le monde merveilleux de lucien

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CHAPITRE TRENTE

 

30

 

 

À l’heure où le char de Phébus se fond au crépuscule.

Après l’instant où s’assombrit la lumière incrédule.

Là, sur l’acier ridé d'un lac: perçant et dérangeant,

Viendra comme étoile sombrant: une Dame d’argent.

La belle en magicienne Athéna lira sa prière:

Laissant par-dessus haut sa métaphorique lumière,

Gracieuse en majesté de clarté achromatique,

La Déesse qu’assaille le Dioscure aquatique,

Sensuelle et grimée: fusera d’eau noire incarnée,

Quand la guerre des divines lui sera déclarée.

 

 

      Le temps des humains s'égrenait au rythme lancinant d'un mouvement pendulaire monastique. Pourtant, si la planète Terre poursuivait sa course immuable autour de son soleil, les hommes qui la peuplaient paraissaient de moins en moins éclairés… C'était comme si la juste lumière s'étiolait peu à peu dans leur âme. L'on avait bien tenté de gommer les horreurs de la dernière guerre mondiale, mais ce dévouement citoyen n'avait guère duré. Il se créait à présent de grandes sociétés d'humains consommateurs. Cependant que la pollution assassinait la nature à tout va: fabriquant des brumes noires qui peu à peu feraient bientôt la nique aux nuits sans lune.

Et d’ailleurs, ce fut justement lors d'une de ces nuits sans lune où tout peut arriver, que l'inéluctable se produisit:

Habygâ se trouvait alors avec Erzeré, aux abords de la forêt, lorsque Néphysthéo et Lucien débouchèrent ensemble d’un taillis.

 

– Que faites-vous en ces lieux qui sont miens, leur avait lancé la Dame de la Forêt tout en les ajustant du regard!

– Ignorerais-tu qui je suis!

– Je sais surtout ce que tu étais: un Ange-dieu frère, évoluant dans la lumière de ton créateur, mais je dois reconnaître que tu es à présent devenu le bâtard d'un être démoniaque. Alors il me reste à te châtier sur le champ! Lui lança par défi Erzeré, tout en posant sa main sur le pommeau d’Excaliatura.

– Je ne te crains pas frère guerrier: oublierais-tu que nous sommes du même berceau, et que ce faisant, je te connais peut être mieux que toi-même! Ainsi, chacun de tes gestes m’est chose prévisible. Nous sommes équivalents en presque tout, et cela même, jusque dans nos esprits qui se communiquent toute information de l’autre!

– Je sais cela, mais je sais aussi qu'à l'inverse de toi, j'ai appris à me battre. De plus, il se trouve que comme moi tu ne peux guère pénétrer l'esprit d’Habygâ, qui nous est très supérieure parmi la déité. Et puis, n’oublies pas non plus que Morganie la Guerrière, possède des pouvoirs de fées humaines. Mêlés à ceux des dieux: ils pourraient bien te surprendre.

– Ce serait peut-être compter sans mon Maître murmura Lucien… Et aussi…

– Allons, le coupa Habygâ, ne te montre pas si présomptueux! Que tu le veuilles ou non, bien que tu puisses maintenant agir et voir dans notre dimension, tu n'es pas et ne sera jamais l’égal de ce faux frère de Néphysthéo, ce pseudo fils adoptif d'un dieu sombre qui ne songe qu'à l'utiliser. Et puis je sais trop bien que quelque part, une partie de votre âme à tous les deux est restée pure. Alors, cessez immédiatement cette pantalonnade ridicule, et dites plutôt ce qui vous amène à oser me narguer jusque dans mon royaume forestier.

– Nous ne sommes pas aussi imprudents que tu le crois annonça soudain Néphysthéo… alors que l'obscur de la nuit sembla vouloir confirmer ses mots en devenant soudain plus cabalistique.

– Je le sais, lui répondit La Dame de la Forêt: j’ai l'intuition d'une autre présence: cela s’est joint en l’instant à la vôtre; pourtant je sais qu’il ne s’agit pas de l’Hombre, mais d’une minable copie démoniaque, envoyée par Belzéé et que mes amis les Elfes lucioles auraient tôt fait d’anéantir si je le voulais.

– Touché! Reconnut Néphysthéo beau joueur. Mais il se trouve que nous ne sommes pas venus jusqu'à toi ce soir dans le but de te proposer de nous entre-tuer. Et puis, je veux que tu le saches: je n’ai nullement envie de te porter atteinte, bien au contraire. Mais il se fait que je suis investi par l’Hombre d'une mission salutaire. Il s’agit de créer un royaume qui serait parallèle au tien, ceci afin d’équilibre... Car tu n’ignores pas, je pense, que ce n’est pas le dieu suprême qui est à l'origine des choses infernales, sinon que plus certainement les hommes eux-mêmes?

– Voudrais-tu insinuer que Satan n’existe pas, intervint Erzeré.

– Le Prince Satan existe, répondit Lucien: j’ai même visité son empire. Il est situé dans les entrailles de la Terre. Mais en revanche, je peux t’affirmer, et pour ne citer que celui-là, que le poète Dante a tout inventé de ce que certains psaumes religieux tentent eux-mêmes d’expliquer.

– Alors, qu’en est-il selon toi du mal qui ronge l’humanité entière, et crois-tu pouvoir la rendre vraiment meilleure rien qu’en la divisant?

 

Ce dernier propos d’Habygâ n’eut pas de réponse, car un violent éclair zébra tant le ciel que tous se turent soudainement interloqués...

 

– Néphysthéo! Hurlèrent les ténèbres..., tu es fils de lumière… Entends-le! Et crains ma colère!

– Tes propos ont, semble-t-il, déclenché l'ire de mon Grand Père, et probablement celle aussi du peuple de la Forêt-Noire, ajouta Habygâ… Ce soir tu n’es pas de taille Néphysthéo! Du reste, tu n’es pas mon véritable ennemi. Alors je te conseille de déguerpir de chez moi si tu ne veux pas mourir.

 

Pour cette fois, le fils de l’Hombre s'était incliné. Alors il tourna les talons, en geste d’apaisement… Probablement le dernier avant que leur guerre ne commence vraiment. Une guerre où peut-être, l’ambition malsaine d’un dieu Sombre pourrait finir par détruire ce qui reste d’amour s'abritant encore, dans de bonnes âmes humaines… En même temps que celui qui lui résistait encore dans un recoin discret de celles de Lucien et Néphysthéo qui ne parvenaient pas vraiment à sombrer dans la haine voulue par un dieu trop belliqueux à leur goût.

 

¤

 

 

      Le dieu sombre n’avait pas apprécié l’humiliation qui fut infligée à ses deux lieutenants. Et puis il ne pensait pas que l’intervention de Junyather ne soit autre qu’un coup de bluff. Alors il avait insidieusement décidé d’entamer d’autres hostilités. Il savait qu’il convenait d'agir au plus tôt pour déstabiliser ceux de ses adversaires qui lui paraissaient les plus enclins à lui résister, car il n'ignorait pas que s'il les laissait s'organiser davantage, il risquait alors d'éprouver de la difficulté à les vaincre... D'ailleurs, il avait compris que plus il laisserait filer de jours terrestres, et davantage il permettrait à ces mêmes ennemis de trouver à se coaliser, et que peut-être, ils se pourvoiraient d'un armement de défense qui, s'ils s’entraînent suffisamment à le manier, pourrait leur permettre de devenir des combattants aussi efficaces que les siens. Il avait donc demandé à Belzéé d’opérer sans tarder, en menant quelques actions de commandos. Et ce notamment, en pénétrant de nuit dans les maisons des adeptes qui se trouvaient à présent attaquables via la dimension parallèle comme autant l’autre... Notamment en pratiquant des apparitions diaboliques. Cela aussi pour tester leurs réactions...

Il s’avéra cependant de quelques unes de ces incursions mal préparées qu’elles étaient encore à mettre au compte des échecs. Tel que celle là où, envoyé par Néphysthéo, Lucien avait pour mission d’entraînement d'accompagner l'archange démoniaque, et que Belzéé se trouva soudain nez à nez avec deux molosses dressés pour l'attaque défensive. Naturellement il n'eut aucune difficulté à les neutraliser. Mais bien qu'elle fût très brève, son action avait tout de même été entendue. Alors, on avait pu voir des quartz lumineux s’activer. Obligeant les deux compères à rebrousser chemin… ne serait-ce que pour s'éviter d'avoir à combattre tout le village!...

Habygâ fut évidemment renseignée de ce qui s'était passé. Sachant les adeptes trop pacifiques pour organiser quelque chose d'eux-mêmes, elle les avait avertis qu’elle se rendrait sur place le soir suivant. Leur assurant qu’elle allait veiller durant toute la nuit en compagnie d'Erzeré et Morganie. Pourtant, rien ne se passa. La clarté lunaire était cette fois si intense, qu'il était possible d'y voir presque aussi aisément que de jour. Cela fut pareil la nuit suivante. Et le calme dura tant que l'astre éclairait encore, même faiblement... Mais à présent il faisait une nuit d’encre. Et cette fois, il semblait à tous que quelque chose qui serait encore plus noir allait s’abattre sur eux...

On avait précisé aux deux déesses et au dieu guerrier que les maisons situées au plus proche de la forêt étaient la cible-objet des atteintes malveillantes. Oh certes, il faut bien convenir que pour des Athsérians suffisamment courageux, il s'agissait là, du moins au début, de bien peu de choses à supporter que ces timides tentatives d'intimidations fantomatiques. Mais, depuis qu'il y avait eu ces deux "Cerbères" qu’on avait tout de même retrouvés au matin agonisant au bout de leur chaîne: l'un ayant le crâne fracassé, et l'autre exsangue, la gorge ayant été férocement déchirée par des crocs bien plus puissants que les siens… Leur maître avait tout de même pris la chose comme devenant très sérieuse. C'est pourquoi il avait demandé qu’on l’aide. Pour le cas où le démon déciderait de s'en prendre à lui et à sa famille de la même manière.

Certes, Habygâ ne pensait pas que cela soit d’importance suffisante à devoir se munir des nouvelles armes, mais elle avait tenu à passer la nuit à l'intérieur de la maison du propriétaire des chiens attaqués. Dans le but avoué de rassurer ses occupants à présent dépourvus de leurs défenseurs. Elle misait ainsi sur la sérénité que ne manquerait pas de provoquer sa présence auprès d’eux. Tandis qu’Erzeré et Morganie veilleraient à l’extérieur. Laquelle, étant capable d'y voir la nuit aussi bien que de jour, mais aussi de se mouvoir dans les airs, se tenait donc sur le toit. Elle y était à l’affût de tout. Prête à voler plutôt qu’à bondir tel un félin, sur tout ce qui aurait pu sembler suspect dans le rayon d'action qu'elle surveillait (fut-ce l’HOMBRE lui-même)... D'ailleurs en prévision de cela, elle s'était tout de même armée de l’une des toutes premières griffes à lames de Croôl et cran d'arrêt, qu’elle avait fait faire en secret. S'appuyant pour cela sur ce qu'elle connaissait de certains prédateurs féroces. Elle souhaitait presque de voir venir un ennemi. Bien décidée à tester l’arme, cela s'ouvrant d’une pression du pouce, pour former un éventail… mais qui serait pourvu de lames télescopiques coupantes comme des rasoirs et courbées à la façon des faucilles. Habilement manipulées, elle ne doutait pas que ces sortes de griffes seraient capables d’entamer d’un seul geste les cuirs démoniaques les plus épais. L'arme possédant la particularité inverse de se rétracter dans un manche d’ivoire, afin de ne pas risquer de se blesser soi-même en la gardant sur soi. En l'état, elle aurait certainement beaucoup plus d'efficacité que la patte d’un grand fauve. Forgé dans le dangereux métal issu de la transmutation alchimique, cela constituait certainement une arme de poing redoutable. Il convenait donc que Morganie, connaissant le combat à l'arme blanche, provoquât l'occasion d'en trouver le meilleur maniement qui soit. Car certainement, ce n'est qu'en l'utilisant habilement elle-même contre un démon, qu'elle saurait si ce moyen suffirait à lui infliger des blessures mortelles et même, d'autres très cuisantes à des dieux mauvais.

Elle présumait que tôt ou tard, elle aurait à se défendre contre l'attaque de l'un d'eux. Fut-ce pire qu’un ersatz démoniaque, une chimère initiée de ce dieu sombre, et qui oserait se faire menaçante: que la courageuse guerrière lui montrerait immédiatement ce dont elle est capable au combat! C’est d’ailleurs pour cette dernière raison qu’elle était la seule pour le moment à vouloir l’expérimenter. Alors, rien que pour connaître l'efficacité de l'arme nouvelle, elle était déterminée à s'engager dans la première bataille qui se produirait. Quand bien il s’agirait de détourner l’attention du dieu sombre lui-même. Au cas où il envisagerait de s'en prendre à Habygâ. Ou même, pour épauler le puissant Erzeré qui de son côté montait une garde vigilante à l’orée du bois... Il portait à son flanc une arme céleste qui s’espérait suffisamment redoutable pour repousser des imprudents qui se risqueraient à l'approcher. Même s'il fallait tout de même s’attendre à supporter le pire...

 

Or, tout semblait aussi calme que la nuit précédente; trop peut-être... Chacun aurait pu s’assoupir... Tant celle-ci présente s’avérait chaude et sombre.

 

Toutefois, ayant entendu un léger craquement, Erzeré décida seul d’aller voir de quoi il pouvait s’agir, et contre toute attente, il s'était peu à peu aventuré au-delà du champ de surveillance de Morganie. De fait, l'impétueux dieu guerrier s'était peut-être avancé trop inconsidérément à l'intérieur de la forêt…?

 

 

 

 



09/05/2020
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