le monde merveilleux de lucien

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CHAPITRE TREIZE

 

13

 

À la croisée des chemins…

L’amour se perd dans les flammes.

Ne sens-tu bien leur mouvance en ton désir Sésame?

À l’Apogée de tes choix figure ton destin...

Ce mirage n'est peut-être rien que reflet d'âme?

Âmes pures, la rustique existence est innée.

Et si l’idiosyncrasie d'homme est l'égoïsme:

L'autre sage fuira l'honneur d’un monde bourbier

Pour un autre: né métaphorique en gongorisme.

 

 

      Tel un cinglant, mais banal tourbillon, l'espace-temps des humains ne devrait guère influer sur celui des êtres éternels... Bien moins en tout cas que le souffle chaleureux d'une poétesse chamane. Cela se complaisant trublion, à mieux brouiller, sur une carte imaginée, d’insondables horizons qui secrètent des miracles enchantés. Ceux-là servant peut-être la très glorieuse jubilation d'un dieu sorcier! Vraisemblablement alors, celui-là qui vient d'un monde interlope s'engagera à le partager. Il usera pour cela d'arcanes. Elles témoigneront de ce qu'il se peut que nous côtoierions comme lui durant sa transe transcendantale...

 

      À quelques siècle de là… Juchée là-haut, sur un empilement de fagots, la suppliciée avait tant maudit qu’il ne lui restait presque plus de voix. Et puis, à quoi bon cracher en vain sa haine à la face de cette populace insolente, puisque de toute façon, la fin de son calvaire était proche. D'ailleurs, ces hommes en robe de bure ne se disaient-ils les serviteurs d'un messie juif? Lequel fut crucifié sur la demande plus qu'insistance d’autres gens...

 

Alors il est à parier que quelques historiens agnostiques, pourraient en déduire que ceux-là ne se comportaient guère autrement que d’autres qu'ils avaient pourtant pris pour habitude radicale de condamner à mort sans appel. Ainsi, d'aucuns s'apprêtaient à faire comme il leur fut dit. Ils allaient user de la même barbarie que ceux qu’ils récusaient. Agissant cette fois contre une femme. Ils lui avaient jeté la pierre parce qu'elle concevait de servir la déité d’une manière différenciée de la leur... de fait elle ne pouvait-être qu'impie. Ils en avaient eux-mêmes décidé d'emblée. À la place et au nom de celui qu'ils nommaient leur Seigneur.

 

Après un procès bâclé ressemblant étrangement à celui que subit en son existence un certain Galileo Galilei: on avait donc accusé la femme brune d’hérésie, et même de sorcellerie. Puis, devant son obstination à ne pas abjurer, ils l'avaient condamnée à être brûlée vive en place publique! Et c'est ce qu'ils entreprenaient de faire.

 

Sur l'estrade installée au beau milieu de la place du bourg, on avait ligoté la condamnée de façon qu'elle soit immobilisée le dos appuyé contre un poteau de bois rêche. On l'avait ainsi laissée. Pour qu'elle en souffre plus longtemps. Montrée et crachée comme une voleuse. On voulait qu’elle soit exposée aux yeux de tous ces furieux, curieux et malsains. Pour que l'exemple fasse image précaire du propre démon de chacun! On avait même écrit "sorcière" sur un papier de chiffon griffonné par une plume plus démoniaque encore... Et on avait cloué cela au-dessus d'elle.

 

À présent le bourreau était redescendu, la laissant là. Tandis qu'en bas il commandait à trois hommes. Ils s’étaient munis de torches allumées, qu'ils avaient d'abord été enduites avec de la poix. Il convenait de transmettre la flamme la plus ardente possible au tas de branchages et de fagots qu'on avait bien disposés. Tandis qu'à l'entour, se montrant difficile à contenir par les soldats: une foule assassine hurlait sa propre bêtise. D'aucuns faisant montre d'une hystérie peuplée de rancœur collective absolument imbécile, alors que pour d'autres encore, l’on percevait même quelque impatience abominable à voir périr au plus tôt Morganie…

 

Ce fut juste à ce moment, où l'on pouvait croire que tout allait s'embraser, qu’il leur était pourtant signifié que pour cette fois le ciel semblait ne pas être entièrement d’accord avec la populace…

Tout était allé très vite. On avait pu voir en premier s'amonceler d'imposants cumulo-nimbus. D'abord aux alentours de la ville. Puis, petit à petit, l'inquiétante noirceur avait grandi au point d'obscurcir tout le ciel. Après quoi se contractant, elle s’était concentrée au-dessus de la place où se trouvait le bûcher allumé. Et c'est alors que s'entendit une voix puissante qui semblait venir de partout.

 

Quelqu’un s’affirmait hautement courroucé par l'acte annoncé!

L’on se dit alors, que probablement, il fallait s'attendre à voir intervenir quelque entité démoniaque. Car seule une diablerie invoquée par la sorcière pouvait agir de la sorte...

De fait, le ciel se mit soudain à cracher de l'eau avec la violence d'un ouragan! Il y eut des éclairs si furieux que cela déclencha une belle pagaille. L’on vit fuir en tous sens les spectateurs apeurés. À n'en rien d'autre douter, les faits confirmaient qu’il ne pouvait s'agir là que de l’action d'une force satanique. La vague humaine résultant de cette débandade les montrait même si épouvantés, qu'il leur suffit de peu de temps et de quelques corps à piétiner pour abandonner une place devenue bourbier. L'on n'y distinguait plus guère le bûcher qu'au travers d'un lourd rideau de pluie.

 

Quand l'endroit du supplice fut complètement déserté. Que même la garde s'était prudemment repliée. Alors que le bourreau semblait aussi roide que si un éclair l'avait pétrifié sur place. Les yeux clairs de la brune suppliciée se voyaient à présent grands ouverts. Mais ils étaient tant mouillés d'eau de ciel mêlée à ses larmes jubilatoires, que l'ange salvateur qui se rapprochait de Morganie ne lui apparaissait pas dans sa réalité. Sinon que sous l'apparence d'une icône si floue, qu'elle n'en fut vraiment renseignée que lorsqu'il fut là, devant elle, presque à la toucher… Sublime entité. Véritable diffusion de paix intérieure. L'être était beau comme un dieu de l'Olympe qui serait descendu jusqu'à elle! Tandis que plus bas, tel un ver pénitent, un homme en robe de bure se prosternait maintenant dans la boue…

 

– Je sais qui tu es…, dit la voix s'adressant à la femme brune...

Interloquée car l'esprit encore embrumé. Attendu aussi que probablement, sa faculté de voir l'autre monde s’était perdue , alors qu'on avait enfermé la femme quelque part, dans une geôle puante, l'âme s’égarant peut-être elle aussi dans de la paille infecte, qu'on avait laissé se décomposer entre quatre murs suintants l'urine, et contre lesquels cliquetaient des fers lourdement oxydés…

 

Encore torturée par l’image imprimée de l'incarcération qu'elle avait quittée de peu, Morganie le dévisagea longtemps sans que son cerveau hypnotisé ne sache la renseigner. Elle le percevait comme une interrogation qui se termine par un point incrédule. Finalement, elle se surprit à lui répondre d'une manière qu'elle aurait souhaité plus appliquée qu'automatique:

 

– Et comment saurais-tu qui je suis, alors que moi, je ne te connais pas mieux que je ne te vois! Et puis, dis-moi de quel sortilège es-tu constitué pour être là?... Et cet orage! Comment as-tu fait pour qu'il vienne avec toi?

– Ton nom est Morganie. Et c'est la souffrance qui t'a aveuglée.

– Si fait! Car ça je le sais! Mais toi qui éludes ma question, qui donc es-tu?

– Ce lieu n’est pas propice à la conversation: viens!

 

L’être qui se trouvait debout devant elle irradiait la lumière. Son visage, encadré d'une longue chevelure blonde, respirait la bonté. Pourtant, la seule chose qui au tout début fut matériellement visible par tous les autres se trouvait autour de lui. C'était une sphère entièrement transparente. Elle s'adaptait en taille et position au moindre de ses mouvements. Telle une combinaison spatiale. Mais qui serait à la fois vivante et spacieuse. Cela semblait apte à le protéger de tout. Sauf peut-être de certains regards à la diable aussitôt qu'il en fut sorti! Avec des yeux brûlants, rappelant les flammes d'un certain bûcher assassin. Des yeux inquisiteurs, en même temps qu’affolés. Car maladroitement observateurs de sa mise en image volontaire.

 

C'est à ce moment-là que peut-être, quelques actions hagardes auraient pu se mener après coup, de la part de soldats moins couards que les autres... Leur capitaine se devinant chuchotant, tapis, quelque part dans l'ombre d'une ruelle proche. Tandis que des gens commençaient à y voir un geste de paix. Mais ils n'étaient pas assez courageux pour quitter le ressentiment noir qui continuait de les ronger. Alors, c'était peut-être pour leur montrer l'exemple à suivre que Gabryel était sortit du globule de lumière tutélaire, puis il avait concentré son esprit, tout en ouvrant sa main gauche, la paume tournée comme pour recevoir une offrande, à l'horizontale, avec les doigts joints, dirigés vers Morganie: et les liens qui la retenaient se rompirent... La pressentant physiquement vaincue par l’épuisement, et afin qu'elle n’aille probablement s’affaler sur le plancher rudimentaire et précaire, Gabryel la recueillit promptement, lui offrant l'assise généreuse de ses puissants avant-bras... Puis il fit avec elle quelques pas en arrière, jusqu'à rentrer dans la sphère qui s’éleva aussitôt d'au moins cinq cents pieds: les emportant tous deux vers le ciel.

 

À la manière des ombres, lorsqu'elles sont affichées sur les murs chaulés: des Spectres délétères se détachèrent peu à peu des maisons dont le toit de chaume dégoulinait encore d'eau de pluie. Les moins pleutres, qui s’étaient cependant agglutinés dans les plus proches venelles des rues étroites, commencèrent de refluer vers la place, par petits groupes. Les écoulements de rue saturés charriaient l’eau comme autant de rus sauvagement emboués. Mais chacun qui regardait à nouveau le ciel, vit alors, comme un décalcomanie, glissant des nues rassérénées, le dessin d'un étrange cheval étonnamment blanc…

 

L’animal, que leurs yeux affabulés pouvaient voir, était pourvu d’ailes emplumées. Elles battaient assez peu, mais avec bien plus d'envergure et belle prépotence dans leur mouvement que celles qu'ils reconnaissaient pourtant déjà, puissantes et redoutables, des grands aigles majestueux gîtant dans les hautes aires des montagnes...

 

Pourtant, ce qu'ils prirent en premier pour une chimère faite de nuages était bien un cheval-fée. Il se plaça face à la sphère, dont la taille s’adaptait déjà pour le recevoir, s’ouvrant ostensiblement, afin que l'animal puisse prendre place, juste sous son maître qui s'y trouvait en position de lévitation. Gabryel invitant sa protégée à s’installer devant lui, et l'aidant même à s'asseoir, en amazone, à la naissance de la somptueuse crinière couleur de neige.

 

Après que le vivant sphéroïde de lumière se fut adapté jusqu'à pouvoir totalement englober les trois êtres, l'ensemble s'éleva encore de mille pas. Puis il sembla hésiter une seconde. Avant de fuser vers un arc-en-ciel qui venait de se constituer, telle une arche d'alliance, et au sein de laquelle, bulle et trio disparurent en ne laissant plus voir qu’un très bref éclat de lumière irisée…

 

*

 

      Durant l'étrange équipée, il avait semblé à Morganie qu’elle changeait d’époque et de vie. Bien que la température à l'intérieur du vaisseau vivant fût restée clémente, elle s’était mise à grelotter nerveusement. Elle ne savait pas que cette réaction était l'amorce d'étranges modifications.

 

C’est ainsi qu'elle avait put constater que les plaies qui avaient stigmatisé son corps, durant le long supplice de son interrogatoire, cessaient peu à peu de la faire souffrir. Incrédule, elle avait regardé ses mains et vu avec stupéfaction qu’elles ne portaient plus aucune trace des barbaries qu’elles avaient pourtant longuement et douloureusement endurées. La demi-Fée prêtresse avait pourtant beaucoup perdu de ses dons de guérisseuse et autres pouvoirs occultes. Cela sans aucun doute, à cause d'avoir été si longuement soumise à la question par ce moine pervers qui la convoitait. Lequel, malgré son sacerdoce ecclésiastique, s'était laissé gagner par le désir charnel. Bien que se déclarant innocent du fait. Notamment par l’évocation de fausses connivences. S'arrangeant à sa manière du pêché de chair qu'il s'apprêtait à commettre en raison d'un malentendu venant de lui seul.

 

Tout avait commencé sur un quiproquo. L’erreur entraînant les conséquences particulièrement graves qu’elle eût donc à subir par la suite bien malgré elle. En le pensant proche d'épouser sa doctrine, Morganie l'avait certes embrassé sur les lèvres... mais symboliquement, comme le font les prêtresses garantes de la Lumière d'Ardvina, lorsqu’il s’agit de consacrer l'adepte novice. Se méprenant sur des intentions qui n'avaient rien du désir amoureux, le moine s'était donc épris d'elle, lui rendant même son baiser avec une fougue qui l’avait surprise. c’est donc ainsi qu’il avait mal supporté que Morganie ait pu le repousser. D’autant qu'il la croyait acquise.

 

Par la suite, en bon perverti faisant faussement pénitence... car mettant à profit le raisonnement de l'ego qui le rongeait, le religieux avait finalement choisi de la calomnier à un point qui fit que la Reine de Fées [qui jugeait la doctrine de la prêtresse trop humaine] car proche de celle charnelle, en prit ombrage. Subissant la même loi que connu sa mère, alors qu’elle, au contraire, n’avait pourtant pas dérogé, Morganie fut donc bannie de sa forêt, et c’est aussi en raison de cette décision elle avait été démunie d'une partie de sa force.

 

Le bon moine se muant en inquisiteur, s'était quant à lui servi à sa manière du code des jugements religieux d'alors. Au point qu'il s'y trompa lui-même. Montrant l'aisance qui suffit à s'en justifier devant un supérieur, il parvint à faire emprisonner Morganie sur ordre. Il pensait que par l’ignoble stratagème, elle n’appartiendrait jamais plus à personne... sinon que peut-être... que si elle acceptait de se donner à lui… il lui prometrait de la faire libérer…

 

Mais l'obstination cruelle de cet homme, avait fini par l’entraîner dans une spirale qui avait conduit l'objet de sa convoitise à être jugée, puis condamnée par l'intolérance cruelle d'un tribunal de religieux encore plus obscurs que lui, et qui la destina à périr sur le bûcher… en sorcière païenne… puisqu'ils en étaient persuadés!

C’était pourtant une entité descendue du Ciel qui l’avait sauvée!

Il n’empêche que Morganie n’oublierait jamais ces flammes autour d’elle, et qui progressaient vers ses pieds. Elle n'effacerait pas moins de sa mémoire, cette foule de manants hystériques et cruels. Hurlant sa frénésie destructrice. Et avouant du même coup une connivence malsaine se destinant à la perdre encore plus.

 

Morganie se remémorait la scène: cela s’était passé juste avant que ne fondît sur eux la déferlante orageuse. Les nues en colère avaient déversé d'un coup leurs eaux furieuses. Avec la même violence qu’avaient montré ces manants. Et c'est une pluie torrentielle qui s’était alors abattue. Faisant force, et à tel point, qu'on l'aurait pensée s'acharnant à les fondre pour les réintégrer au sol! Pour mieux effacer des êtres issus d’un monde qu’il convenait de lessiver à fond pour le purifier. Et puis il y avait eu ce silence. Aussi pesant et froid qu'une pierre tombale. Quand la lumière éblouissante est apparue par le ciel…

 

 

 

 

 



11/03/2020
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