le monde merveilleux de lucien

le monde merveilleux de lucien

CHAPITRE QUATRE-VINGT-QUATRE



         Ce qui intriguait davantage les trois anges dieu et la déesse, c'était certainement l’aspect  profondément noirâtre que leur montrait en premier la cinquième planète. Avec ici l’océan, les continents, et même la lumière qui s'obtenait d’une étoile au tempérament lunaire : tout semblait artificiel. Il reste que, en tenant compte d'une distance très inférieure à celle qui sépare la Terre de son soleil, l’idée d'un astre qui éclairait en clair-obscur, tout en chauffant comme il faut une planète sans la bruler pouvait s'admettre néanmoins "jouable"…. Sauf que la lumière qu’il dispensait paraissait être  délivrée selon une longueur d’onde peu éclairante proche de l'ultraviolet, car s'obtenant dans une bande spectrale quasi continue… Ainsi, la dentelle des eaux qui baignaient ses côtes inhospitalières semblait devoir écumer dans une rage qui se voyait très blanche à chaque fois que sa vague assaillait la roche. De même, l’atmosphère étouffante et paralysante opérait à la manière d’un lourd filet noir de rétiaire qui aurait le dessus permanent de son adversaire. Mais à la condition que le sol lui soit paisible et soumis.

– Hé! Avait émis Morganie en proie à un étrange frisson: si le dieu sombre qui règne sur ce monde, est de la même humeur que ce que nous voyons, nous devrons cette fois nous montrer plus prudents, voire, nous attendre au pire!
– Son désir est aussi noir que cela! Précisa Erzeré-Gabriel qui le voyait par l’esprit: je le distingue comme un être déchiqueté. Une entité noire rongée d’amertume. Et qui serait plaquée à un mur de rancœur qu’elle a bâti elle-même. Mais ne sachant comment s’en détacher. Son corps est superbe de noirceur, mais l’âme est en berne. Cette chose à son image: je la vois nue, car sans espoir. Elle semble vouée au délitement précoce. Depuis l’extinction d’une autre… Jumelle…  Sa pensée est noire, inexplorée par l’empathie, car inexplorable: même les mots qui ont quitté ses lèvres mortes restent suspendus au plafond de ses inconsciences. Résidus d'un monde carbonisé, anéantis par une catastrophe permanente, ils oscillent parmi les ombres… Avant de se donner en pâture à des monstres… Des têtes fantasmagoriques et menaçantes… qui s'agitent alors au-dessus d’autres têtes… Et alors le cauchemar devient permanent!
– En plus bref, nous allons tout droit visiter les enfers de Dante, proposa soudain Néphysthéo qui du reste, en avait eu un aperçu en se rendant autrefois dans les profondeurs inqiétantes la Terre.
– Brrr… Tout ça n’a rien de bon qui puisse se prévoir, s’inquiétait à son tour l'Ange dieu Gabryel…
   
         La sphère survolait cette fois une installation faite de constructions noires de forme conique. Elles donnaient l'impression d'avoir soudain jailli du sol en même temps qu'ils arrivaient, tant la vision infra rétinienne intermédiaire du petit groupe était mise à l’épreuve dans cette presque obscurité. Laquelle faisant penser à un clair de lune permanent. Mais qui serait trop assombri par des nues menaçantes. Et puis ce qu’ils voyaient gisait comme une ville qui aurait été bombardée, annihilée!

Avec la même impression de constructions carbonisées, ils aperçurent enfin deux gigantesques dômes noirs. L’on pouvait les croire abritant cette fois d'autres constructions. Peut-être les seules à avoir subsisté dans ce chaos?

– Bon sang, dit tout haut Néphysthéo: l’on croirait que ce monde a subi une catastrophe nucléaire!
– Il est ici, murmura Erzeré-Gabryel.

Il pointait du doigt l’un des dômes étranges.
Pourtant rien n’indiquait aux autres qu’il y eut là-dessous la moindre vie intelligente. Seules les facultés divinatrices qu’il avait obtenues du Très-Haut, permettaient au dieu photon d’avoir connaissance de certains murmures de vie. Quand bien leur auteur semblait vouloir rester cependant muet, l'esprit fermé, et donc indétectable pour un Ange-dieu de lumière autre que lui. Même Morganie ne percevait rien dans ce cas, sinon que du silence. C’est donc Erzeré-Gabryel qui avait choisi l’endroit pour poser la sphère et assuré seul la manœuvre.
 
       Personne d’accueillant ni de rébarbatif ne s’était manifesté depuis leur approche, certes discrète, mais hautement prévisible, puisque forcément renseignée à tous les fils de l'ombre depuis qu’ils avaient pu contacter Chondrichtyus. Mais c'était à croire qu’ils étaient devenus aussi transparents de ce côté de l’univers que le devenait la sphère, une fois codifiée de manière à disparaître, elle aussi du paysage. La première coupole ne révélant aucune possibilité naturelle d’y pénétrer, il avait été convenu d'aller vers une autre avant de se résigner à quitter le vaisseau. Ils ne disposaient donc pas pour le moment d'un autre moyen qui serait plus efficace, afin d'inspecter une à une les étranges parois, et ce le plus méticuleusement possible, que d'agir par un toucher direct.

– Rien à faire, maugréa Néphysthéo: nous allons devoir nous désintégrer si nous voulons vraiment traverser ce truc.
– Venez! Les héla pourtant Morganie. (Elle cherchait de son côté, par les airs) j’ai peut-être trouvé une entrée. J’ignore où elle mène, mais je pense qu’il serait intéressant de…

Le reste se perdit dans l'écho que devait produire un couloir qui se jugeait ténébreux, car la chasseresse avait déjà disparu à l'intérieur...

– Revenez! Lui enjoignit, mais en pure perte, Erzeré-Gabryel.

Il craignait à juste titre de cette nouvelle action aventureuse que commettait la déesse en s'engouffrant dans un passage inconnu. Celui-là faisant davantage penser à un conduit d'aération qu'à une vague galerie d'accès.

–  Il apparait que notre guerrière a décidé de se passer à présent de notre avis dès qu’il convient de choisir, qui de nous quatre, se doit de prendre le premier risque. Alors si-fait: puisque qu’elle nous a devancés, suivons là!

         La salle où ils avaient pu la rejoindre, était moins froide et ténébreuse que l'étroit boyau qu'ils avaient dû parcourir en diminuant leur taille, mais pas vraiment comme savait si bien le faire cet espiègle de Topiary. Ils avaient dû pour cela courber l'échine. Et puis ils avaient glissé en utilisant leur énergie mentale. Leurs genoux pliés et le menton dedans. Baissant la tête qu'ils avaient protégée de leurs bras, pour ne pas subir de blessures qui pourraient être graves, en cas de présence impromptue d'une ou plusieurs aspérités traversières qui se présumaient possibles.
Certes, bien qu'il fût spacieux, l'endroit où cela les avait conduits restait noir du sol au plafond. Le seul semblant d’agrément qui pouvait s'admettre, se concrétisait par la vision de trois portes: une bleue, une jaune, et une autre, dont le vert phosphorescent invitait à se jeter tête en premier dans un piège grossier.

– Alors messieurs, à laquelle selon vous de ces entrées potentielles feriez-vous le plus confiance?
– Et si nous tentions la porte jaune? Répondirent-ils dans un bel ensemble vocal.
– Bien vu! s’exclama la chasseresse: la bleue est factice, tandis que mon instinct m’avertit que la verte conduit vers une cage ionique, presque identique à celle qui protège le pays des âmes de Yäga. À ceci près que pour celle-là, nous ne connaissons pas le code de résorption, et que si nous y entrons, nous risquons de ne jamais en ressortir…
– Vous avez raison Morganie, et je l'ai pressenti avant même que nous vous ayons rejointe. J’en ai d’ailleurs informé mon père et mon grand-père alors que nous nous dirigions vers vous. D'où la belle spontanéité de réponse qu'ils ont montré à satisfaire votre question…
– Et que verriez-vous d’autre que nous ne percevons pas, Monsieur?
– Je sais que si la porte jaune est notre seule issue, en revanche elle s'ouvre vers l’inconnu.
– Donc, sauf votre respect: vous ne savez plus ?
– Si…

        Les sentiers qui conduisent vers l’inconnu sont autant de chemins que l’univers suit depuis longtemps. Plein de contradictions, de trous noirs et d'ouvertures lumineuses gavées d'obsessions et de grincements. Mais depuis qu’il était revenu de sa plongée dans les abysses de la matière sombre, Erzeré-Gabryel avait très vite compris que l’univers et le corps du Très-Haut de lumière ne faisaient qu’un. Se sachant désormais pourvu à son image, c’est donc qu’en théorie, il devait voyager lui aussi dans son propre corps? Certes la chose était abstraite, mais cela au moins lui permettait de se sentir chez lui dans ce tout nouvel endroit qui se découvrait à la fois proche et loin devant. Ainsi, peu de temps après qu’ils eurent franchi la porte jaune et emprunté des couloirs interminables, cela leur donnant l’impression de tourner en rond tout en s’enfonçant dans le sol… Après qu'ils eurent traversé trois autres salles identiques à la première. Et proposant les mêmes portes… C'est  au moment même où  ils traversaient la quatrième salle qu'il les avertit d'un nouveau danger. Comprenant que la déesse n'avait cette fois rien soupçonné, il l'informa mentalement. Il lui précisa que c’était  la même abstraction qui lui faisait savoir qu’ils allaient être interceptés:

– Il est inutile de tous nous préparer à combattre, précisa simplement le puissant dieu ange photon: l’action de Morganie suffira amplement pour nous débarrasser de ceux-là…
 
 C'est alors qu'ils virent des choses immondes: sortes d'êtres démesurés, ressemblants davantage à des ombres qu'à des zombies, et se décollant à présent en grand nombre des parois. D’autres arrivaient aussi par le couloir qu’ils venaient de quitter. Agissant comme s’ils avaient décidé de leur couper toute possibilité de retraite.


Ainsi que l’avait prédit Erzeré-Gabryel, la déesse Morganie n’eut aucune peine à les détruire. Le trio de dieux s’était tout de même positionné en défense groupée, chacun plaquant son dos contre le dos d’Erzeré-Gabryel. S’attendant à ce qu’il leur communique un peu de son énergie sombre. Ceci afin de décupler la puissance de leur écran aurique.

– Ceux-là ne sont qu’illusion leur dit encore Erzeré-Gabryel.. Ce sont des Marionnettes. Rien de mieux que des poupées de théâtre. Ce sont à peine des ersatz. Ils sont issus de l’entité noire qui les a plaqués au mur qu’elle a bâti elle-même, mais dont elle ne peut aussi bien qu'eux se détacher. C'est comme je vous l’ai dit tout à l’heure: un être objet fait de matière fixe. Et si son corps n’est pas aussi mou que ceux-là, c'est que son âme est trop souvent en berne, car sans espoir. Cette entité démoniaque fait partie des murs. Elle se comportera à jamais comme l’humain qui vient de perdre un être cher. Projetant un Psi-Kappa négatif, et se pensant définitivement vouée au délitement… À l'extinction! Décidément, cet autre fils du dieu des ténèbres est passé maitre dans l'art des pantins démoniaques. Souhaitons de ses frères, qu'ils aient bientôt d'autres projets que celui qui consiste à perpétrer les mêmes erreurs que fit en premier l'ange déchu, lorsqu'il s'échoua sur la planète Terre… Avant de se raviser quelques millions d'années plus tard, et laisser cela à des humains plus malfaisants que lui…

Puis, quand la chasseresse lui avait confirmé par télépathie qu’elle n’avait besoin d’aucune aide pour réduire à néant ce qu’il lui restait d’adversaires, y compris ceux qu'elle refoulait maintenant jusqu'à les ré incruster dans les parois de leur propre tunnel de matière malsaine: Le dieu ange photon avait appuyé sur la clenche qui permettait d’ouvrir la quatrième porte jaune, et leur avancée aventureuse avait repris.

– Cette fois nous arrivons dit-il laconique, au moment de sortir d’une cinquième salle, mais en se dirigeant cette fois tout droit vers la porte verte…
– Monsieur! Que faites-vous?
– Ne craignez rien Dame Morganie. Voyez-vous, il s’agit cette fois de la bonne porte. À présent, c’est la jaune qui ouvre sur une prison ionique. Quant à la bleue, sachez qu’elle n’est plus factice, car elle va s’ouvrir aussi. Mais je vous conseille d’oublier cette curiosité dont il est aisé de présumer le double piège. Et même, je vous invite cette fois, non pas à vous interroger sur ce qu'il pourrait en sortir, mais à nous suivre promptement, car sans cela, il pourrait bien cette fois vous en cuire!

De fait, à peine les quatre avaient-ils refermé et même bloqué la porte verte derrière eux qu’une nuée d’anges gris, armés jusqu’aux dents, déboulait par la porte bleue, et prenait l'entière possession des lieux que le petit groupe venait prudemment de quitter!




*




         Lorsqu’ils avaient pu déboucher enfin à l’intérieur du dôme. Nos amis avaient devant eux une véritable cité-dortoir!

-- Était-elle vivante? Était-elle morte?

Cela donnait l'image sombre d'un ensemble de sarcophages que l'on aurait posés debout comme des menhirs. Sauf que ces sortes de grands monolithes montraient une géométrie trop parfaite pour ne pas être inquiétants! Ils devaient avoir environ chacun quatre mètres de haut sur deux de base. Tous étaient séparés par un canevas de ruelles, parmi lesquelles ne circulaient ni véhicules ni piétons. L'endroit sans vie apparente, leur semblait plus figé par son éternité éteinte, qu’un cimetière faisant corps avec une nuit sans lune. L’on aurait pu croire que ce qui faisait penser davantage à des cellules d'isolement  qu'à des maisons, n’était en fait que des cocons dénués de vie interne. À moins qu'ils ne fussent là en attente de l’accueillir?
Au centre: posée comme une patelle géante qui serait accrochée sur le sol granité d'une vaste place circulaire, il y avait un grand bâtiment de forme vaguement conique. Ils y perçurent des mouvements. En même temps que se faisait sentir enfin la fragile émission tant attendue, de cette tiédeur particulière qui caractérise une vie d'être à sang chaud. D’un commun accord, ils s'y rendirent. Ils pensaient sans doute y pouvoir trouver, sinon le maitre des lieux, au moins une entité qui pourrait les renseigner.
Totalement inesthétique, le bâtiment blotti sous son unique toit pointu, ressemblait davantage à un bunker qu’à un palais. D’ailleurs, à peine s’étaient-ils présentés devant qu’un autre flot d’anges gris, aussi menaçants que des démons, avait jailli derrière eux. Il semblait en venir de partout! Tandis que des lueurs inquiétantes émanaient soudain des bouches des chimères de pierre noire qui ornaient cette espèce de citadelle en forme de tour unique que le quatuor s’apprêtait néanmoins à investir, tout prêts qu’ils étaient à unir leur force mentale si rien d’accueillant ne se manifestait. De fait, comme obéissant à leur volonté conjointe, le mur qui faisait face à eux sembla perdre de sa cohésion…

– Est-ce toi mon fils qui…
– Non père! Je n’y suis pour rien admit le dieu photon. Et puis je ne suis pas venu jusqu’ici en ami pour soudain me transformer en agresseur à la moindre tentative d’intimidation venant d'un éventuel adversaire qui se cache. Du reste, cette manœuvre qu'ils ont prise pour habitude d'organiser seulement après notre passage, n’est probablement qu’un déploiement destiné à nous jauger. Alors, puisque quelqu’un ou quelque chose a daigné nous ouvrir enfin sa porte: entrons voulez-vous!

 

Ils franchirent en effet l’obstacle sans encombre, mais la muraille se reconstitua aussitôt derrière eux!
 
         L’endroit qu’ils découvraient ne montrait rien de mieux que ceux, précédents, qu'ils avaient dû emprunter pour parvenir à celui-ci. Il était vaste et froid. Pourtant, bien qu’il n’y avait semble-t-il aucune source la propageant, une lumière crue s’était cependant installée peu à peu au centre de la pièce, dévoilant un curieux mage, un personnage indéfinissable. Ni homme ni femme: il s'agissait d'un être diaphane, au visage fortement ridé. De la taille d’un enfant chétif: il émettait des sons dialectiques à l'aide d'une voix monocorde qui semblait ne jamais devoir muer. Il était  somptueusement vêtu…

– Je suis l’équivalant d’un garde des Sceaux comme il en existe sur la planète Terre, les renseigna l’être, avec le parler d'un châtra triste qui viendrait de trouver le langage qui convient pour être enfin compris…
– J’imagine que s’il n’est pas prévu de protocole pour nous recevoir avec la déférence qui convient à notre rang respectif, c’est que votre maitre n’est pas d’humeur, le questionnait déjà Erzeré-Gabryel…
– Heu, je me demande si un seul être vivant sur cette planète noire n’est pas forcément dépressif, hasarda Néphysthéo en regardant leur interlocuteur.

L'ange dieu le scrutait lui aussi, droit dans ses yeux ronds sans paupière qu'il avait rougeoyants, mais seules les lèvres lui répondirent

– Veuillez me suivre, je vous prie ...

Les murs du large corridor qu’ils empruntèrent à sa suite étaient tapissés de toiles abstraites représentant des oiseaux morts…

-- Ces alouettes ont dû se fracasser contre des miroirs pièges, ne put s'empêcher de songer Morganie.

L'on pouvait voir aussi des dessins montrant quelques pantins tragiques. Plus loin, on pouvait distinguer le portrait d’un adolescent au visage défiguré par un sourire macabre. Il tenait dans ses bras une poupée noire éventrée: telle la grenouille écorchée vive des cours de Sciences naturelles de son enfance, la peau en avait été écartelée par des pinces pour révéler les organes internes.

-- Voilà trop bien montrées les prémisses d'une naissance pubère, contrariée par l’avortement d’une société délabrée, se dit encore la chasseresse…
– Hum, j’aurais souhaité une décoration plus joyeuse, murmura-t-elle cette fois à l’intention de Néphysthéo pour ne plus se parler seulement à elle-même.
– N'accordez pas trop d'importance à ce décor, feu mon pseudo père ravisseur, L’HOMBRE, m’a habitué à de pires choses, lui avait répondu l'Ange dieu.
– C’est à croire que celui que nous allons rencontrer lui ressemble comme un frère! Concluait à son tour le grand dieu-prince Gabryel,  plus enclin à en vouloir faire sourire les autres par ce jeu de mots, qu’à s’inquiéter davantage de cette sinistrose affichée.
   
C'est aussi qu'il sait à l'identique mais sur la terre, que beaucoup d’êtres, pour avoir été plongés dans les ténèbres, ne savent offrir aux autres que plus d'angoisse et moins de joie. Certains comme ici s'exprimant à leur manière, en peignant notamment leurs tourments sur des toiles: avec beaucoup de noir et peu de couleur vive, plus de drame que moins de légèreté. Sans pour autant se révéler malhabiles à faire naître l'émotion qui peut néanmoins extirper du plus profond de soi, à la manière de ces fantasmes morbides qui parfois sont autant les nôtres quand la dépression s'entrecoupant de moments d'euphorie nous ronge le cœur et l'âme… Manifestement, il était à prévoir que malgré tout, ce dieu des ténèbres qu’ils allaient rencontrer devait être à l'aise dans ses contradictions. Il devait être capable de manier à la perfection le ludique et le tragique, la tendresse et la violence! Et même ce qui rassure ou effraye…
Leur guide s’arrêta soudain dans une sorte de hall. Le sol revêtu de céramiques moires et blanches, présentait en son centre l’image d’une étoile à cinq branches. Elle comportait un cercle-anneau d’or massif, dont l'envergure devait avoisiner cinq bons mètres et le diamètre structurel, environs vingt centimètres.

– Je ne suis pas autorisé à aller plus loin, leur dit-il laconiquement. Je vous invite à vous positionner dans le pentacle.

Et puis il disparut subitement.

– Eh bien, puisque je ne perçois là aucun danger: allons-y se décida rapidement le dieu ange photon.
Joignant geste et parole, ils enjambèrent ensemble le cercle sacré.

Ce qui se passa ensuite ressemblait plus à une fluctuation de l’espace-temps qu’à un transfert d’atomes forcé. Pourtant, les quatre se trouvaient cette fois dans le cœur sombre, solide et tiède, d’une planète qui se devinait expiatoire.
Dans cet endroit où il convenait pour y voir, d'utiliser en premier leur pouvoir d'infravision: les mêmes oiseaux empaillés et habillés servaient de décors statufiés. Ils faisaient songer à des ersatz d'anges déchus qui seraient atteints de nanisme. Partout autour d’eux, ce n’était qu’hybridations d’animaux et d’êtres dont l’aspect vaguement humain faisait penser à des chimères inventées à partir de bouts de corps et pompeusement vêtues de tissus brodés, pour en masquer les coutures-cicatrices… Et puis il y avait, commençant à naitre, le même phénomène lumineux ayant dévoilé tout à l’heure l’ange gardien au corps et au timbre déjà vieux.

– Je pense que comme moi vous avez remarqué que cette fois ce qui nous entoure est puissant, car certainement plus vivant que décédé complétement, prévint Erzeré Gabryel.
– En effet lui répondit Morganie.

Elle s’était spontanément élevée de vingt mètres au-dessus d’eux et avait sorti sa griffe de crôol. Elle s’apprêtait manifestement à combattre.

– Vous êtes mes invités, fit une voix forte qui leur parvint depuis la lumière devenue soudain éblouissante et bleue à l'endroit qui se présumait devoir bientôt révéler en elle, quelque chose ou quelqu'un.
– Alors dans ce cas, que font autour de nous ces montres qui nous menacent, lui renvoya le dieu ange photon encore plus puissamment.
– Ils ne vous feront rien si vous ne faites rien qui me déplaise, les rassura à demi le dieu Jlerdan qui venait d’apparaitre, alors que le plasma lumineux émettait un léger bruit d’éclatement.

Ce qui eut pour effet de le faire s’éparpiller dans l’air tiède d’un endroit leur apparaissant cette fois si vaste, qu’il n’était pas donné à un regard humain d’en voir les limites.
Le dieu sombre était superbe: il présentait un corps puissant et beau que l’on pouvait présumer quasiment invincible, tant ses muscles saillants imposaient l'image de la puissance. On pouvait aisément l’imaginer maniant des armes célestes avec dextérité. Même Morganie le pensait apte à la vaincre:

– J’imagine que votre force physique prévaudrait sur tous ceux-là attaquant à la fois, lui adressa de haut la chasseresse. (Elle ne semblait nullement intimidée par son regard.) Mais sachez qu'ils empestent déjà la mort qui les guette s’ils esquissent un seul geste à l’encontre de nous! Et je vous préviens que c'est vous que j'égorgerais en premier si vous leur donniez cet ordre! Alors, auriez-vous la déférence de les obliger à reculer?

Le dieu Jlerdan communiquait probablement par le mental avec les chefs de sa garde, car, si aucun son n’était sorti de sa gorge à ce moment, en revanche sa petite armée de morts-vivants avait lentement reculé jusqu’à gagner plus loin des ténèbres environnantes.

– Voilà qui est mieux!

Par cette expression, le dieu ange photon signifiait qu’il appréciait le geste d’apaisement que venait de consentir ce seigneur des ombres.

– Si la pensée profonde éclaire le plus souvent la noirceur, reprit-il: je puis penser de vous qu’en s'y mêlant, la lumière qui émane de votre personne et même de votre ange gardien nous recevant tout à l'heure, fait aussi douceur qui tempère vos deux tempéraments...
– Tant qu’un dieu de lumière n’entreprend pas de chose catastrophique contre un dieu des ténèbres, rien ne saurait tuer l’un d’entre nous, monsieur l’envoyé!
– Cependant, c’est bien un fils du Très-Haut des ténèbres qui est venu me combattre chez moi! Ne put s’empêcher d’interjeter l'Ange-dieu Gabryel, répondant tout de go à la réflexion quelque peu vaniteuse de son homologue de l’ombre.
– Si vous plaidez la mémoire de votre frère L’HOMBRE qui m’a enlevé de chez moi pour me transformer, je crains que notre entrevue ne tourne court! Ne put refréner à son tour Néphysthéo.
– Allons messieurs, calmez-vous, leur enjoignit Erzeré-Gabryel qui les avait tous deux vouvoyés pour faire à son tour bon poids d'autorité devant la morgue que ne cachait pas Jlerdan… nous ne sommes pas venus jusqu’ici pour nous entretuer, mais au contraire, pour rester vivant afin de pouvoir discuter ensemble de l’avenir de l’univers en son entier. Alors, si comme je le sais de mon père spirituel qui est notre créateur commun, il se trouve que nos différences seraient complémentaires. Étant entendu aussi que c’est peut-être de notre collaboration d'aujourd'hui que pourra s'obtenir demain l’idéalisation cognitive humaine. Ainsi seigneur Jlerdan, en espérant que votre puissance physique apparente est égale à celle invisible de votre entendement, j’ose penser que vous accepterez d’éviter la naissance d'un autre conflit! Et que comme moi vous considérez que ce que vous affichez partout, à savoir, la fin du monde, l’apocalypse, les vestiges, les destructions… n'est là que pour prévenir contre toute idée nouvelle qui engendrerait d'autres morosités et nous fourvoieraient à jamais dans les méandres d’un avenir sombre où règnerait le chaos ! La colère fanatique que la perte d’un proche entraine saupoudre de néant l’amour fantastique… L’anticipation dont fit preuve l'un d'entre vous ne fut certes pas pour autant tirée d’humour noir jouissif! Surtout si l'on n'y veut voir rien que des masques de mort posés sur des corps recousus et des oiseaux gisants, et qu'alors, la moindre égérie abandonnée, se penserait disloquée pareillement à vos cadavres disséqués… Votre ville Monsieur, construite sous une coupole imprenable, ressemble à un fantôme emprisonné… Rien ne vous empêche cependant de croire au meilleur des mondes! En pratiquant des fenêtres dans les murs de vos cônes-pyramide, vous y feriez pénétrer d'autres lumières autrement naturelles que les vôtres artificielles! Et c'est à ce moment que tous les espoirs qui sont permis seront un jour à la portée de tous les êtres qui font partie de votre vie…
– Je ne m'attendais pas à rencontrer quelqu'un d'aussi sensible, lui répondit le dieu Jlerdan après qu'il eut esquissé le geste d'un discret applaudissement. À l'inverse de vos gens, vous m'apparaissez tel que décrit par mes quatre frères pour être certainement aussi fort que moi, mais aussi tellement porteur d’espoir et de paix que j'en ressens presque du bonheur. Alors, s'il vous plait, calmons-nous, et nous pourrons ainsi parler avec ce qui nous conviendra de générosité.
   
Contre toute attente, la déesse Morganie, l'Ange-dieu Gabryel, le dieu photon Erzeré-Gabryel et son père l'Ange-dieu Néphysthéo, reconnurent cette fois en Jlerdan un dieu à la fois puissant et magnanime. Ce fut finalement à la suite d'une longue discussion qui se révéla enrichissante de part et d'autre, qu'ils quittèrent cette cinquième planète. Ils emportaient un parchemin sur lequel figuraient cinq signatures, et il n’y avait pas de raison à ce stade de leur mission pour désespérer d’en obtenir cinq autres…

 



*



Tout conflit qui s’évite est un bien sidéral,
S’il en sait engendrer l’entité idéale.
Autant qu’ombre et lumière pourront s’allier:
Rien d’autre ne saurait mieux voir s'affilier.
Couleurs de la nuit qui se noient dans le destin
D'un soleil-Lune qu'on allume anti chagrin:
Le temps s’impossible for l’humeur qui sourcille,
Si pensée noire la guète: flamme vacille.
Drapeau de la paix pour trêve ô ma Séléné
De guerre lasse: nous voici sérénité!
Couleur qui diapre en virginisant autour:
Blanche entité fait colombe du noir vautour.
Ce qui fait ornement né d’appogiature:
Percera des nues ô romantique nature.
Couleur d’espoir fait sémantique poésie.
Clarté qui s’émancipe de La Boétie…
Et sublimée par Vincent, belle sur la toile
Fleur qui tourne le col saluant son étoile
Le pacte la fera source qui se pavoise
D'âmes sœurs s'y attachant mieux que siamoise



25/02/2022
8 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 13 autres membres