le monde merveilleux de lucien

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CHAPITRE TRENTE-DEUX

 

32

 

Regardez l'homme-dieu, voyez-vous son épouse?

Leur fille: Dame Habygâ comme anacrouse,

Réalisme surnaturel d'existence…

Aberrance spirituelle accointance…

Quand l’esprit fait sens en essences délétères:

Comme chimère, c’est d’images visionnaires.

D’un jour en pleine nuit périra l’éclair noir;

Tandis que trois Auras éblouiront l’espoir.

peuple de la grande forêt des Ardennes.

Entrez dans la lumière, car voici vos Reines!

Oyez-les Anges dieu à l’amour généreux!

Ils vont combattre tous vos démons ténébreux.

Holà vous tous, qui souhaitez-vous rallier:

Approchez sans haine, vous serez conciliés!

Que vous soyez blanche-fée ou bien d’autre humeur,

L'union fera force en multiple couleur.

Si des intrus cornus sont venus d’outre sombre

Ingénus ou pas, vous les vaincrez par le nombre!

 

 

      Gabryel, Habygâ et Athénéïse se dirigeaient vers le centre de la Clairière… Lorsque cela avait soudain jailli à la manière d’un grand geyser… Qui avait disparu aussi subitement qu'apparu… Ne laissant plus voir qu’une sorte de tablette dorée, sur laquelle un fin pinceau de lumière blanche dessinait des mots étranges… Un peu comme l'eau-forte qui s'imprègne en taille douce… ils étaient ainsi finement ciselés sur un fond de métal précieux …

 

– Il doit s'agir d’un extrait du Pacte des Fées murmura Athénéïse…

 

¤

 

      C'est peut-être à l’heure où les ombres et les lueurs se conjuguent au mieux, que les Fées et les lutins s’activent sans que vous les voyiez. Et s'il se produit qu'au fil de vos pas posés précautionneusement en la forêt d'Ardenne, vous devenez plus sereines et sereins: alors vous les percevrez en les apprenant; et la nuit venue, ils vous apparaîtront enfin et vous conduiront, libérés, parmi les fougères, pour vous montrer que la nature a de bien généreuses qualités...

Certes, ce monde étrange n’est pas très obéissant et sans doute, encore moins enclin à se montrer, car toujours prêt à se dissoudre quand l’imagination complice vous fait défaut, à moins d'apparaître dans une dimension qui n’est disponible que pour humains perspicaces. Alors si d'aventure vous alliez vous promener en longeant les taillis pour côtoyer juste après de plus nobles essences, sachez que c'est souvent parmi celles-là que vivent aussi les Arbres Faye… descendants de lointains ancêtres, qui vécurent eux-mêmes, il y a plus de quatre-cent-vingt millions d’années parmi les premiers enracinés capable de belle noblesse! Et c'est bien aujourd'hui leurs ramures enchantées qui abritent le mieux, en dehors et en dedans, les nymphes d’arbres Frères. Ainsi, c'est par l'accomplissement de cette grande promiscuité que celles-là sont à la fois «elles et eux»… Certains les nomment Dryades. Ce sont de minuscules divinités subalternes. Elles ont les nerfs et le sang vert. Et si elles s’échappent parfois de son branchage, c’est pour mieux auréoler l’âme du sylvestre avant de redescendre en lui pour partager un destin Hamadryade. Alors, si la féerie naturelle vous intéresse pour ce qu'elle vous montre de sa vie, et malgré que vous ne sachiez vraiment communiquer un tant soit peu avec les esprits de la forêt: tentez cette expérience de coller votre oreille contre le fût d'un très vieux chêne, ou plus encore, si vous n’entendez rien, allez vers cet arbre quelque peu différent qui semble de loin vous appeler à lui. Et quand vous serez au plus près, faites-lui honneur, jusqu'à enlacer son corps noueux de vos bras pour y coller tout contre le vôtre fragile. De nouveau appliquez votre oreille…N'hésitez pas à appuyer votre joue jusqu'à presque égratigner votre peau contre celle rugueuse de l'arbre. À force de persévérance, vous finirez peut-être par entendre battre sa sève comme autant le fait en vous votre sang… Si vous n’entendez toujours rien, passez votre chemin, vous reviendrez demain... car pour cette fois présente, c'est peut-être votre esprit trop rationnel qui vous ferme la porte de l'expérience, autant que celle des idées essentielles.

Il se trouve pourtant que notre monde est riche de noblesses minuscules qui cabriolent joyeusement, mais que nous ne saurions voir, tant nos idées ne sont que de simples pirouettes qui s'obtiennent sans trop d'allégresse à l'invite qu’on leur fait, et que, hélas, nous sommes trop imbus de nos leurres matérialistes. Lesquels pourtant nous semblent importants d'habitude, afin de vivre sans objection particulière notre époque menteuse. Ce qui fait que si ce que nous transmettent nos yeux n’est rien de mieux que la projection d'une certaine image électrifiée par notre cerveau généralement cartésien, c'est peut-être que notre vision cognitive installe trop facilement des barrages qui peu à peu s'imposent, jusqu'à tarir le flux merveilleux de notre subconscience...

 

      Cela admis, il n’est pas moins vrai que de leur côté dimensionnel, à peine les trois de la déité avaient-ils quitté le manoir pour s’embarquer sur le lac, que déjà pour eux s'enchantait le Petit-Peuple du Royaume entrouvert… De fait, la barque traçait, fragile et mystique, un délicat sillage argenté que faisait scintiller la lune. Ravissante et obscure, seule l'eau calme témoignait de ce déplacement discret du ventre de bois peint qui se devinait amoureux du contact vaguement surnaturel...

Délicieusement parée de ses longs cheveux de feux dégoulinant en cascade sur une houppelande de velours bleu-roi bordé d’hermine, Athénéïse se tenait debout à l’avant. Comme à son habitude, elle adressait ses mots d'amitié aux génies de l’onde qui la portaient. Sur la berge d'en face, un Elfe habillé tout de blanc les attendait. Mentalement mandé par Gabryel, on pouvait le voir entouré du joyeux papillonnage de quelques lucioles complices. C'est donc en cet étrange équipage, que dès qu'ils eurent débarqué, les deux déesses et le dieu de lumière empruntaient le Chemin des Fées qui devait les mener jusqu’à la clairière du Grand Faye .

 

De tout le parcours, Habygâ n’avait prononcé que très peu de mots. Occupé par la tâche, son esprit s’efforçait de capter le moindre avertissement de suspicion parmi les chuchotements qu'elle savait entendre. Bien au contraire de l’impudence de beaucoup d'humains téméraires, la déesse savait se montrer humble à chaque fois qu'elle pénétrait dans le monde puissant du clair-obscur ainsi contrasté par la clarté lunaire. Si elle se savait aimée et respectée en tant que Grande-Dame élue reine par la Forêt, elle n'en minimisait pas pour autant la dangereuse insaisissabilité des Lelles, ces ombres-fées que l’on doit désigner prudemment, car étant capables de prendre toute sorte d’apparences blanches ou noires agressives. Et puis elle se méfiait de la fourberie possible de quelques petits démons indisciplinés, vivant parfois cachés dans la forêt. Ils auraient pu de surcroît passer un marché avec Belzéé, et donc, ils pouvaient être enclins à attaquer leur guide. Ou encore, à tenter de le détourner du bon chemin. Cela lui semblait d’autant possible que la majorité du Peuple de la Forêt dont font aussi partie les trop versatiles Sorcières- Noires, n’avait accepté de souscrire à la demande paisible de Gabryel, lequel souhaitait les rencontrer tous ensemble, qu'à la condition que personne ne portât aucune arme.

 

Lorsqu'ils atteignirent enfin la Clairière-du-Grand Faye, ils purent admirer alors le spectacle désaltérant d'une source limpide alimentant un ruisseau à l'allure mythique. Un léger brouillard s'en élevant, cela faisait osmose avec lui. Aidant à créer un espace de bien-être, qui devait être capable de calmer de nombreux esprits... Et parmi eux justement, quelques-uns, réputés malfaisants et assez redoutables d'habitude, qui s’étaient donc assagis pour venir parlementer… Malgré qu’ils étaient persuadés d'avance, que de céder à quelque douce tolérance n’était, selon eux, qu'acte d’imprudence qui se regretterait. (Il se dit souvent, en effet, qu'il convient d’avertir chacun de tout danger auquel il s’expose, en faisant pacte autant avec les bonnes fées que celles démoniaques, car l’une se révèle souvent être l’autre, et inversement!)

 

En ce lieu il se pouvait aussi de trouver présentes, par exception, car venues des contrées profondes de la Forêt-Noire, les Lelles auxquelles pensait tout à l'heure Habygâ, et qui sont vraiment trop dangereuses pour que même on les cite à voix basse. À peine connaît-on leur nom que ces êtres étranges deviennent ombre! Alors quand cela montre cette apparence, on les nomme des «Elles» vaguement et prudemment, car on est ignorant de vraiment ce qu'elles (ou ils) sont. D'ailleurs, en leur présumée présence, nos désirs sont parfois chose à abstraire: tant notre existence… comme la leur, se ment à elle-même. Alors s’il se fait qu'à l'inverse d'Habygâ, vous n'êtes que profane en forêt, mieux vaut pour vous de regagner votre havre douillet de la ville, car ici, c’est d’autant qu'il fait nuit noire, qu'alors plus rien ne correspondra à ce qu’il vous fut piètrement fait de renseignement pour y être passé le jour! Certes la croisée des chemins forestiers que vous suivez courageux pendant la nuit offre plusieurs choix, mais faites bien attention, car en devenant mythique, cette même croisée n’existera plus là où vous pourriez penser qu’elle fut avant…

 

Pour assister aussi à cette réunion, arrivaient déjà comme autant de fantômes, des Dames blanches toutes habillées de rêve nébuleux tissé au merveilleux du temps : « fulgurante vision de ciel, d’eau et d’un éclat de lumière, qui à la garde-robe des fées, empruntent des voiles de peines et des souliers dansants… puis se nourrissent du parfum des chèvrefeuilles, et boivent de la rosée nectar dans les liserons »...

Il y avait aussi des Dames-Noires, qui dit-on, furent blanches avant de devenir méchantes, à présent redoutées, habillées de noir, et réputées épuisantes pour les charmes de leurs amants... Et puis les vierges bienheureuses et les Dames-Grises, ainsi que les Faye de puits qui sont Elfes, comme tous gens de féerie. Ou encore, les Dames-Gracieuses: ces compagnes de Lalie, à qui elles empruntent le visage... Tandis que des Dames-Bleues: vierges de glace, et même des Fées des montagnes, étaient venues ainsi que quelques Fès Tauds ou Hommes Fès, eux-mêmes arrivés par l’Ouest des chemins qui mènent aussi vers Brocéliande... Même le cheval fée Bayart se trouvait à paître non loin de là: tandis qu'un Nekker des lacs se goinfrait de reinettes affolées! Mais il y avait aussi un Lange-Wapper assez inquiétant qui parlait de la Groac’h: cette sorcière des eaux, avide du sang des beaux gars se noyant pour avoir écouté la voix douce des vierges d’eau énamourées qui les avaient appelés, mais qui toujours fuient, impuissantes, dès lors qu’aparait la sorcière tueuse...

 

Tout près, passait maintenant une Dame Cygne: gracieuse en majestueuse qui glissait sur une onde de brume, tandis que des Nixens chantaient en harmoniques, comme chuchotent les clapotis d’avant les chutes vertigineuses de l’eau pure venue des grandes montagnes. Mais ce qui importait davantage à Habygâ était sans conteste la présence des Demoiselles et des Damoiseaux des Verts Royaumes, car, c’est bien par eux, qu'au cœur de l’immensité végétale où elle était née, et ce depuis qu’elle pouvait marcher, qu'elle avait le mieux appris à connaître la forêt; d’abord accompagnée dans cette démarche par sa mère Athénéïse, la très douce poétesse. Ainsi que par Morganie, Grande-Marraine, et initiatrice dans la noblesse des bois… Et ensuite... avec elles et eux à la fois...

Il y avait aussi dans la clairière, les Demoiselles d’humus, les nymphes des fougères et les belles florales: ces minuscules qui posent des corolles ouvertes aux âmes forestières... Tandis que çà et là dansaient, joyeux et follets, quelques feux amoureux des étoiles, et qui pour les singer, disparaissaient soudain comme d'autres le font là-haut, au temps des pluies Quadrantides…

 

      Ce soir-là, les jeunes arbres installés autour de la clairière étaient nombreux à jalouser leur Frère bien plus âgé, planté et royal au beau milieu de ce site d’exeption. Mais il semblait que pour cette fois, de tout ce peuple que seuls les élus peuvent voir, ce sont des Pillywiggins: ces descendantes et descendants elfiques de leurs ancêtres celtiques d’Écosse et d’Irlande, êtres minuscules mesurant parfois moins d’un centimètre, mais ayant autant le pouvoir de rapetisser encore pour n’être pas aperçu, que celui de grandir ou changer d’aspect, et qui allaient être les premières et les premiers à prendre la parole pour accueillir les trois prestigieux invités:

 

– Je suis Topiary, dit l'un d'entre eux (il s'était avancé tout en augmentant sa taille) ce nom me fut donné parce que je me plais à habiter les parcs et les jardins d’agrément. Certes, me direz-vous, que fait donc en forêt un Alven? Alors, car je sais que nul ici n’ignore ses voisins, je vous répondrai que je me suis contenté de suivre le seigneur prince Gabryel depuis Castel Anatha, et que…

– Ainsi, l’interrompt Athénéïse, tu nous espionnes!

– Peut-être Madame…Et peut être pas! Car si vous ne m’avez jamais vu, sachez que je vous sers depuis fort longtemps.

– Cela est donc bien…Mais expliquez-vous…

– Je vous sers Madame, depuis le premier soir ou vous avez entrepris de traverser le lac! Sans mon intervention auprès de la fée grise qui est mon amie, comment croyez-vous que vous auriez trouvé la barque, et puis comment expliquer que celle-ci se soit toute seule chargée de vous mener au bon endroit sans encombre.

– Bon, c’est entendu, dit Gabryel en souriant, mais la fée du lac est ma servante, et tu le sais Topiary.

– Soit, mon prince, je l’admets, mais vous étiez alors absent…

– Allons, intervient Habygâ, en adressant un sourire complice à son père, nous ne sommes pas venus jusqu’ici pour parler des exploits aventureux de ma mère.

– Vous avez raison, je voulais juste rappeler à tous quelle est ma position à votre égard, et vous dire, par cette occasion, que vous pourrez toujours compter sur mon aide, notamment en ce qui concerne la sauvegarde de Castel Anatha.

 

Topiary salua poliment. Puis il reprit son apparence la plus courante, avec la tête coiffée d’une blanche clochette de muguet.

 

*

 

      Solidement enraciné au beau milieu de son lieu, le grand Cèdre Faye attendait ses hôtes. On le voyait tout couronné des Dryades. Cela l’endimanchait d’un apaisant reflet blanc vert, rendu d'aspect fluorescent par ce foisonnement de lucioles. Ainsi ornementé, le grand végétal faisait majesté trônant et dominant. Avec ses membres branchus, joliment aiguilletés: il ressemblait aussi au grand pavois d'une fière frégate, qui serait mouillée rade en fête, au centre d'un havre-bassin ceint des mats de plus modestes voiliers...

 

Quand le divin trio se trouva à son pied, chacun avait aussitôt collé sa joue contre la peau rugueuse, et de leurs bras en croix étendus au maximum, ils enserraient à présent le tronc à se presque toucher les doigts... et tout devint silence, l’osmose s'installant tout autour, dans la multiplicité. Il sembla même à cet instant de grande communion que l’on entendit battre, tout gorgé de sève, quelque chose qui faisait penser à un cœur de cathédrale en pleine effervescence. Venant de partout, en un joyeux ballet gris bleu éthérisé, un flot de photons se mit en mouvement. Puis, leur ellipse fléchissant, Ils prirent la direction du triple champ d’énergie vibratoire et spirituelle des trois déifiés dont la lumière intérieure commença elle aussi à s’animer. Cela se fit très progressivement. Jusqu’à ce que l’on s’aperçoive clairement de la triple naissance d'un grand rayonnement aurique. Celui de Gabryel, d’abord rouge vif, devenait de plus en plus clair: presque aveuglant, tandis que celui jaune, émanant d’Athénéïse, tendait à l’or précieux. On pouvait contempler aussi la vision d’une Habygâ toute baignée d’oscillations vert émeraude et bleues… puis violettes!... Et lorsque dans un grand jaillissement de lumière immaculée, les trois Auras se rejoignirent, ce fut l’apothéose!

Cela durait encore, lorsqu’ils obtinrent d'être relevés par la complicité du ciel et d’Anatha qui après s'être enfin débarrassée d'un nuage fort discourtois, usa de son corps d'argent réflecteur, afin de concentrer davantage le flot de sa lumière en direction de la clairière...

 

Pourtant, c’est alors que l’Arbre Faye invitait les trois divinités à s’asseoir côte à côte sur la proéminence de racines offertes en guise de siège improvisé, que cet acte naturel fut perturbé par un groupe de trublions hétéroclites essentiellement constitué de sorcières malignes qui, en toute indiscipline de moyens, apparurent soudain à la lisière de la forêt environnante…

 

– Halte! Fit une voix rocailleuse s’entendant mieux du côté de la rivière que du centre de la clairière...

 

De son côté, la déesse Habygâ, encore éblouissante de son aura, mais qui les avait pressenties avant même qu'elles n'apparaissent dans la lumière, leur adressa ces mots:

 

– Je suis venue en paix. Je vous entendrai donc de langage diplomate. Mais je vous demande de rester en retrait des autres, car je veux d’abord parler aux Demoiselles et aux Damoiseaux des Verts Royaumes; puisque c’est avant tout de leur soutien que j’ai le plus grand besoin…

 

S’ensuivit alors un certain remue-ménage parmi les fougères avoisinantes, ainsi que dans les roseaux de la « Rivière Naissante » avant que l’on ne vît carrément s'extraire la « Vielle Mère »...

À l’inverse de l’Arbre Faye, celle-ci était une Fée-arbre capable de changer d’aspect et d'endroit. Aussi, passant de l'image d'un Sureau, à celle d'une petite vielle courbée: elle avait déterré ses racines et substitué sa prime apparence, jugée probablement trop classique, à celle de cette femme âgée qui pour avancer, s’appuyait d’une canne obtenue de l’une de ses propres branches... Sobrement vêtue d'une robe faite de ses feuilles, levant sa main libre, elle désigna d'un index noueux l'endroit derrière elle où se trouvait encore le groupe de sorcières, tandis que dans son visage torturé et ridé, deux yeux vifs brillaient comme des fruits noirs.

Lorsqu'elle fut arrivée près du trio, elle esquissa vers lui un sourire empreint d’infinie bonté, et qui s'adressait plus particulièrement à la déesse restée debout… s’achevant pourtant comme un rictus de peine avec de la colère mêlée lorsqu’elle fit un nouveau signe d'obligeance sévère qu'elle envoyait cette fois en direction de la lisière, avant de s'adresser à tous, de la même voix de granit qui résonna dans toute la clairière:

 

– Ces majestés ont souhaité consulter les Sujets libres de la Nature Verte, annonça-t-elle… alors, espérons que le meilleur de la Forêt soit par bonheur avec elles... Je sais Habygâ et Athénéïse que vous êtes à notre écoute, car de bon principe. Vous êtes toutes deux nées ici parmi nous... Votre mère, ma chère Reine Habygâ, vous a conçue en parts égales d’amour naturel et spirituel. C'est ainsi qu'il y a de cela quatre-vingts saisons, elle vous enfanta sur la mousse, assistée de Dame Morganie, qui vit depuis longtemps parmi nous. Elle-même fut aidée de quelques Pillywiggins qui avaient été mis au fait de l'acte… vous aussi chère Dame-Reine Athénéïse: vous êtes née ici, comme votre fille. Depuis toujours, la Forêt d’Ardenne a accueilli et protégé de son mieux votre divine lignée pour ce qu'elle a du sang d'Ardvina. Alors s'il se trouve que nous servons maintenant plus particulièrement Habygâ, c'est que nous la considérons pour être devenue notre suprême Déesse. Nous savons que des sorcières vous servent aussi. Tandis que d'autres vous jalousent, mais vous craignent. Cela faisant, je vous l’accorde, l’équilibre est précaire dans leurs intentions envers vous. Mais à présent que le démon qui vivait sous nos racines est sorti de terre malgré nous, cela est devenu un péril pour tous, car il est possible d’alliances délétères avec des Elles qui sont parfois trop dévolues aux sombres démons et autres sorcières renégates, telles que celles venues sur l'heure pour perturber. Ainsi, par cela et d'autres intrusions dangereuses que vous connaissez, votre sécurité parmi nous est donc devenue malgré tout assez aléatoire…

– ça tu peux le dire! Fit une voix goguenarde s'entendant de loin du côté des sorcières…

– Habygâ t’a signifié qu’elle t’entendrait plus tard, gronda fort courroucée la Vielle Mère! Et puis, qui es-tu donc pour oser m’interrompre par la voix d'un misérable humain?

– Je suis Lucien, le poète maudit; certains me disent être à présent devenu tel un immoraliste qui s’opposerait même aux définitions ordinaires des biens et des maux, s'admettant que Je m’insurge en contrant le bien fondé par l'usage d'une position obnubilée. Et puis qu'importe votre avis, puisque de toute façon, le bien ne se possède pas plus que le bonheur... que l’idéal n’est pas au-delà... et que le but n’est pas la fuite… que même le mal, n’est pas de vivre: puisque le fait de pêcher, comme celui d'avoir des vices, montre en ce vingt et unième siècle un mal si irrémédiable, qu'il en devient l'apanage le plus populaire auquel l'on m'a souvent conseillé d'adhérer! Il n’y a plus pour moi d’autre bonne raison d'écrire encore, sinon qu'à m’intégrer parmi la coalition majoritaire gagnante. Même si pour vivre et apprendre ainsi, je dois rencontrer et participer à faire de ce mal, qu'il serve à équilibrer le bien.

– Alors reste ce que tu es, mais tiens-toi tranquille, lui enjoigna la Vielle-Mère!

– Madame…Intervient Gabryel, qui comme Athénéïse, s'était relevé de son assise: nous sommes ici pour parlementer, écoutons donc ce que souhaite nous dire cet humain dont l'esprit est mieux en équilibre qu’il le dit, car voyez-vous, s’admettant que mon épouse à pu le côtoyer autrefois, alors qu’il n’était encore qu’adolescent, il se trouve aussi que je le connais mieux que lui-même ne se sait.

– Je suis (dit encore Lucien) celui qui ôte au mal ce qui le culpabilise en faux en raison de son aspect négativement perçu… Depuis qu’avec Néphysthéo j’ai voyagé sous la terre, et que j’ai vu ce que nous autres les humains prenons injustement pour l’enfer, je cherche à supprimer ce sentiment erroné en combattant l’idée du péché originel autant que celui édicté...

– Fort bien! Intervient cette fois Habygâ: il y a en effet de la raison positive qui justifie ton action, mais ne te prends tout de même pas pour le dieu renégat que tu sers…

– Néphysthéo n’est pas ce que tu crois! Je le soupçonne de penser à toi en bien. Mais là n’est pas l’utile de mon propos… d’ailleurs je n’affirme pas d’être un exemple, mais je dis que si la haine est l’un des poisons de l’existence, il te faudra peut-être un jour oublier l’hostilité que tu pourrais éprouver contre lui.

– Est-ce tout ce que tu avais à me dire?

– Non Habygâ, mais ce serait alors trahir mes Maîtres que de t’en dire d’avantage.

– Et bien soit, nous allons enfin pouvoir continuer, soupira la Vielle Mère.

 

*

 

      La discussion dura longtemps, car il convenait à la déesse que toutes les délégations puissent être entendues. Mais cela ne fut pas simple!… C’est ainsi qu’il fallut écouter les bonnes Dames blanches: toutes annonciatrices et dévouées dans la forêt, car acquises à Habygâ. Et puis convaincre les hésitantes Dames grises, qui pour parler des âmes regrettées, voulurent s'adresser directement à Gabryel. Après, ce fut le tour des Dames de puits. Elles arrivèrent en se tenant par la main, comme en ribambelle… Et l'on vit même s'approcher aussi une Dame bleue Tyrolienne, qui lors d’un hiver trop rigoureux, avait quitté son alpage, pour suivre jusque près d’ici, l’âme en peine, car perdue, d’un berger à l’adolescence fragile. Elle s’était ensuite attachée à celle d'un autre humain nommé Arthur Rimbaud: un poète, qu'elle avait rencontré jeune, à la fois contestataire et timidement amoureux, alors qu'il affectionnait un refuge naturel pour s’y recueillir… Celui-là montrait un tempérament d’adolescent à la fois frustré et espiègle en « diable »… De fait il méditait volontiers dans sa chère grotte de Romery, lieu que connu aussi à son tour, l'humain Lucien qui vient de s'adresser à vous, en tendre poète maudit…

Il fallait évidement s'attendre à de plus âpres discussions face aux Dames noires. D'ailleurs, celle qui fut choisie pour s’adresser à la fille d'Athénéïse au nom des premières était une ancienne fée de lumière, somptueusement énigmatique, on la voyait vêtue d’une robe luminescente ourlée de carmin et de sombre. Elle se nommait Carmella. C’était une grande magicienne, qui à force d’effrayer sans le vouloir, avait fini par mal tourner. Elle prétendit tout de même pour sa défense, s’être un jour transformée en cerf de lumière: pour paraître au futur Saint-Hubert, alors chasseur impénitent qui délaissait son épouse… sans parvenir toutefois à empêcher que cette dernière n'en mourut à se languir… La fée avoua s’être entichée de Lucien le poète depuis qu'il avait changé, bien qu'elle visât peut-être, à travers lui, un personnage infiniment plus important?…

 

– Moi, déclara-t-elle tout de go, je suis votre ennemie à tous les trois!... Et d’ailleurs, je ne crains personne!...

 

Mais il s'avéra aussitôt qu'elle n'insista pas davantage quand Gabryel, pourtant difficile à courroucer, fit un pas vers elle en la toisant de son regard vert, tout en pointant dans sa direction un index accusateur...

Et puis vint une Dame-Rouge à la peau laiteuse. Elle était tout habillée de pourpre, et à la voir ainsi, c’était comme si du sang dégoulinait sur de la neige. Elle montrait des dents de chat et des yeux de feu! En guise de baguette magique, elle tenait dans une main l’aiguille à chapeau avec laquelle elle embrochait les âmes-cœur des hommes qu’elle savait séduire par ses sortilèges érotiques, et dont on ne retrouvait jamais au matin qu’une peau vide et rêche…

 

– Je suis aussi votre ennemie! Et d'ailleurs: Belzéé est mon amant! Et puis j’aime aussi Néphysthéo, même s’il pense secrètement à vous…

 

Venant après ce qu’avait émis Lucien à propos de l'éventualité d'un possible lien sentimental entre Habygâ et Néphysthéo, cette nouvelle révélation choqua cette fois la blonde Déesse qui s'emporta même en lui répondant... Bien qu'elle fût encore intérieurement très troublée d'avoir entendu des paroles beaucoup trop insinuantes à son goût…

 

– Vous n’êtes que de viles sorcières toutes les deux! Hurla-t-elle: des presque rien! Et je vous anéantirai!

– Allons ma fille, la tempéra aussitôt Athénéïse: je ne te connaissais pas cette hargne!

– C’est que, voyez-vous ma mère, le soupçon que ces trois là s’attribuent envers ma personne, engendre en moi des violences trompeuses de leur propre paroxysme… même si j’ai une mission de lumière à accomplir, je n’en ai pas moins comme vous un corps issu de la matière et donc, j’ai aussi des réactions naturelles…

– Assurément ma fille, car je sais cela pour l’avoir vécu, et je l’éprouve toujours avec ton père, mais c'est toujours dans la bonne humeur, et jamais de cette façon…

– Peut-être adviendra-t-il que tu saches sinon nous détruire, peut-être nous châtier Habygâ, puisque tu es notre Reine, répondirent ensemble sur le même ton acerbe, la Dame rouge et ses pareilles Dames Noires… (à quoi elles ajoutèrent avec une moue complice) ou peut-être pas… car, reprit seule la Dame Rouge: si comme je le crois nous sommes bien défendues, alors nul ne sait qui de toi ou moi peut préjuger de l'issue qui est aux aguets… Mais apprends tout de même, pour franchise, que si nous servons L'Hombre, malgré tout nous le détestons aussi, pour la simple raison qu’il est foncièrement un concurrent maléfique plus fort que toi et nous...

 

Sur ce geste subterfuge d’apaisement avoué, les sorcières malveillantes restaient tout de même sur leurs choix: celui de se considérer utile en ennemies du bien. C’est pour cette raison qu’elles furent invitées à se retirer, tandis que la Vieille Mère proposa au trio de déité de poser leurs mains à plat sur sa tête, et puis elle leur dit une phrase bienveillante qu'elle enchaîna en prononçant une étrange incantation :

 

– Vous êtes de puissantes Âmes de Lumière parmi celles qui habitent en Forêt-Noire… Que l’esprit hospitalier qui prend ses premières racines sur l'Ardenne soit en vous et avec vous…

« Akème karé téoum, abraé sébathé ».

 

Alors, ils disparurent aux yeux de tous. Pénétrant l’intérieur du Grand Cèdre…

Ils y signeront le Pacte d’alliance avec les Demoiselles des Verts Royaumes qui les y attendaient. Tandis que dehors, dans la ramure enchantée, la réception alfique renvoyait généreuse aux autres entités des branchages d'alentours, l’écho d'un frémissement qui serait mémorisé pour longtemps dans tous les troncs réceptacles essentiellement constitués de bois vivant…

 

***

 

Et si ce qui peut suivre vous semble anaglyphe,

C’est que s’écarquille un large regard supplétif…

Mon roman bée librement comme fenêtre défaite;

Née d'imagination qui s’échappe de votre tête.

Jugement s'appliquant contre front rédhibitoire:

Devant moi l’être n'est qu'illusion supplétoire.

J’ignore ce qu’il fait, s’il est juste malandrin,

Ou s’il plante un épieu noir dans un ventre malsain...

Cette chimère qui me trouble me met en grille:

Car par elle livré empoisonné, l’enfer me grille!

Je préférerais voir plus loin l'éblouie lumière,

Ou tirer des rideaux bigarrés crépusculaires...

For l’idée méditée : je me farde corps à corps…

Sous son ciel généreux, l'esprit m'illumine encore.

L’image parfait en moi son décor clair-obscur:

Mise à flot de soies faisant vague d'enluminure…

(Lucien)

¤

 

 



20/05/2020
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