le monde merveilleux de lucien

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CHAPITRE TRENTE-SEPT

 

37

 

      Menée par Néphysthéo, la troupe des soldats Athsérians avait quitté le village. Ils emportaient avec eux le corps roide et froid de la déesse Morganie.

C'est ainsi qu'ils étaient arrivés devant l'antre de la Dame rouge située à mi-chemin d’un discret passage intemporel menant vers le lac et son Manoir, Castel-Anatha.

 

– Je capte difficilement les informations que m'envoie la forêt, avait murmuré Habygâ qui marchait au plus près de sa marraine avec pour espoir de la garder «connectée»… C'est étrange lança-t-elle mentalement à l'intention de Néphysthéo: il y a quelque chose qui me fait défaut ou m'empêche de savoir où se trouve présentement l'archange déchu. Cependant que mon intuition me conseille de lui couper toute possibilité de retourner chez lui avec ce qu'il lui reste de démons...

 

Ils étaient donc là, prêts s'il le fallait à s’organiser en «comité» de réception, jusqu'à même penser que défaire le Diable était devenu possible. Leur conviction les tenant prets à exterminer en premier ses démons, et aussi tout ce qui relève de ses diableries, quand soudain la Grande-Déesse ressentit une violente douleur! Puis elle avait porté sa main gauche à son épaule droite et s'était effondrée.

Simultanément, la sphère de lumière s'était posée doucement. La déesse Athénéïse en était sortie aussitôt et se trouvait devant sa fille Habygâ qui semblait endormie. Alors elle avait voulu lui toucher le front de la main gauche, mais au lieu de cela, elle l'avait portée elle aussi à son épaule droite, et puis elle avait ressenti un violent malaise:

 

– Il est arrivé quelque chose de grave dit-elle soudain... Gabryel... Il est peut-être... Et puis Erzeré... lui aussi... C'est... L'Hombre!... Et puis elle s'effondra…

 

– Je ressens l'annonce d'une mort, dit tout bas Néphysthéo.

 

Puis il porta la main sur son cœur et baissa tristement la tête. Un être, qui par la force du destin lui était devenu cher n'était plus!

C'est à ce moment que quelque chose de furtif avait frôlé son visage, puis, tour à tour, celui des trois Dames… Alors Néphysthéo s'était agenouillé, respectueusement, tandis que se faufilant, une âme entrait subrepticement par le trou resté ouvert au sommet du crâne de Morganie. Ce qui fit que son corps fut soudainement pris par de drôles de tremblements. On avait l'impression de le voir soumis à un intense courant électrique. Puis, bien que les yeux se trouvaient encore réfugiés au fond de leurs orbites, elle battit des paupières, mais elle les referma aussitôt: tout en portant sa main gauche à son épaule droite... Alors, hormis les trois Dames Déesses qui se trouvaient en état de léthargie, chacun leva ostensiblement le front vers le ciel. Tandis que quelque peu inspiré par la nostalgie du moment, le poète Lucien s’était pris à improviser des vers, saluant à sa manière, l'âme d'Erzeré quittant la Terre:

 

– vous tous!

 

Voyez-vous ce qui nous éclabousse!

Car voici l'amour venu à votre rescousse:

Grain du ciel, semé par notre semeur auguste…

Dans l'univers de la lumière des justes…

Dieu de lumière tu as donné ta vie…

Monte plus que les nues: ô belle âme ravie!

Regarde Vénus! Pour la volupté éternelle

Qui nous éclaire encor… de sa lune nouvelle...

 

– vous tous qui l’aimiez:

 

Surtout point ne pleurez!

Mais glorifiez

L'Ange dieu Erzeré!

 

      Quand Lucien eut terminé sa brève supplique, on put alors entendre, d'abord faible et mal assuré, puis de plus en plus audible, le souffle d'une voix qui émanait faiblement de la bouche de Morganie:

 

– Je... Ma… mission n'est pas… terminée... Junyather... Il vient de me commander… Il me faut aller à la rencontre de la Dame rouge... Mais vous monsieur... Que faites-vous ici à mener nos rangs... Serions-nous vaincus?

 

– C'est plutôt moi qui le suis, lui répondit Néphysthéo.

 

Il se révélait très agréablement surpris de cette soudaine résurrection de la guerrière…

 

-- Car madame, précisa-t-il: c'est tout le contraire!... Du moins de ce côté de la forêt où je suis devenu votre obligé... Or, voici que si deux Dames se sont effondrées, tombant après vous en pâmoison, c'est à peine si revenue de la mort que la plus guerrière d'entre elles songe de nouveau à se lancer dans une autre action aussi improbable que celle qui faillit bien la tuer... Il m'est avis que tout cela ressemble trop à des actes suicides répétitifs! Et puis, voyez votre corps... Il ressemble à celui d'une sorcière millénaire ne tenant autrement qu’allongée! Qui croyez-vous pouvoir intimider dans votre état? Certes pas même un gnome pacifique!

 

– Il me semble que ta déroute ne t'a rien enlevé de ta verve prétentieuse, répondit la guerrière tout en redressant le buste! Et je me pose des questions pour ce qui concerne le choix de ma filleule à ton endroit!

– Co... Comment avez-vous deviné ?

– Allons, mon petit Néphysthéo, pourquoi crois-tu que je t'ai toujours épargné à chaque fois que je t'ai vu seul, sans aucun chaperon.

– Ce n'est pas ce à quoi je pensais...

– Cessons cela qui mous prend trop de notre temps précieux à tous les deux. C'est à travers sa mère que tu aimes Habygâ depuis toujours, et ça, je le sais aussi, mais saches à ton tour que ce que tu vois devant toi n'est qu'une partie de moi, celle vampirique, représentative de mon âge réel, et que s'il me faut du sang neuf pour la régénérer, alors autant que ce soit celui d'une autre sorcière plus jeune que moi. D'ailleurs, vois-tu aussi le trou qui subsiste dans mes cheveux? Il ne s'est pas refermé! Cela veut dire que mon âme pourrait bien de nouveau s'échapper! À moins que je ne fasse maintenant une action qui la décide à rester dans ce corps ingrat. Quelque chose de fort en courage, et qui la satisfasse suffisamment pour qu'elle poursuive en moi son karma.

 

Manifestement convaincu malgré lui que la déesse brune avait raison en presque tout, Néphysthéo acquiesça d'un hochement de tête, tandis que déjà, Morganie s'était assise au bord de son brancard qu’on avait levé à la bonne hauteur. Puis elle avança une main sèche et ridée, en passa l'index sur ses lèvres avant de le porter dans le champ de son regard redevenu flamboyant. En voyant les scintillantes particules animées comme des électrons dansant une sarabande autour de leur noyau, et qui étaient subrepticement passées de ses lèvres à sa phalange, elle ramena son doigt qu'elle posa sur sa bouche, embrassant longuement une image qu'elle était seule à percevoir. Puis elle dirigea sa main vers le ciel, paume ouverte en direction de la planète Jupiter… Après quoi, les yeux mouillés de larmes d'amour, la divine guerrière se leva en titubant et marcha vers son destin...

 

Les deux autres Dames déesse de la Forêt s'étaient réveillées elles aussi... Il ne faisait aucun doute alors qu'elles étaient mues par le même esprit triparti: comme s'il 'agissait de la même âme, du même karma, et qui serait étroitement lié car dépendant de chacune !

 

– Viens!... Dit soudain la déesse Athénéïse à sa fille Habygâ.

Et puis, sans plus ne rien se dire d'autre, elles s'étaient prises par la main pour entrer ensemble dans la sphère qui s'éleva aussitôt sans émettre le moindre bruit.

 

¤

 

      La Dame rouge fixait Morganie comme s’il s’agissait d’une proie. La haine qui l'habitait à ce moment-là était à son paroxysme. Faisant témoignage d’une puissance profondément maléfique prête à vaincre la détermination offensive que lui opposait son ennemie…

Après avoir échangé des phrases assassines, c'était à présent deux dévoreuses qui se faisaient face. L’on aurait presque cru voir par elles, l'image de deux Mantes religieuses diabolisées. L'une montrant encore une peau rugueuse à la fois grise-verte et froide, revêtue du vêtement de cuir noir qui fut lacéré durant son précédant combat, serrant dans chaque main une griffe de crôol. L'autre au teint de lait, se montrant bouillonnante car prête au débordement, qui était gainée de pourpre, et avec au bout des doigts de longues aiguilles courbes rappelant les griffes des chats sauvages, mais en bien plus dangereuses et sournoises.

 

Néphysthéo avait voulu accompagner la Déesse guerrière jusqu’aux abords immédiats de la caverne, mais il était resté au-dehors. D'ailleurs il ne savait plus ce qu'il lui appartenait de faire ou de décider. Il se sentait si vide, désespérément inutile! Ce qui pouvait se passer à présent dans l’antre menant à Belzéé ne le concernait plus. Il s’adressa au poète Lucien qui se trouvait à son côté:

 

– Mon ami, je me sens dérisoire en ce monde, après avoir servi des idées prédatrices voici que je suis devenu un pleutre amoureux, lança-t-il au poète.

– Néphysthéo, j'ai toujours ressenti chez toi cette sorte d'amour rare qui est garant d’une belle droiture dans l'amitié...

– Tu as peut-être raison Lucien! Tu es un brave homme ayant beaucoup souffert, et tu m'es en cet instant d'un grand secours.

Et ils s'étreignirent… très fraternellement: avec des larmes dans leurs yeux.

 

C'est à ce moment de grande fraternité qu'à l'intérieur de la caverne il y eut une explosion de lumière, qui fut immédiatement suivie d'un puissant souffle de chaleur tout chargé de poussière. Il balaya tout sur son passage! Soulevant et brûlant même le rideau de lierre, ainsi que le grand houx qui protégeait l'entrée des regards indiscrets. De fait, l'on pouvait s'attendre à voir surgir Satan lui-même car ce qui venait de se produire ressemblait au souffle de l'enfer... Mais il n’en fut rien, car lorsque le nuage se dissipa c'est Morganie qui leur est apparue, et seule!

 

Elle était superbe! Elle paraissait même avoir rajeuni! Plus rien ne se laissait supposer du trou qui existait auparavant dans ses cheveux noirs de jais... Si ce n'est une simple cicatrice, pas plus grosse qu'une étamine de rose. La guerrière représentait plus que jamais cette déesse sublime que montrait autrefois la tapisserie dans la Grand-salle de Castel-Anatha !

 

– Allons mes amis! Cessez de pleurnicher leur dit Morganie sur un ton de voix qui se voulait gentiment railleur… Et d’ajouter en époussetant machinalement sa tenue à peine plus lacérée qu’avant:

– Avec tout ce boucan, Belzéé pourrait bien arriver à l'instant, et si nous ne nous organisons pas mieux que cela: au lieu de lui donner une leçon, il se pourrait qu'alors ce soit lui qui nous jette par terre et nous piétine en grand vainqueur pour venger la mort de sa maîtresse!

 

¤

 

      Cependant qu'implacable, la mort rôdait là-haut sur la terrasse de Castel Anatha…

 

Même le regard bleu de Gabryel semblait s'étre à jamais perdu…

Il fixait à présent le ciel qui était lui aussi devenu sombre. Son pauvre corps serait bientôt aussi froid que le dallage de pierre sur lequel il gisait maintenant.

 

Quand la sphère se posa enfin, Athénéïse accourut aussitôt vers son mari. Aidée de sa fille elle adossa l'Ange dieu agonisant contre la muraille:

 

– Mon tendre, mon aimé, reprends je t'en prie ce que tu m'as donné de ton énergie pour me sublimer!... Car je sais que tu le peux… et alors je redeviendrais certes mortelle, mais nous pourrions encore partager quelques belles années à regarder grandir la foi des humains par le cœur de leur nouvelle rédemptrice… Notre fille sera alors notre messagère de paix éternelle. Je suis certaine qu'elle obtiendra cela mieux que nous.

– Crois-tu vraiment ma mère que je pourrais mener à bien cette impossible mission sans ton aide objecta doucement la déesse Habygâ.

– Non ma fille, tu ne seras jamais seule, car je sais maintenant qu'un autre dieu de lumière, aussi jeune et sincère que tu l'es, et bientôt puissant lui aussi, comme le fut ton père, sera capable de te donner le même amour que celui que j'ai reçu. Je suis persuadée que si l'Hombre a failli dans son projet de le rendre mauvais, c'est certainement parce que cet autre Ange dieu t'a toujours aimée, alors même que tu n'étais pas encore créée dans mon corps. Il est certainement lui aussi porteur d'une nouvelle force de Lumière, car encore plus que ton père, il a connu en moins de temps que lui les grandes souffrances humaines. Et si par bonheur, dans ce qu'il faut de cycles lunaires, tu viens à porter un enfant à ton tour: alors j'ose penser que cet être issu de vous deux pourra « s’asseoir » prés du Grand Créateur.

 

Habygâ n'avait rien répondu, elle se tenait pieusement agenouillée près de sa mère et pleurait doucement… cependant que les mots prononcés par la divine poétesse monteraient peut-être vers celui qu’elle venait d’évoquer? À moins d’une intervention de Junyather cela resterait improbable… Lui seul connaissait l’avenir de son Fils… ceci n’excluant pas pour autant le comportement facétieux du hasard… Oh il y avait aussi le Conseil des Justes qui pouvait en débattre… mais cela pouvait nécessiter qu’un certain temps s’écoule sur la Terre… et c’est justement ce dont le Prince Gabryel disposait le moins… Alors, à moins d’une intervention conjuguée des astres déifiés les plus concernés par la Lumière-Des-Justes en notre galaxie, tout semblait irrémédiablement perdu.

 

À ce propos, et bien qu’elle se trouva au début fortement masquée par les nues, langoureuse au visage argenté: la lune avait certes accepté de se décaler peu à peu de son orbite… Afin qu'au moins le Soleil puisse voir dans son image de quoi il en retournait ici-bas, malgré que la nuit se soit à présent installée.

 

Bien qu’appréciant fort sa situation à l'échelle planétaire, l'Amant, coquin, se plaisait à flirter avec la Belle, en lui offrant un peu de cette chaleur qui ressemble à celle d'un amoureux câlin quoique platonique... Mais dès lors que le reflet de ses rayons parvint à percer les nuages, ce qu'il vit l'affligea tant à son tour, qu’il s'échappa de lui une vague d'émotion. C'était à la fois magnéto-nucléaire et électro-nucléique: l'onde se révélait composée d'étranges molécules de lumière liquéfiée. Sorte de plasma énergisant. Lequel est fort utile pour donner de la vitalité aux Anges... Et puis cela qui s'était peu à peu affiné, s'effilochant en prenant pour cible la planète bleue… sans être dévié par le champ magnétique terrestre ou détruit lors de sa traversée périlleuse des couches atmosphériques de la Terre, le fin fuseau de particules ne s’éparpilla pas. Et c'est ainsi que par un autre enchantement inconnu, il se dirigeait précisément en direction du corps de Gabryel... allant jusqu’à pénétrer l'horrible plaie.

 

¤

 

 

      Lorsqu’il fut revenu sous le couvert de la forêt, Belzéé s’était aussitôt adressé aux démons qui l'attendait là. Il avait ordonné que tout soit abandonné sur le terrain. Armes et matériel de guerre. Décidant de leur inutilité tout en précisant qu'il n'avait plus rien à faire ici. Alors, sans rechigner, le petit groupe de rescapés s'était mis en marche. Prenant la direction de l'antre de la Dame rouge. Puisque c'était le passage obligé le plus proche, et donc le mieux indiqué pour s'en retourner, comme le créateur avait dit: «là où ils auraient été mieux inspirés de n’être jamais sortis de terre» s’éstimant que leur époque était en passe de se trouver révolue.

Mais c'était compter sans le Petit-Peuple, manifestement appuyé de tous les Fayes qui se rencontraient en route, prouvant ainsi que les grands végétaux de la Forêt n'étaient absolument pas disposer à sentir ces « mauvais » frôler encore leurs racines, ou encore, de les savoir grouillant de temps à autre derrière les portes virtuelles de la dimension parallèle. Tous s'ingénièrent donc à les harceler par mille pièges naturels... Et ce fut tant réussi que malgré leur robuste constitution, ils arrivèrent avec retard, car non sans mal, à l'endroit qu'ils convoitaient: se trouvant forts harassés et tout couverts de griffures, comme aussi de nombreuses et bien étranges morsures...

Pourtant, l'accueil devant la grotte fut loin d'être salvateur. Et même, il s'avéra vite de n'être absolument pas reposant dans le sens qu'ils voulaient! Et s'il fut carrément infernal: confirmant vite pour eux que cet enfer qui les attendait là n'était pas issu du même fruit que ce qu'ils avaient pour habitude de mordre! L'échappatoire de Belzéé, se trouvant situé au bout d'une sorte de cuvette naturelle ayant pour fond la porte des abysses convoitée par le groupe en repli… soit un passage obligé par la grotte ouverte au pied d'un pan vertical taillé là de main naturelle dans le vieux massif Ardennais… Et donc, rien qui ne soit hors de portée pour lui... Sauf qu'après que Morganie en fut ressortie, Néphysthéo avait pris grand soin d'en faire combler inextricablement l'intérieur par tout ce qu'ils avaient pu trouver alentours! Il avait choisi aussi de disposer des archers de chaque côté du double surplomb. Puis il leur avait donné pour ordre de rester bien tapis dans les fougères sans rien faire. Et ce, tant que l'ennemi ne serait pas entré totalement dans la nasse. D'autant que dans les grands arbres situés face à la grotte, se cachaient aussi quelques-uns des meilleurs tireurs arbalétriers Athsérians qui ainsi, pourraient carrément « ficeler » après coup l’entrée du piège comme on ferme un sac de jute remplit de pommes de terre. Alors, quand l'archange déchu, qui finalement n'était pas trop pressé de s'engouffrer derrière ses trop minables soldats sans avoir au moins salué sa Maîtresse qu'il croyait occupée à discuter ailleurs, avec ses congénères, dans les parages, puisque pressentant tout de même des présences, il songea par erreur qu'il devait s'agir comme à l'accoutumée de la Dame rouge, accompagnée donc de quelques amies, comme elle renégates, et qui seraient occupées à se chuchoter des recettes de chaudrons, plutôt que de parler chiffons comme les bigotes humaines.

Mais il s'agissait là de tous autres personnages que ceux qu'il s'imaginait avoir détecté, et certainement beaucoup moins hospitaliers. De fait, lorsqu'il arriva à la suite de ses guerriers, il ne décela la chausse-trape installée par le jeune ange dieu de lumière que certainement trop tard pour les en avertir efficacement...

C'est ainsi qu'avec pour muraille devant eux, un imposant pan de schiste, et sur leurs deux flancs des archers prêts à tirer sur ordre, cela sentait le guet-apens bien organisé, car composé d’assiégeants Athsérians certes peu nombreux, mais habiles et déterminés à en finir avec cette engeance. Toute tentative de retraite se pensant improbale en raison des tireurs arbalétriers « aériens » dont Belzéé venait de passer la ligne, à présent située dans son dos de plus de vingt mètres! Il ne faisait apparemment aucun doute que l'affaire allât se terminer par la reddition ou l'extermination de tous les démons présents...

Dans ce genre d'action commando si l'ennemi reste perplexe, la démonstration de force qui s'obtient par la surprise est probablement une bonne alliée qui ne faut pas décevoir… Et puisque c’était le cas, Néphysthéo avait résolu de déclencher l'attaque par un tir intensif et génialement quadrillé, puisque complété par tous les arbalétriers qui étaient embusqués sur les côtés du passage. Cela lui avait apparu être la seule offensive qui soit techniquement capable de toucher des démons. Sachant que les plus évolués étaient aptes à intercepter de leurs mains les traits mortels, il pensait qu'à force d'arriver de tous les côtés à la fois, un certain nombre de pointes meurtrières devraient bien finir par les toucher. D'ailleurs, le résultat ne se fit pas longtemps attendre, car de tous les démons présents, il n'en resta bientôt plus qu'un à ne pas succomber: en l'occurrence, il s'agissait évidemment de Belzéé qui, attaqué de tous les côtés par les guerriers Athsérians ne parvenait plus lui-même à arrêter toutes les flèches qu’on lui destinait. Finalement, bien qu'apparaissant à la fois insensible, tant la rage lui faisait oublier la cuisante douleur provoquée par les dards de crôol, et sachant que l'énergie qu'il montrait encore, prouvait qu'il était probablement indestructible… S’affirmant d’autre part que les traits, mortels pour d'autres que lui, n'opéraient pas du tout sur un archange-guerrier, fut-il même déchu: cela fit qu'il ressembla tout de même assez vite à un très gros hérisson!...

Oh, il avait bien envisagé dès le début de se dématérialiser pour échapper à l'humiliation, mais il se savait invincible tant par le crôol qu’immunisé contre le Naar: alors, il s'était dit que ce ne serait pas bien de sa part, d'abandonner la partie uniquement parce que la bataille semblait perdue d'avance pour ses démons. Il avait donc décidé de ne pas capituler avant qu'au moins il puisse encore faire étalage de sa puissance. Et se faisant, sans plus ne se soucier de rien, il marcha en direction d'un Néphysthéo visiblement redevenu l'ange dieu de lumière avec qui il allait devoir compter. Tuant au passage un Athsérian qui commit l'impudence de se mettre en travers de son chemin: il lui déroba son arme qu'il améliora aussitôt en prononçant un de ses sortilèges. Et ainsi toute flèche qui était alors dirigée contre lui se plaçait immédiatement sur l'arbalète qui s'armait d'elle-même pour la renvoyer à qui l'avait décochée. Et cela se produisait sans que Belzéé n'eût à faire le moindre geste. Voyant cela, Néphysthéo n'eut d'autre recours que de faire cesser le tir, et même, d'inviter ses soldats à se replier, afin que cesse l'hécatombe qui avait lieu à présent dans leur rang. Alors Belzéé se mit à jubiler! N'étant plus pris pour cible, il s'empara cette fois de flèches plantées dans le cuir épais de sa peau. Puis il les posa sur l'arme diabolisée qu'il dirigea cette fois vers Néphysthéo, tout en entamant une approche triomphale vers sa cible: riant grassement de voir le pauvre Lucien débordé qui s’appliquait, comme il le lui avait enseigné, à dévier ceux des traits qu'il pensait êtres les plus menaçants. Et puis l'archange déchu s'arrêta net pour parler à Néphysthéo:

 

– Pauvre «gamin»! Je fatigue à m'amuser, puisque je n'ai aucunement l'intention de te tuer, mais saches cependant que tu n'es plus pour moi qu'un misérable élève versatile que je ne crains point!

– Peut-être... Mais avoue mon cher Belzéé que j'ai mis tous tes guerriers à mal! Et il me semble même que tes tours peuvent se retourner facilement contre toi.

– Tu ne veux tout de même pas faire état de ce pantin gesticulant qui a l'audace de se mettre entre toi et moi, alors que s'il vit encore, c'est juste que j'ai un peu de compassion pour lui! Et puis, sans l'aide de tes Reines actuellement occupées ailleurs, il me semble jeune présomptueux, que tu es pourtant bien dépourvu de puissance suffisante pour t'opposer ainsi à un Maître Roi! Il se trouve que je suis positionné mieux que toi sur les cases noires de l'échiquier terrien! J'y étais même de longtemps avant que tu ne sois né, s'emporta encore l'Ange déchu…

 

Manifestement, il semblait oublier à son tour ce qu'il avait pourtant dit à L'Hombre, quand l'impudent dieu Sombre était venu le provoquer chez lui… À cette époque, alors que cet autre vaniteux venu de l’autre côté du cosmos le menaçait verbalement, il avait pourtant reconnu que seul Néphysthéo était capable de le détruire. Mais le mental de Belzéé était à présent obnubilé par une colère dévastatrice en neurones, et qui manifestement, persistait à bouillonner en lui autant que lave et volcan. De fait il avait abstrait ce que l'Ange dieu de lumière, qu'il avait en face de lui, n'ignorait pas… Certes, cette faculté était rare. Y compris chez les Anges dieux de descendance hautement noble, car princière. Et si elle est encore accordée à ce rang, mais avec beaucoup de parcimonie par Le Grand Créateur-Suprême… Comme il la donna à son premier Archange… Mais pas à Gabryel… C’est que peut-être...

Ainsi Belzéé espérait probablement que son ex-élève allait donc finir par lui céder, choisissant de se dématérialiser… pour lui échapper… Ainsi son honneur à lui, l'archange démoniaque, serait sauf… Puisqu'il resterait seul alors à régner en maître sur le champ de bataille, solidement campé sur ses deux jambes, devant l'insignifiant Lucien qui, puisqu’il avait décidé de l'épargner, n'aurait plus pour occuper le reste de sa vie, qu'à conter ce nouvel exploit démoniaque à l'humanité, qui par cela, n'aurait pas fini de le craindre lui: Satan, alias Belzébuth dit Belzéé...

 

– Tu penses trop lui dit soudain Néphysthéo brisant sa théorie comme on crève une bulle de savon en la touchant du doigt!

 

Et puis sans attendre que Satan se ressaisisse, puisque à puissance égale, il convenait d'entrer chez l'autre le premier pour s'en rendre vainqueur, il envoya un avatar qui pénétra directement le cerveau de son ennemi. Lequel, pris au dépourvu par la rapidité du jeune Ange dieu de lumière, ne put rien faire d'autre que l'accepter.

– Ainsi donc, à ce que je vois dans ce crâne: tu es bien ce diable dont parlent les humains, fit la voix intérieure quand elle se fut bien installée dans le subconscient de Belzéé. Je te conseille pourtant de me faire allégeance, car en fait de souveraineté, tu ferais mieux de te plier à la mienne et celle d'Habygâ, puisque nous agissons sur ordre de ton créateur. Sinon, je pourrais bien décider de te détruire peu à peu de l'intérieur, si tu continues de la sorte à la vouloir combattre plutôt qu'à aider son institution sur la terre...

– C'est bon, pensa Satan, je dois reconnaître que ma supériorité à ses limites, mais avoues que je me suis bien battu, et que for l'honneur, tu pourrais faire de moi ton allié en me laissant partir. Les hommes me craindront encore si tu me laisses sans rien leur dire qui me blesse. Et si tu penses qu'elle est encore utile, si bien entendue pour la paix du monde, tu feras en sorte que leur théorie du bien et du mal soit sauve... en bien.

Sur ces mots qu'il espéra convaincants, Satan jeta loin son arme en guise d'allégeance.

– Voilà qui est mieux lui dit cette fois à haute voix Néphysthéo alors que la part d'esprit dont il avait dû se départir, venait juste de regagner sa propre enveloppe... À présent nous sommes quittes, et je te saurai dorénavant bon prince pour les ténèbres qui sont tiens et où tu feras bien d'y retourner.

 

Le Diable ne se le fit pas dire deux fois, mais pour lui montrer une sortie digne de sa force et de son rang, il se déplaça sans toucher terre jusqu'au pied de la roche. Puis il se mit à tournoyer sur lui-même, de plus en plus vite, et de plus en plus fort! Jusqu'à ce que l'on ne vit plus qu'une colonne aussi menaçante que celle d'une tornade lorsqu'elle se gorge de poussière noire! Cela extirpant par sa base, tout ce que les Athsérians avaient disposé dans la grotte pour pour en interdire l’accès. Après quoi il s'y engouffra. Ce qui fit que sa nuée diabolique disparut complètement à l'intérieur du souterrain dont il scella lui-même l'accès à l’aide d’un énorme bloc de granit...

L'on aurait pu prétendre à ce moment que la terre venait de l'engloutir sans laisser aucune trace de lui.

C'est le moment que Morganie choisit pour réapparaître. La chasseresse s'était retirée sur la demande du jeune ange dieu repenti, le laissant à son choix d'agir seul comme le font les Justes. Elle se trouvait néanmoins en haut de la muraille de schiste... Prête à intervenir. Alors elle le salua avec respect pour ce qu'il avait fait, et, admettant qu'Habygâ n'avait plus besoin de meilleur protecteur que lui en cet instant où il s'était comporté en héros, elle prit solennellement son plus bel envol: celui destiné à faire pâlir de jalousie certains archanges déchus! Puis elle disparut très vite par-dessus la cime des arbres...

 

 



02/07/2020
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