le monde merveilleux de lucien

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CHAPITRE TRENTE-NEUF

 

39

 

      Décenie aprés décenies, les années de la terre avaient égrenées d'autres saisons, chaque nouvelle année ajoutant du passé… Et si le Prince Belzéé avait su se faire oublier, en revanche d'autres prédateurs, issus ceux-là de l'humanité, n'avaient pas manqué de se substituer à lui… Et de fait, l'on pouvait de nouveau craindre, comme durant chaque période de paix presque mondiale, qu'une sorte de lassitude dorée ne s'installe çà et là que pour mieux susciter ailleurs le réveil de ce qui subsiste de haine…

 

Se faisant que l'Ange dieu Gabryel sera fort occupé à étendre au-delà de la planète, et même ailleurs, l’acte de Paix dans sa propre Lumière, et s’admettant que quelques fous trop vite blasés éprouveront encore le besoin manifeste d'en tirer profit: alors on peut s'attendre que tout en jouant les enfants gâtés anarchistes et brouillons, ils chercheront à en convaincre d'autres qui à leur tour montreront leur férocité…

Considérant que le libéralisme équitable supposé bien réglé cache parfois sous son aile de fausse colombe, un brin d'autoritarisme en couvaison, alors, en usant d'arguments irraisonnés dignes des grandes médiocraties chaotiques, se forgera hardiment l'acier pointu qui s’attaque au sentiment émoussé. Pour mieux plonger directement dans le cœur tout juste épuré des purs à peine convalescents. Ou bien que quelques autres feront l'apologie dangereuse de leur propre sentiment libéralisé – pernicieux celui-là – qu'ils penseront d'être sans bornes. Mais en se faisant de la sorte oublieux d'un minimum d'attitude respectueuse de la tolérance obligée envers autrui, malgré le fait que la liberté des uns s'arrête fatalement là où commence celle des autres! Alors, dans les coulisses du « grand guignol mondial »… comme le nommeront ces fous pour évoquer le digne Parlement des Nations mis en place par l'ange dieu Gabryel, il existera forcément encore des gens capables de mentir derrière beaucoup des sourires. Et ceci cacherait littéralement des propos certes châtiés, mais gardés en attente, dans chaque subconscience, pour être secrètement crachés au visage virtuel de l'autre, forcément supposé suborneur. Lequel autre qui de toute manière, fera de même en riant sous cape, avec en prime, la garantie incontournable de l'alimentation continue de rivières verbales figurées pures, alors qu'elles charrient des flots de propos insanes et venimeux que ne manqueront pas de boire volontiers des bouches aussi égocentriques que de plus en plus juvéniles, car endoctrinées au berceau des propagandes fleurant bon l'esprit révolté d'un certain extrémisme parfois aussi discutable que son antonyme, car instruisant des adolescents qui annoncent fièrement à des moins jeunes encore, que la relève des vieux (trop) sages serait à prévoir pour bientôt…

 

Et de cela le vieux poète n'était que trop conscient du dérisoire de son action… Jusqu’en ce 28 juin 2028… Où Lucien ouvre encore les yeux sur son monde… Mais son vieux corps est gisant.

Va-t-il donc finir par se déliter sur l’alaise molletonnée d’un lit d'hôpital !?...

 

– Ô défunt futur! Si dans ce monde angoissé tout recommence à se décomposer: que serais-je "demain"?... Sinon rien moins qu’un mort-vivant, errant dans l’espace-temps indifférent du prochain siècle qui s’annonce, tout aussi décadent que celui d'hier...

 

Bien qu'il s'appliquât à nier malgré tout son raisonnement, notre vieux poète se disait à voix haute que son prochain Karma, s'il en est, ne serait pas meilleur que celui du temps présent...

 

Son esprit sombrait peu à peu dans le noir d'une sorte de néant chloroformé. L'on aurait pu croire à ce moment que la chambre où il se trouve tentait d’avaler la nuit et certainement lui avec… Seul un point rouge lui restait pourtant visible, à la hauteur d’un regard homme. C'était un peu comme une punaise lumineuse, qu'on aurait plantée dans le mur d’en face.

Ce n'est que le témoin récalcitrant de cette foutue fenêtre semi-potentielle, pensait probablement le poète.

Le malade ne parle pas. Il a mal: entièrement blindés par une tresse de métal chirurgical, deux conduits de nylon transparent sortent de son abdomen. Ils sont directement reliés à une machinerie pneumatique… Plus commun, un troisième descend vers lui depuis un support muni de poches et de flacons retournés. Il se termine par une aiguille profondément enfoncée dans une veine de son avant-bras gauche et distille goutte par goutte, un assortiment de liquides chimiothérapiques mêlés d'un autre, euphorisant, qui ne parvient pas à se montrer réellement efficace. Son sang maladif circule laborieusement. Pour exorciser un peu la douleur qui le ronge, le poète a choisi de fermer les yeux. Il fait entrer en lui le vide sidéral… agissant comme un certain Henry le lui a appris.

Alors, d'avantage que la morphine, c’est le fait de sa conscience, qu'il s'appliquait à élargir et qui l'emmenait à présent beaucoup plus loin dans l'avenir terrien.

 

Et voici qu'il se voit marchant dans un cloaque immonde. Son cerveau lui indique effectivement qu'il l'a propulsé dans le futur. Loin devant lui, un éclat scintille entre des troncs noircis qui barrent son horizon. On eut pu croire qu'il s'agissait de barreaux d'acier évadés d'une prison obstinée. Ce pouvait-être le fait de quelque activité subconsciente, rassemblant des souvenirs, derrière une barrière mentale… Cependant, quelque chose ou quelqu'un, lui refusait l'improbable espoir de ne revoir jamais libéré, le souvenir lointain d'une porte intemporelle qui aurait dû s'oublier... Pourtant il y a bien devant lui une présence emprisonnée qui se meut péniblement. Mais cela reste irréel. Un peu comme ces feux follets qui flottent nombreux dans l'air d'un temps qui est encore à venir, et qui se meuvent à la façon d'elfes rougeoyants dont le corps se consumerait, implacablement damné, dans une atmosphère terrestre devenue putride.

En même temps qu'elle se rapprochait, la lueur devenait autre: cela faisait penser à l'assemblage animé de quelques-uns de ces L.E.D. couleur d'émeraude ou de rubis, qui font office de regard pour quelque création mutante échappée l'on ne sait comment de la matrice utérine d'un jeu électronique. Mais dont il n’apparaîtrait rien d'autre qu'une image imaginée.

Peu à peu, des sons mécaniques très bizarres devenaient audibles. Bien qu'ils se perçussent hésitants, cela s'amplifiait tout de même, progressivement…

 

La douleur sourde qui sourdre comme du sang contaminé dans le ventre du poète s'estompe un peu… afin de savoir s'il est entré ou non dans « l'autre monde », Lucien ouvre à nouveau ses yeux tristes.

Alors son regard fatigué, n’aperçoit plus rien d’autre que le point rouge qui se vérifie toujours devant lui dans la pénombre... Mais cette fois à sa hauteur!

Et puis il le dépassa!

C'était comme si son corps rejoignait doucement le plafond!...

 

¤

 

      Lorsque notre vie se terre derrière la porte des ailleurs, alors qu'elle s'est avant dérobée devant un certain ésotérisme admis: cela ouvre-t-il notre pensée à la croyance d'une autre foi ou à plusieurs autres rattachées? La crédibilité reconnue peut-elle suffire pour que la vision itérative d’un rêve prémonitoire, lorsqu'il est attaché à un autre siècle, soit plausible?...

Nul ne sait en vérité ce qu’il en fut de son « avant » ni ce qu'il adviendra de son « essence » quand se produira la destruction inéluctable de son enveloppe charnelle. Pourtant, la suprême dévotion de l'esprit n'exclut pas de croire que toute prémonition qui se réalise avec exactitude est généralement angoissante. Et puis, cela ne s'obtient jamais sans le moindre fondement, même très basique.

Si le sentiment de la régression humaine semble bien trop réel pour des initiés comme le fut Lucien, un peu malgré lui, c'est peut-être que le train apocalyptique conduit par l'ange tant redouté, s’est mis en mouvement depuis si longtemps que l'on ne peut plus en descendre en marche: tant sa vitesse s'est accélérée... Et que même, si des prophéties affolantes qui furent écrites pour se réaliser en l'an 2000 n'ont pas eu lieu comme il était prescrit, on ne peut pour autant ignorer celles de l'an mil, qui vit beaucoup d'humains succomber à la peste bubonique sans exclure les dangers encourus par les apprentis sorciers de la manipulation génétique. Alors, pourquoi ne pas admettre qu'après tout, les aiguilles horlogères qui décomptent à contretemps nos jours à venir peuvent parfois s'avérer fallacieuses, notamment par le fait ancestral que leurs palpitations hésitantes commandent encore des rouages, qui sont pourvus de dents aussi cruelles que machiavéliques?

Non!... En vérité, le vieux poète Lucien ne saurait vraiment exorciser son mal généralisé. Sinon qu’à s'appliquer une dernière fois à nous confier son rêve de visionnaire, qu’il écrira encore, autant que faire se peut…

 

Au déclin du jour suivant, Lucien avait rangé soigneusement son cahier et son stylographe dans le tiroir du petit meuble blanc situé près de son lit. Vaincus par cet ultime effort, son corps et sa pensée semblaient s'être enfin assoupis... Mais la sérénité n'était pas vraiment au rendez-vous. Une nouvelle nuit d'errements et de douleur commençait. Et voici que cette même lueur changeante qu'accompagnait toujours ce son étrange resurgissait...

 

Quoique profondément endormi, le poète initié savait conduire sa raison afin de la placer en situation de sommeil paradoxal, bien encadrée par sa volonté, car il se défendait tout de même de sombrer dans une vision schizophrénique qui serait prise à tort pour l'annonciation de sa propre mort…

Et puis, qui peut affirmer que ce qui se perçoit dans de tels rêves est ou non le fait de ce qui est reconnaissable par un sens humain?

 

Mais, revenons-en à Lucien, car voici maintenant que son rêve lui apparaît plus vivant que lui-même. Ce qui informe à présent très sérieusement l'esprit du poète est une entité pourvue d'une âme révélatrice. Elle lui annonce qu'il vivra ces images dans un futur proche. Précisant à son cerveau encore actif malgré l’état lamentable de son corps mourant, qu'il s'agira de bien autres choses que d’éventuelles âmes en peine qui l'en instruiront. Et peut-être même que ce sont des entités fées qui sauront assurer son devenir à jamais dans le futur. Elle lui apprend aussi que d'autres êtres, carnés ou non, lui feront signe. Agissant comme des nomades dont l'aspect parfois fantomatique apparaîtra de temps à autre, dans ce qui subsistera de leur chère forêt.

À moins qu'elles ne soient devenues improbables, et déjà parties, englouties peut-être, par la croisée des quatre chemins virtuels?

D'ailleurs, même le moindre ectoplasme semblera alors aussi peu crédible que ce corps déjà pourrissant que le vieux poète habite encore pour un temps rabougri, bien qu’il ne le sente plus guère !

 

L’esprit de Lucien est heureux. Il est fin prêt pour le grand voyage. Déjà, il s'est mis en route pour atteindre le pays des ailleurs...

 

L’image fait un zoom. Le poète peut entendre des sons. Il les compare à d'autres, révélateurs d’une marche hésitante et lourde. Le pas est mécanique. Il écrase au passage ce qui reste de bois putride. Il y a aussi d’autres bruits. Cela fait des « bzz » et des « pffuitths » surprenants…

 

Plutôt que de retrouver l'angoisse du silence d'avant, la pensée chancelante de Lucien persiste à se réjouir les entendre. Comme de son vivant, le poète visionnaire se concentre mentalement pour ne rien en perdre. C’est comme si l'indicible mais bienvenu concert n'allait durer hélas qu'une brève éternité avant de se terminer en coda dissonante, ou encore, s’estomper peu à peu, jusqu’à cesser à jamais, en annonçant la mort du maestro...

 

Quand la voûte diaphane du rêve infini eu chassé les restes funèbres d'une nuit qui ne fut là, que pour prévision de l'arrivée d'un jour ne se préméditant plus pour lui: l’esprit vaporeux du poète pu clairement reconnaître l’image d'un androïde agonisant dans la fiente. Sa maigre réserve photovoltaïque ayant fini par s'épuiser... Alors, Lucien se dit peut-être encore, par le mimétisme pensé d’un corps déshumanisé, que bientôt plus rien de ce qu’il aime ne subsisterait sur la Terre désertée, et il offrit son âme à un ange dieu de lumière qui était de ses amis.

Si notre forêt venait comme Lucien à mourir, la grande faune qui l'habite disparaîtrait à jamais elle aussi... Et si l’on peut entendre encore réer le cerf aujourd'hui, ce ne sera peut-être demain que du silence qui hurlera sa tristesse par le jeu usurpé d'un comédien tragique qui ne vaut que peu...

 

Si je pars avant toi,

Écoutes dans le vent.

Si tu pars avant moi,

J'invoquerai l'avant...

 

Ce qui jouit de quintessence essentielle,

Dans l'art d'aimer paraboliquement sans ciel,

Se joue en quatre temps, pour iriser ses feuilles,

Faisant printemps fleuris sitôt l'hiver des deuils.

Quand le crépuscule d'une âme feue s'endort,

Dans l'aube est sa lumière précédant l'aurore:

L'héliaste poète dort enterré roide,

Sous des stèles ornées de leur perlée froide.

 

Poète aux quatre vents:

Si tu meurs...sans la foi:

Tu pars indifférent.

Mais si tu restes moi:

Je te vis déférent.

 

 



30/07/2020
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