertume!

Moitié ruinée... quand l’autre d’allure sereine !

Bouche tordue peut-elle parler du bon côté?

Si caractère corrompu fait seul tenant:

Bannie de noble cour, l'âme est divisée!

Servira-t-elle un bon dieu ou bien Satan?

 

La vouivre aux aguets boit son fiel jusqu’à la lie

Alors... de quel côté sonnera l’hallali?

 

      L'Hombre était néanmoins redescendu sur terre fort énervé. Il bouscula rudement les gardes. Puis il s'engouffra tel un cyclone sous la tente de Belzéé:

 

– Tes lieutenants ne sont que des pleutres secondés d'incapables!

– Que s'est-il donc passé qui vous met dans une telle rage? Lui avait répondu narquois l'archange déchu...

– L'attaque du village a failli échouer... Vos guerriers balourds ne valent guère mieux que des singes sans cervelle, car sans mon intervention, à l'heure qu'il est, nous serions forts dépourvus pour mener à bien la suite de mon plan!

– Pour qui me prenez-vous, rugit à son tour Belzéé: croyez-vous que j'ignore l'objet de votre fuite comme celui de votre probable défaite? Vous pensez peut-être aussi que je ne sais rien des faiblesses de votre fils? Et puis vous-même, malgré vos grands airs, vous ne sauriez me faire croire que vous n'avez à craindre autant que moi le courroux du Suprême!

– Je me trouve ici en dehors du royaume de mon Très-Puissant père des Ténèbres. Et ceci explique qu’il ne m'appuie pas quand son frère me prend en défaut… Mais devrais-je pour autant me contenter d'une demi-victoire ?… Il se trouve que j'ai tout de même appelé un Grand-archange Gris aussi puissant que moi et qui va non seulement me seconder, mais qui pourrait bien vous remplacer si vous ne vous impliquez davantage dans votre tâche!

– De quoi parlez-vous! En détruisant trop de vos avatars, Morganie vous aurait-elle lésé dans une partie de votre esprit?

– Ainsi, vous savez au moins ma victoire sur elle...

– Je sais surtout que si vous êtes bien l’un des dix fils conçus du Suprême des Ténèbres pour gérer avec vos frères des mondes nouveaux qu'il continue d'installer secrètement dans des galaxies « sombres »… ce pour quoi il m'oblige à le fournir, après avoir fomenté contre l'autre Suprême qui pourtant l'a créé, et qui est aussi mon créateur... Alors, j'espère que vous n'ignorez tout de même pas qu'en fait, je ne suis rien moins que le Diable! Ou Satan si vous préférez, ou plutôt Belzébuth! Et certainement pas issu de votre lignée que l'on m'attribue à tort sur la terre! D'autant que c'est vous, et non moi, qui avez été envoyé pour espionner le Suprême de Lumière dans son propre royaume.

– C'est cela certes... Sauf que pour le reste j'en ai décidé seul, et puisque « tu » as signé un pacte avec mon père c'est aussi valable avec moi. Alors, plus que jamais: « tu » dois me servir!

– Je suis ton allié, c'est entendu, mais je ne serai jamais ton valet!

– Soit! Alors nous en reparlerons, mais pour l’heure cessons de nous quereller au lieu d'agir, car le temps presse... Nous y verrons mieux vous et moi quand nous aurons vaincu Gabryel...

 

*

 

      L'attaque du manoir avait commencé aux prémices de la nuit. Belzéé allait-il se meilleur stratège que son complice orgueilleux? Il avait tenu compte de tous les éléments mis à sa disposition. Et d'abord, il savait pertinemment que l’idée de monter une attaque de jour avec une armée venue des ténèbres de la terre, était une gageure digne du plus parfait imbécile... Alors, bien qu'il ne niât pas la démonstration de force et de bravoure dont avait fait preuve le dieu Sombre, sa stratégie à lui avait été différente, puisque logiquement démoniaque! Ainsi, ses grands guerriers gris aux yeux de cobalt, se montraient beaucoup plus à l'aise dans le soir qui tombait. Et puis il savait pouvoir bientôt profiter du fait que la lumière reflétée depuis la pleine Lune serait vite empêtrée dans des nuages. Alors il avait donné l’ordre d’arracher des arbres pour les jeter dans le lac. Ils les arrachaient sans peine, ou les bousculaient d'un coup de leurs épaules puissantes, en se jouant de la plupart des carreaux que leur décochaient de loin, les Elfes arbalétriers. Et puis ils installèrent des fagots qu’ils empilaient par-dessus les troncs. Les fixant ensuite de manière à obtenir une passerelle d'attaque utile à relier une berge à l'autre. Ce qui devait permettre à des fantassins légers au regard de braise, de l'emprunter sans trop de difficulté. Et d’autre part, fort de son stratagème brouilleur d’ondes cérébrales, il avait pu au préalable accompagner tout à son aise et faire passer de l'autre côté du lac un puissant commando secret. Lequel était constitué de ses meilleurs démons aux yeux de cobalt. Il avait utilisé pour cela, le très vieux souterrain qui partait autrefois des ruines du pavillon situé derrière le manoir pour déboucher dans la forêt. Le sachant devenu impraticable, il avait préalablement pris soin de faire dégager ce passage providentiel par les fils Orchons de la fée Fausserolle. Et puis l'archange déchu leur avait ordonné de rester bien cachés parmi les pierres afin de les garder en réserve.

Belzéé avait acquis depuis longtemps le pouvoir de passer à travers certaines murailles. Pour peu que comme les murs de Castel-Anatha elles ne soient pas trop conséquentes. Ce faisant que l'attaque avait commencé, il venait de prendre quelques Elfes à revers, juste avant de décrocher vers les ruines après qu'ils les eu pétrifiés en usant d'un de ses autres sortilèges. Cette fois encore il était passé inaperçu des yeux et de la conscience d'Erzeré. D'autant que l'Ange-dieu guerrier s'échinait au même moment à décapiter tout ce qui osait s'aventurer sur le pont improvisé.

Depuis la haute terrasse, Gabryel décochait flèche sur flèche. Il était lui-même aux prises avec une autre escouade de démons aux yeux rouges que la vouivre avait aidés dans la traversée du lac par un endroit discret et plus étroit. La bête fabuleuse s’était mue en radeau sous le couvert de la nuit. Elle opérait aussi sous assistance de ses alliées les Elles de l'ombre. Le petit peuple semblait avoir disparu dans les ténèbres de la nuit que que tentait d’éclairer çà et là Athénéïse. Installée bien à l'abri de la sphère, elle jetait depuis le clocheton du manoir quelques rayons de lune, qu'elle obtenait par l'entremise d'une Anatha omniprésente entre le satellite naturel et la terre. Mais le rusé Belzéé eut vite fait de repérer la poétesse. Ainsi, plantant là ses démons, il entreprit de la rejoindre en vue de la capturer.

 

– Que comptes-tu faire? Lui demanda une voix, alors qu'il montait tout droit par l'intérieur en traversant même les planchers du donjon sans qu’ils soient éventrés ni même endommagés.

– Tiens, c'est nouveau! Éructa l'archange déchu: voici que l'on me parle par l'ancienne télépathie...

– Je te conseille de ne pas importuner ma bru, si tu ne veux pas avoir affaire avec moi lui enjoignit aussitôt Junyather!

– Décidément, tous les dieux sont contre moi eu tout de même l'affront de lui répondre Belzéé, mais soit, j'ai aussi un archer puissant à combattre, alors, bien que je ne le craigne pas plus que toi, je vais en premier m'en occuper:

 

Et il se dirigea cette fois vers la terrasse où se trouvait le fils de Junyather...

 

L'on aurait pu croire à cet instant la situation désespérée pour les gens du Castel. Mais c'eut oublier un peu trop vite que le peuple de la Forêt, qu'il fut grand d'origine ou même petit, et donc apte à presque disparaître, avait aussi sa manière de manœuvrer qui était différente!

Dans le parc, le petit Alven s'activait de son mieux, et d'ailleurs, c'est sous la forme d'un moucheron qu'il venait tout juste de pénétrer si profondément dans le conduit de l'oreille droite de la Fausserolle, qu'elle ne put l'atteindre de son doigt pour s'en débarrasser.

 

– Tout doux ma belle, car si je ne veux que faire appel à ton bon côté, je pourrais cependant aller plus loin encore, en déchirant ton tympan, puis me faire cette fois frelon pour te piquer dans ce qui te sert de cervelle et te tuer!

– Soit, Topiary, je te connais, et mon côté gentil me dit que tu es comme lui. Alors parle, mais sois bon avocat, car de l'autre me vient l'envie de te dénoncer aux démons de Belzéé qui entendent faire de moi une Fée traîtresse.

– Moi aussi je te connais, et je peux te dire que la Reine Habygâ saura te rendre ta belle apparence d'avant si toutefois tu la sers comme il se doit.

– Et que devrais-je faire selon toi?

– Vois-tu cette Vouivre qui œuvre derrière nous contre les parents de ta Reine... Eh bien, je te demande de faire appel à tes fils, les Orchons, pour qu'ils la pourchassent et même la dévorent! Afin que libérée de ce risque, l'ondine dénouera alors les cordes du pont jeté sur le lac...

– Ta parole est juste petit Alven, car malgré mon alliance avec la Vouivre, je la suspecte de me trahir souvent dès que j'ai le dos tourné. Et puis, j'admets qu'avant sa venue dans le lac, je vivais tranquille ici, acceptée de l'Ondine dans ma nouvelle demeure. De cela j'avais plus d'amis dans l'eau que maintenant: alors soit, il en sera fait selon ta volonté.

 

Et ce qui fut topé fut fait car la fée teint parole. Il y eu beaucoup de remous dans l’eau. Jusque du côté des branchages! Du sang noir et des lambeaux de chair s'y mêlèrent. Tandis que parmi les arbres couchés, les jeunes Faye tout à coup libérés se relevèrent à la manière des balanciers de catapulte, renvoyant dans la forêt les démons qui ne sachant nager s'accrochaient désespérément à eux.

 

      À présent soulagé de ceux qui arrivaient par ce côté, Erzeré eut alors tôt fait de réduire à néant ce qu'il lui restait d'assaillants. La Fausserolle elle-même était sidérée de son exploit autant que de l'assentiment de la nature pour l'y aider, alors, fort émue, elle s'agenouilla. Elle se dit que finalement, la nouvelle reine était bonne, et que peut-être, elle lui pardonnerait son erreur de naguère qui fut sanctionnée par celle qui l’avait précédée...

 

– Dame Fausserolle, sache que je t'ai vue et entendue!

– Qui... Donc, me parle à présent? Car il me semble que ce n'est plus la voix de Topiary.

– Je suis ta Reine, et aussi la voix de ta conscience, je suis Habygâ.

– Ma reine, faites de moi ce qu'il vous plaira, car je vous aime déjà...

 

À cela il n'y eut point de réponse, ou du moins pas de vive voix, mais la fée déchue sentit que son côté froid se réchauffait. Cela picotait dans sa chair, comme lorsqu'un membre endormi se réveille du fait qu'un sang tiède circule à nouveau en lui. Alors, elle s'avança au bord du lac pour se mirer, et ce qu'elle vit la remplit aussitôt d'un immense plaisir. L'eau noire semblait illuminée par un fanal! Mais pas n'importe lequel! Un fanal qui serait fait de chair vivante et belle: toute de lumière auréolée. Et la Dame blanche qu'elle était redevenue en pleura tant de joie que ses larmes de fée repentie, tombant dans l'eau, créèrent en sombrant un singulier maelström qui à son tour, telle une tarière, s'enfonça si profondément au fond qu'il en perfora la voûte mal consolidée du souterrain sous le lac, provoquant une infiltration suffisante à rebuter de nouveaux assaillants démoniaques qui, craignant d'être noyés, abandonnèrent l’idée de cet autre passage et refluèrent en désordre vers leur point de départ.

 

Mais ce retournement n'assurait en rien que la défense mît l'attaquant en échec. Si l'ennemi se contrait mieux par en bas, il restait encore bien trop fort en nombre. Il fallait même s'attendre à un autre coup tordu de la part des démons rendus encore plus belliqueux d'avoir dû essuyer ce premier camouflet...

 

      Depuis sa position dominante, la déesse Athénéïse savait que Belzéé fort dépité d'être contré par Junyather, se dirigeait à présent vers son mari. Elle manœuvra aussitôt la sphère qu'elle posa en douceur sur la terrasse qu'occupait Gabryel, au moment même où l'archange déchu y arrivait à son tour. Alors, dédaignant de perdre son temps avec Belzéé qu'il ne craignait pas, l'ange dieu de lumière décida d'utiliser l'aide providentielle que lui procurait son épouse afin de descendre dans le parc pour soutenir de plus près l'ange dieu Guerrier Erzeré. Lequel s'attaquait maintenant au dernier groupe de démons encore présents dans le domaine. Gabryel redoutait cependant qu'il ne fût pris à revers par le commando qu'il savait tapi dans les ruines du vieux cabanon: ceux-là mêmes qui attendaient impatiemment à l’endroit où leur « Général » les y avait oubliés, les rendant à présent inutiles...

 

Là encore, le combat du vaillant Erzeré qui n'était plus inquiété sur ses arrières, s’avéra efficace et rapide, par l'action obtenue d'une série de sauts destructeurs si prompts que la puissance des colosses aux yeux de cobalt, pourtant bien supérieure à leurs homologues aux yeux rouges, ne leur fut d'aucune utilité. D'ailleurs, face à la légèreté du dieu guerrier, leur lourdeur les rendait bien trop vulnérables. En combattant intelligent, Erzeré avait compris que pour palier au fait que leur peau était quasiment comparable à celle de Belzéé, et donc capable d'être suffisamment durcie pour résister au tranchant de son épée, il convenait de trouver rapidement une « botte secrète ». Il avait auparavant découvert leur point-faible... En l'occurrence, le guerrier de lumière simulait d'abord une attaque haute par Excaliatura. Puis il mettait à profit la parade instinctive que faisaient ses ennemis et les obligeait à lever les bras: il leur plongeait une fine dague de crôol dans l’aisselle. Il faisait aussi cela d’une autre manière, en simulant au contraire une faute défensive, et au moment où ces derniers levaient leur épée à deux mains dans l'intention de pourfendre en puissance le dieu guerrier, certains qu'ils étaient que sa lame à lui n'y résisterait pas, d'autant qu'il ne la tenait que d'une main... l’autre tenant la dague...

 

Et ce fut à nouveau l'hécatombe parmi les monstres-soldats qui là-bas tombaient sous les yeux d’un Belzéé de plus en plus agacé qui aurait été bien inspiré en leur prêtant main-forte.

Au lieu de cela, voyant à présent remonter la sphère, il décida de la suivre afin de la détruire une fois qu'il la saurait de nouveau isolée. Ceci afin de mettre ses occupants en position de péril. Sachant pertinemment qu'une fois Athénéïse dépourvue de la protection surnaturelle, il obligerait facilement Gabriel à la défensive, voire, parviendrait à le mettre en échec si le dieu Sombre répondait comme il faut à l'appel de son acolyte...

Nul ne saurait ignorer d’un Archange Déchu qu’il dispose néanmoins de puissants pouvoirs paranormaux obtenus de sa nouvelle entité d’accueil et qu'il ne s’est pas privé de les aiguiser à grands coups de millénaires d'activité! Il n'était donc pas d’avantage à exclure qu'il parvienne à bousculer le bouclier d’un Ange-dieu issu de la même lumière que lui. Gabryel savait cela. Il s'apprêtait donc à devoir assurer autrement la protection de sa compagne. Mais c'était évidemment sans compter sur l'incommensurable prétention du dieu Sombre qui, s'il avait bien capté le message de son complice, n'entendait pas lui laisser le privilège d’une victoire à sa portée... Et c'est ainsi qu'on put voir arriver ce dernier sous l'apparence inattendue d’un immense nuage qui, au fur et à mesure qu’il se délitait, montrait peu à peu l’image vivante d’un monstre ailé tout couvert d'écailles qui se devinaient parfaitement serties dans une peau impénétrable. Globalement, il ressemblait à un grand charognard dont la taille occupait tout le ciel de Castel Anatha. La chose pourtant, si elle était d'importance, n'influa en rien sur Belzéé habitué aux sortilèges visuels de L'Hombre:

 

– Te voilà enfin le tançait ironiquement l'archange déchu, mais crois-tu vraiment que ton apparat chimèrique puisse convaincre ceux-là de se rendre?

– Ôte-toi de mon chemin, démon de rien, avant que ma colère ne te réduise à néant, lui rétorqua le dieu Sombre en rapetissant!

– Alors là! C'est trop que je puisse accepter d'entendre d'un dieu imbécile, qui au lieu de faire une véritable alliance, n'a d'autres ambitions que celles relevant d'actes déloyaux! Tu te crois si fort que tu en oublies la moindre des prudences! Vas, fais ce que tu veux de ceux-là! Mais saches que tu risques fort d'y laisser griffes et crocs en t'attaquant vaniteusement à quelque chose que je suis le seul à connaître suffisamment de nous deux. Je suis certainement plus apte que toi pour pouvoir sinon détruire leur vaisseau vivant, au moins l'endommager suffisamment pour en inquiéter les occupants qui s'y croient à l'abri comme dans un bunker imprenable! Mais soit! Je te laisse à tes folles ambitions, car après tout, telles ne sont plus les miennes. Je suis fatigué d'avoir eu à mener mes démons durant trop de millénaires pour plaire à ton père en secret bien avant qu'il ne te crée. Si je t'ai aidé jusqu'à cette nuit, je l'ai fait non pour toi, mais pour lui! Vas pauvre fou! Car seul tu périras sans savoir qui je suis! Je m'en vais retrouver la tranquillité que je vivais avant que tu ne viennes tout bouleverser. L'enfer des hommes ne me concerne plus depuis longtemps: alors, Moi! Belzéé! Je le dis bien haut pour que tous ici m'entendent, car je t'ai assez vu, et je préfère redevenir Satan: prince de la luxure! Comme j'aurais bien dû le rester à l’instant où je t'ai vu de loin kidnapper ce dieu lorsqu’il était immature mais qui en vaut aujourd’hui cent comme toi, et ce, d'autant que les humains n'ont nullement besoin ni de toi, ni de moi pour faire ce que tu fais!

 

Et sur ces mots, ce diable de Belzéé fit en direction de la forêt un bond si prodigieux que l'on eut pu croire un instant, que pour cette occasion, son créateur lui avait prêté de nouvelles ailes... Et d'ailleurs, c'est ce qui fut dit par ceux qui l'ont vu faire à ce moment!

 

L'Hombre ne le prit pas au sérieux. Il se dit qu’une fois l'ire passée, son bouillant acolyte l'attendrait dans sa tente avec ses démons de réserve. Il eut probablement mieux fait de s'en émouvoir pour cette fois, et même de s’en excuser sur le champ. Mais il était certainement le plus vaniteux et le plus belliqueux des dix dieux Sombres que le Suprême des Ténèbres avait engendrés. Alors il n'en fit rien. Il s'estimait capable de gagner facilement cette bataille contre le seul combattant sérieux que représentait à présent Gabryel… à la condition qu'Erzeré restât en bas: occupé à y assurer la sécurité du parc en raison du petit commando ennemi qu'il savait subsister sur le terrain. Alors, se disant très certainement qu'il était bien meilleur au combat que ces deux-là, même réunis, il rapetissa encore, afin d'obtenir une concentration optimum de toute son énergie disponible. Après quoi, il décida de prendre possession de la sphère: comme le ferait un aigle gigantesque, et qui serait résolu à dévorer l'œuf qu'il convoite. Très vite, il entreprit de lacérer l'objet qu'il comptait détruire en utilisant les puissantes serres d'aigle dont il disposait en raison de l'apparence monstrueuse qu'il avait prise, mais comme cela ne semblait pas lui suffire, il se pourvut aussi de mâchoires dignes d’un ptérosaure, et qu'il referma sur sa proie avec la force irrésistible d'un gigantesque étau d'acier forgé...

 

– Mon chéri... ne put s'empêcher de murmurer Athénéïse en se serrant fébrilement contre Gabryel: cette fois nous sommes perdus! Puis elle ferma les yeux et s'apprêta à mourir...

 

¤

 

      Cependant que là-bas, près du village, alors qu’il s’était trouvé emprisonné dans son buisson d'épineux, le pauvre Lucien avait peut-être choisi la méditation pour repentir. Et puis, s'il souhaitait à présent de se reprendre, c'est qu’il se souvenait d’avoir réussi l'exploit mental de pouvoir communiquer avec Athénéïse. Était-ce dû au fait qu’il avait conservé en lui l’image sublime et les sentiments qu’elle lui avait autrefois inspirés, alors qu’il n’était encore qu’un jeune étudiant et elle une sublime poétesse presque Fée? Il pensait cependant que cela avait été possible moins par l'usage d'un pouvoir qui serait inné chez les poètes, que par une nouvelle faculté que son séjour chez les démons pouvait avoir réveillée... Du moins, il ne trouvait pas d'autre explication à ce phénomène qui réunit parfois de fortes sensibilités humaines à celles virtuelles des esprits sacrés. Et puis il aurait voulu trouver le moyen de se comporter au mieux depuis que Belzéé lui avait confié qu'il le respectait en tant qu'humain. Oh, il n'avait rien d’un Ange. Tant s'en faudrait! Et puis il admettait qu'à l'évidence, il se trouvait dans une position à la fois scabreuse, et même carrément rendue problématique par l'action d'une nature qu'il n’avait peut-être pas assez chérie… puisqu’elle s'était retournée contre lui! À force de se fier à des jugements hâtifs, l'homme qu'il était devenu, n'avait plus rien (ou si peu) du poète-écrivain pelleteur de nuages qui se nommait « Lucien ». L’être bon et compréhensif s'était perdu lui-même, en perdant sa compagne, décédée bien trop tôt... Et quand la solitude anéantit l'espoir, on finit par ne plus discerner le choix optimal, entre le bon sens et cette conviction malsaine qui est la conséquence des brassages médiatiques influents. De bon bougre: le poète était passé dans le clan des fielleux... Et puis qu'est-ce vraiment qu'un méchant? Est-ce un cruel... un être maléfique, un malfaisant mal intentionné, est-il à présent enclin à la seule malveillance?... Ést-il devenu pervers, sadique, vicieux?... Non! Si Lucien s'était laissé entraîner à accomplir de basses besognes, il ne se sentait pas l'âme de ceux-là qu'il servait à présent. Jamais il ne se résoudrait à les accompagner jusqu'à participer à la mise en esclavage des peuples de la terre mère. Ses ambitions ne sauraient se calquer sur celles d'un dieu Sombre qui se plaît qu’à détruire la beauté, provoquant douleurs et suppressions de vies humaines pour s'approprier leurs esprits. Certes, Lucien effleurait maintenant l'idée de se détruire lui-même: en tant que méchant. Mais on ne débarrasse pas le monde du déviant péché qui le ronge en supprimant seulement ses démons! Les spores du mal produiraient aussitôt d'autres champignons aussi vénéneux que des bombes à hydrogène… Ce serait confondre individus et situation que de penser réussir en bien sans d’abord purifier! Rien ne saurait naître et croître harmonieusement que sur un sol fertile de pureté! Et Lucien de conclure son auto-analyse, en admettant qu'aucun effort venant de lui ne saura jamais aider quiconque pour modifier tout ça à moins de subtilité?...

 

Mais revenons plutôt vers Caste-Anatha où, malgré la puissance phénoménale qu'il mettait au service de ses mâchoires de monstre antédiluvien, L'Hombre avait beau s'énerver comme un animal enragé qui tenterait de déchiqueter les protections de cuir d'un dresseur maître-chien: il ne parvenait guère qu'à obtenir rien d'autre que de vagues enfoncements qui se reconstruisaient aussitôt. Restait que s’il s'emportait au-delà de tout, à la fin, son acharnement serait si grand qu'il en deviendrait peut-être efficace...

 

Alors Gabryel s’incorpora à la sphère qui émit une sorte de grésillement qui s'amplifia durant une longue et angoissante minute…

 

Et cela eut pour résultat que soudain le dieu sombre se trouva littéralement éjecté à trois mètres au moins par une violente décharge électrique capable de tuer un troupeau de bœufs!

Pourtant, il revint aussitôt à la charge, et tout en prenant apparence humaine il s'emporta de nouveau, lançant par télépathie un autre défi à l'intention de Gabryel:

 

– Misérable fils de la lumière, sous prétexte de défendre ta femme, serais-tu un être assez couard pour te cacher indéfiniment dans une entité qui serait une sorte de giron maternel? Ainsi tu souhaites donc me fuir éternellement?

– Fils des ténèbres, ton père signa autrefois un pacte avec le mien. L'aurais-tu donc oublié ou serais-tu devenu assez félon pour t'attaquer à une femme pacifique, au point de t'emporter ainsi comme un squale qui va chassant ses propres chimères qui ondoient dans son propre océan de vanité?

– Crois-tu vraiment que ce qui est fait à un moment ne saurait être défait à un autre dans l'histoire de l'univers?

– Je crois surtout que tu as été vomi d'une matrice qui ne savait que faire de toi!

– Et toi tu restes comme une femmelette apeurée, bien à l'abri de la tienne, comme ce Lucien qui en son temps de naissance sous un bombardement craignait de quitter le ventre de sa mère! Alors soit, restes-y pareillement et autant que tu voudras, car je m'en vais vite obtenir de l'aide par mon père: il m'a promis de m'envoyer l'un de nos archanges gris des plus belliqueux, et qui pour quelques-uns, sont aussi puissants et même davantage que le prince Satan. Athaânas voyage en ce moment dans une comète de glace qui saura bien réduire la terre à ce qu'il voudra, mais avant je m'en vais tuer ta fille, et...

 

L'Hombre pour cette fois en avait trop dit... ou pas assez... car Gabryel, piqué au vif dans ce qu'il a de plus cher dans sa chair et celle d'Athénéïse, prit soudain la décision de quitter la sphère: non sans avoir conseillé à son aimée d'aller cette fois protéger Habygâ...

En le voyant faire, L'Hombre se dit que finalement ce dieu de lumière avait de la vaillance. Il se félicita même d'avoir à présent repris la même apparence semi humaine, si ce n’est que son teint trahissait un surplus d'énergie sombre... Et il était déterminer à lui montrer comment se bat un guerrier des ténèbres!... se disant aussi que cela, certainement, serait plus jouissif que de le déchiqueter d'un seul coup de bec obtenu d'une vile chimère monstrueuse.

 

Cependant qu'ayant vaincu son dernier adversaire, Erzeré était arrivé lui aussi sur la grande terrasse, bien décidé d'appuyer son ami et maître dans un combat qu'il jugeait plus prudent de mener à deux contre le dieu sombre. Il savait que seul le naar pouvait venir à bout d'un tel adversaire, mais il était le seul à en posséder encore une dose, c'est pourquoi il se plaça entre Gabryel et le dieu belliqueux.

 

– As-tu donc besoin de l'aide de ce moucheron qui ne sait que sautiller, ou bien aurais-tu peur de me combattre directement, hurla aussitôt le dieu Sombre, tout en fixant Gabryel par-dessus l'épaule puissante d'Erzeré.

– Il a raison, mon ami, car c'est ma famille qu'il insulte en même temps que mon honneur. Quitte à y perdre ma vie, c'est à moi seul qu'il revient de le combattre loyalement, et ce sera seulement si je faillis en cela qu'il t'appartiendra de le défier à ton tour.

– Mais... Mon Prince, tu es un bon combattant certes, pourtant je crois que lui, l'est peut-être d’avantage que toi et moi réunis, car fort belliqueux. Je maintiens donc, que pour assurer ma mission qui est de sauvegarder ta lignée, ce serait mieux que je le fasse en combattant sur l'heure et en l'instant à tes côtés...

– Voyons, Erzeré s'il te faut donner ta vie, ce devrait être pour sauver celles de mon épouse et de ma fille...

En percevant les mots fatals, Athénéïse qui jusque-là était restée indécise, sortit à son tour de la sphère.

– Madame! Argumenta aussitôt le dieu Sombre, vous êtes éblouissante et je vous respecte dans ce que je n'ai pas comme vous: cette grandeur d'âme et la force d'amour qui émane de votre personne. Alors, je vous en prie, restez pour le moment en dehors de tout cela. J'ai promis à votre mari un combat loyal. Alors à vous et votre fille, je propose une trêve diplomatique durant laquelle votre mari et moi nous combattrons jusqu'au premier sang, et si vous le souhaitez, lorsqu'il aura capitulé, nous pourrions même envisager vous et moi un accord de paix.

– Ne l’écoutez pas Dame Athénéïse, insistait encore Erzeré! Je lis clairement dans son esprit des relents de vengeance et de traitrise!

– Je sens cela aussi lui répondit Gabryel, tout comme je sens la détermination de ma compagne qu’elle serait bien capable de présenter son corps devant la dague que ce fourbe dissimule dans sa manche, quitte à risquer sa vie pour tenter de protéger la mienne… à cela de toute façon je n'y survivrais pas! Mon frère, fais comme je t'ai dit, veille pour que l'issue de ce duel fasse honneur aux dieux de lumière, puisque c'est nous qui sommes provoqués et non l'inverse. Et puis toi ma tendre épouse, retournes dans la sphère, et vas vers notre fille chérie afin qu'avec toi elle ne craigne plus rien en attendant ce qu'en déciderait politiquement Junyather… Sachant que pour tous les êtres, le livre des karmas comporte une page vierge où peut s'insinuer le hasard, et que ce dernier peut alors prétendre en d'autres lignes que l'un de nous devra donner de sa personne pour empêcher que ce conflit ne s'étende au-delà d'ici.

 

      Ainsi parla Gabryel, comme à l’habitude en ces circonstances qui étaient rarissimes par leur haut degré d'importance. Il s'était exprimé avec la sagesse d'un Ange dieu de lumière magnanime. Alors, les yeux noyés de larmes, Athénéïse admit qu'il avait raison. Elle pénétra dans la sphère qui s'écarta doucement de la terrasse avant de gicler en direction de la grande forêt… tandis que Gabryel se munissait de sa griffe de crôol qu’alors Erzeré s'écartait des deux adversaires: tel que le ferait le témoin assermenté qui est requis pour assister à un duel ...

 

Et la fourberie du dieu sombre ne se fit pas attendre plus longtemps. Tout en faisant effectivement surgir une lame effilée dans sa main gauche, il passait la droite dans son dos, juste derrière son épaule gauche et la ramena pourvue de son grand sabre de guerre antimatière qu'il avait gardé jusque-là invisible. Puis il se rua sur Gabryel qui esquiva pourtant l'attaque en se fendant à droite dans une rapide volte-face suivi d'un aplatissement couché de côté, tout en faisant barrage au sol de sa jambe gauche. Il avait fait cela simultanément, utilisant à son profit l’énergie que son adversaire avait mise dans son attaque. Puis il opéra un nouveau demi-tour sur lui-même, au moment précis où son ennemi trébuchait: changeant sa garde, il se releva et appliqua la paume de sa main droite derrière la tête de L'Hombre qu'il poussa d'un geste puissant, l'accompagnant judicieusement comme se synchronisant à la force de l'autre, tout en lacérant d'un coup de sa griffe de crôol, l'épaule qui passait à sa portée… Ce qui, outre le trois sillons rouges qui s’y voyaient aurait pu tuer son adversaire, s'il ne fut comme lui quasiment insensible aux molécules empoisonnées qui pourtant rendait cette arme si redoutable contre d'autres... mais eut pour effet que l'on vit tout de même le dieu sombre emporté par son élan, s'étaler piteusement et de tout son long sur les pavés de la terrasse. Tandis qu'Erzeré mettait l'instant à profit pour lancer Excaliatura à Gabryel qui l'attrapa à la volée, juste avant de se mettre à nouveau en position de défense:

 

– Il n'est pas tout d'attaquer comme un traître, dit le dieu de lumière à l'intention du dieu des ténèbres, encore faut-il le faire intelligemment, et il me semble que jusqu'à maintenant, vu ce qu'il reste de ton armée, tu n’es pas meilleur bretteur que général! Et puis il me semble que c'est toi qui a subit le premier sang et que conséquemment…

– Tu vas voir ce qu’il en est de la capacité que tu nommes imprudemment en premier, lui rétorqua méchamment L’Hombre en se relevant…

 

Puis il cracha en direction du sol, comme pour mépriser les dalles qui l’avaient accueilli avec beaucoup de froideur et de dureté et il se lança rageusement dans la même attaque prévisible… que l'ange dieu de lumière para évidemment de la même façon, mais de l'autre jambe!... Comme pour combattre sa lassitude.

Cette fois encore, le dieu Sombre mordit la pierre. Il faillit même se fracasser le crâne contre le mur de la tourelle, tant il avait assorti son attaque de beaucoup de haine et de puissance .

 

– Allons ironisa Erzeré, conscient d'en rajouter pour mieux déstabiliser l’adversaire de son prince, ceci afin de le rendre vulnérable, et de poursuivre: sans tes ailes, tu me sembles à présent planer un peu trop près du sol!

– Ne te mêles pas de cela moucheron lui répondit méchamment L'Hombre, car tu riras moins dans un instant...

 

Et puis il changea radicalement sa tactique, copiant cette fois celle d'Erzeré qu'il avait vu combattre Belzéé. Il s'était peut-être dit qu'après tout, lorsqu’on se trouve face à un ennemi rusé, il valait mieux user des mêmes méthodes que lui: cela afin de le forcer dans ses limites d'endurance, comme jusqu'à trouver une faille dans son système de défense...

Pourtant, contre toute attente, c’est encore le dieu Sombre qui fut plus sérieusement blessé en premier. Mais il eut tôt fait de cautériser la plaie pour arrêter le flux de sang, comme savent le faire tous les dieux au cours de leur action: qu'ils soient issus de l'ombre ou de la lumière.

 

– Ainsi, lui fit remarquer Gabryel, le premier sang a coulé pour la seconde fois, mais il me semble que c'est bien un combat à mort que tu vœux!

– Bingo! Tu as tout compris mon cher « petit dieu »!

 

Et l'Hombre fit de nouveau tournoyer son sabre antimatière, une arme qui était au moins aussi redoutable que l'épée Excaliatura, voire peut-être même d’avantage en raison de son diabolisme hargneux! Du coup, n'étant pas un guerrier d'attaque, Gabryel s'employait surtout à parer de son mieux les traîtrises de son adversaire dont l’évidente supériorité dans le maniement du sabre avait tôt fait de lui ôter toute illusion de le vaincre autrement que sur un coup de chance. Déjà, à force d'avoir été à son tour blessé par trois fois, l'énergie commençait à lui manquer, tandis qu'à l'inverse, à le voir voltiger toujours avec plus de vivacité, faisant cette fois gicler des traînées du sang de Gabryel dans les airs et même, taillant la pierre sans jamais s'ébrécher: il devenait à craindre que le dieu Sombre allait bien finir par toucher l'Ange dieu de lumière plus sérieusement...

Et c'est ce qui arriva soudain: enchaînant sur une feinte qui obligea Gabryel à baisser sa garde afin de parer un coup aux jambes, la lame diabolique dessina un moulinet si rapide que Gabryel n'en vit que l'éclair remontant une première fois tout en déviant Excaliatura. Ce qui suffit à le déstabiliser suffisamment pour que cela lui fit perdre la microseconde dont il avait besoin pour placer une autre parade protectrice: le sabre venant de rejaillir cette fois à hauteur de son cou! Or, suivant d'instinct le mouvement d’esquive logique que fit le dieu de lumière pour ne pas être décapité, L'Hombre enchaînant aussitôt par une autre passe qui consistait à lever son sabre au plus haut et puis de saisir sa lame des deux mains pour l'abattre avec tellement de puissance que son geste eut pour résultat de trancher carrément la clavicule droite de Gabryel, jusqu’à même atteindre profondément son poumon en brisant plusieurs côtes au passage… comme on fend soudain un bois debout...

 

Alors, l'Ange dieu s'effondra. Plus qu’un jet de sang, on pouvait voir s’échapper de l'énergie lumineuse dont il essayait vainement de juguler le flux qui giclait par saccades d'entre les doigts de sa main gauche encore valide, cependant que l'épée céleste tomba sur le pavé...

Sans perdre un instant, L'Hombre éloigna Excaliatura d'un coup de pied tout en fulminant de grossières imprécations, faisant mine de se ruer sur Gabryel pour l'achever, lorsqu’il fit soudain volte-face afin d'attaquer Erzeré qu’il savait ainsi désarmé... Ou presque, car une fois de plus, obnubilé par sa rage de vaincre, qu’il allait de nouveau oublier la plus élémentaire des prudences... Celle de ne jamais sous-estimer les ressources d'un adversaire... Car alors, on vit la dernière ampoule de naar quitter la main du dieu Guerrier de lumière pour entrer carrément dans la bouche du dieu sombre qui l'avait grande ouverte pour hurler une dernière injure à l'intention de ce jeune prétentieux qui osait encore s'interposer, et qu'il allait certainement décapiter avant l'autre...

 

Oh bien sûr, L'Hombre eut certes le réflexe de recracher l'essentiel du naar à la figure de son adversaire qui avait agi à bout portant, usant du courage du combattant kamikaze qui admet qu'il ne faut pas craindre de mourir pour être d'une efficacité imparable…

 

Erzeré avait fait cela en sachant qu’il prenait le risque de se perdre lui-même en cas de rebond du liquide. Mais il était conscient aussi que le dieu Sombre n'aurait pas davantage que lui le pouvoir d'en empêcher l'effet destructeur. Et c'est ainsi qu'il eut juste le temps de voir L'Hombre disparaître dans l’implosion de son corps de plasma… à la manière d’une micro-étoile mourante, lorsqu’elle se trouve avalée par la création de son propre trou noir...

 

Du dieu Sombre, en peu de secondes terrestres, il ne resta rien qui soit visible!... Pas même quelques cendres, ni la moindre trace liquide, sinon que l'on eut constaté à la place où il venait de disparaître, que toutes les âmes qu'il avait volées aux humains flottaient à présent comme d'étranges lucioles. D’aucunes montaient lentement vers les nues. Alors que d’autres restaient à quelques centimètres du sol. Celles-là, probablement devenues maudites à jamais, s'éloignèrent pourtant en rasant le dallage, laissant derrière elles quelques particules couleur cobalt devenant déjà pâlissantes... Ces âmes allaient probablement errer un temps à la recherche des galeries qui mènent à des entrailles putrides, afin de pouvoir s'y prémunir un peu du froid mortel qui les assaillait déjà, et s’y confondre à jamais, comme digérées par Gaïa. À moins qu’elles ne fussent condamnées à servir le prince Satan? Cependant que celles qui montaient vers l'éther: chaleureuses et resplendissantes des mille couleurs de l'Aura des justes, s'engouffreraient bientôt par le tunnel de lumière, pour aller directement vers la paix éternelle, sans passer par les sombres couloirs du jugement dernier…

 

Pourtant l'une d'elles redescendit soudain. Peut-être avait-elle à accomplir un autre karma, à moins qu’il ne soit question d’autre chose?... En tout cas elle montrait une belle énergie qui se supposait très supérieure, si bien qu’elle avait quitté les autres, pour partir seule, à la recherche du corps dont elle n’aurait peut-être jamais dû s’éloigner…

 

      Pendant que cela se produisait près de lui qui se dissolvait à son tour mais sans ressentir la moindre souffrance, L'Ange dieu Erzeré se transformait en particules de lumière. Elles se faisaient virevoltantes elles aussi, parmi les bonnes âmes. L'on pouvait alors penser que faisant alliance avec elles, sa silhouette holographique animée par l'image de son aura s'en dégagerait peut-être en un bouquet de clarté diaphane. Lorsque son bel esprit s'éleva doucement dans le ciel: il fut aussitôt rejoint par des milliers de lucioles. Sortant des arbres de la forêt, il arrivaient de partout. Amoureuses minuscules, elles lui montraient leur corps ravissant, à peine vêtu de fins voiles de soie transparente subtilement teintés par les couleurs merveilleuses du plus bel arc-en-ciel qui n’ai jamais enjambé la planète. Ces muses, fort amoureuses de sa lumière, semblaient bien décidées à quitter leur panthéon de verdure afin de pouvoir l’accompagner au plus loin du possible. C'est ainsi que pareil à un cortège de noces campagnardes, il se forma bientôt là-haut une longue sarabande de lumières minuscules qui tournoyaient comme des paillettes multicolores. Elles suivaient un être fluorescent, entièrement fait de lumière éthérée qui tel un corps astral descendrait parmi les vivants. Et puis la traîne alla frôler les lèvres d'Habygâ… juste avant celles de Morganie. On pouvait aussi la voir caressant la joue droite d'Athénéïse... avant de retourner à la source de l’être fluorescent qui fulgura en direction de la planète Jupiter...

 

Il ne fit aucun doute que même désintégré, l'ange dieu Erzeré allait se glisser dans l’un de ses satellites… peut-être Europe... et d’y attendre au sein de son océan quelque possible résurrection.

Oh! Tout cela se fit si discrètement à l'échelle galactique, que peut-être personne d'autre là-haut que le Grand Créateur ne le vit se réaliser, mais qui sait... Et puis sur la Terre, il resterait néanmoins quelques particules, à peine discernables, qui discrètement car psychologiquement pour longtemps, scintilleraient sur le visage de trois Dames… déesses de la Forêt...

 

 



27/06/2020
12 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 13 autres membres