le monde merveilleux de lucien

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CHAPITRE TRENTE-CINQ

 

35

 

 

Tandis que dans le ciel la lune heureuse est amoureuse;

La clairière au-dessous semble joyeuse et généreuse…

Par les cimes où de Séléné chatoie gais ses rais gris,

Morganie rejoint le conseil des trois sorcières aigries:

– Sœurs, que vous soit bonne la lumière des justes!

– Si tu parles pour toi, le propos est injuste!

– Que veux-tu dire Aglaé? Pourquoi ce courroux

– C’est que vois-tu, le diable est parfois dans le houx!

Se faisant Aglaé se rue sur Morganie…

– La peste soit de toi et de tes vilenies!

Mais les autres l’assaillirent également…

Alliances défaillent peu élégamment!

Les sorcières s'en prennent à la chasseresse.

Leur pacte est un bûcher où brûle la promesse…

Or, la diane n’est si faible qu’il se dit!

De sa ceinture: dague de crôol a saisi!

Et voyant l’une foudroyée: s’enfuient les autres.

Pour cette fois, Belzéé y perd trois « apôtres ».

 

      La nuit était fort avancée quand Athénéïse et Gabryel s’étaient enfin assoupis. Plus qu'à l'habitude, ils avaient éprouvé un intense besoin de converser avant de s’endormir, langoureusement serrés l’un contre l’autre. Malgré qu'ils se fussent mutuellement rassurés, Ils restaient inquiets de cette nouvelle tournure que révélaient les derniers événements. Pourtant, si la divine poétesse avait fini par se construire un joli rêve… il se fit que subrepticement le poète Lucien s’y glissa! C'était un peu comme une image de belle couleur amicale. L'esprit de la Dame l'analysa pour être un avertissement prémonitoire… Alors s'était assise dans son lit. Puis, d’une voix mécanique elle adressa ces mots Gabryel:

 

– Mon amour, réveillez-vous, car il me semble que nous sommes en danger!

– Vous avez raison, j’ai vu moi aussi ce que vous suggère votre intuition… Je pense que cet humain nommé Lucien cherche à nous aider par sa propre pensée et que, malgré son appartenance qui peut s’admettre ennemie, il semblerait qu'il reste un être bon. Erzeré vient aussi de m’envoyer un message. Alors je dois le rejoindre.

 

Tout en parlant, Gabryel s’était levé. Il s'habilla à la hâte et traversa la grand-salle tout en commandant au mur de s'ouvrir. Puis il se saisit d’une arbalète et d’une provision de flèches à pointes de crôol et s’engagea vivement dans le passage ascensionnel secret. Il avait l’habitude de l'emprunter lorsqu'il lui convenait de rejoindre directement l'endroit où il rangeait la sphère. Lorsqu’il arriva sur cette haute terrasse du manoir, ce qu’il vit le glaça d’horreur et d’indignation. En contrebas, dans le parc de Castel Anatha, Erzeré était attaqué par sept démons guerriers! Leurs yeux incandescents faisaient penser à des braises! C’est alors qu’un huitième, montrant un corps gigantesque et pourvu d’un regard bleu phosphorescent tentait de le prendre à revers, tandis que non loin, un Belzéé hilare qui regardait faire son lieutenant, transforma tout de même son rire en rictus lorsqu'il perçut la présence de Gabryel au muret rempart. Surpris, car prévenu trop tard par son Maître: le grand démon n’eut pas le temps d’arrêter la flèche que lui décochait déjà Gabryel. En pénétrant profondément dans son front, la pointe de crôol l’anéantit instantanément… tandis qu’alentour de l'Ange Guerrier on pouvait voir des têtes tomber et des flammes jaillir des corps décapités.

 

Gabryel retrouvait le même Erzeré qu’il avait connu à l’entraînement de Maars. Ses déplacements étaient si rapides qu’il se révellait intouchable par ses adversaires, et même quasiment invisible lors de ceux-ci. Cela cette fois émut d’ailleurs très fortement Belzéé, qui se souvenant de son premier combat contre le dieu guerrier disciple de Junyather, en convint que malgré qu'Erzeré fut encore à ce moment aidé d’en-haut, mais d’une tout autre manière, ce dieu combattant était tout de même capable de prouesses. Il le trouva certainement très en progrès, car, le voyant si bien assisté de Gabryel, il préféra rappeler ce qu'il restait de son escouade et se retirer prudemment de l’autre côté du lac, là où l’attendait toute une armée prête à attaquer en force, bien cachée, plus loin sous le couvert opportun de la forêt devenue complice du démon malgré elle.

 

– Frère Gabryel, je te remercie pour ton soutien! Il s'est avéré efficace et peut-être même salvateur! J’ai été averti de l’intrusion de Belzéé par Topiary, mais je ne m’attendais pas à rencontrer autant d’ennemis! Alors voici que je crains pour Habygâ. Elle se trouve en ce moment au village pour préparer la cérémonie alchimique qui devrait avoir lieu demain. Je pense que c’est bien d'envoyer là-bas Morganie…

– Tu sais comme moi que la Diane guerrière a été trompée par ses amies, et qu’en constat de cette nouvelle insécurité, elle m’a aussitôt contacté. Elle doit donc en ce moment voler vers le village, prête à donner sa vie pour protéger celle de sa chère Filleule…

– Oui mon frère, j’ai perçu aussi ton message pour elles deux… c'est donc plus pour te demander l’autorisation de les rejoindre que...

– Je ne crois pas qu’Habygâ y soit en danger, car vois-tu, ce n'est pas Belzéé, mais Néphysthéo qui commande l'armée de son père adoptif. Laquelle lui a été fournie par l'archange déchu. Il m’apparaît que Belzéé est bien trop malin pour risquer de se mettre une nouvelle fois son créateur à dos. Notamment en agissant directement contre une Déesse de Lumière. Et c’est probablement pour la même raison que je pas perçu de véritable hostilité envers elle. Du moins, aucune menace à son endroit n’est présente dans l'esprit de Néphysthéo et encore moins dans celui de Lucien…

– Ce deux-là je les hais!

– Je te comprends Erzeré, mais tu sais autant que moi que le destin d'un Ange dieu guerrier est scellé… Et puis, de toute façon, j’ai grand besoin de toi pour défendre efficacement Castel Anatha.

– Certes, Mon Frère, nous ne sommes pas trop de deux ici, mais ne perçois-tu pas cette fois la proximité du dieu sombre là-bas?

– Si... pourtant je pense que même s'il décidait de tenter quelque chose, cela ne sera pas dangereux pour Habygâ, car Lucien m'a informé cette nuit...

– Alors, je présume que tu sais ce que tu fais, et je resterai donc ici à ton côté et celui de Dame Athénéïse, puisque c'est toi qui me le demandes.

 

*

 

      Peu de temps après qu'elle eut remporté son bref combat contre les sorcières, Morganie s’était aussi heurtée à la Dame rouge. La Chasseresse avait vu dans son esprit que la fée sorcière permettait à des démons de passer par chez elle. Alors, craignant quelque autre sournoiserie qui cette fois serait dirigée vers sa Filleule, elle était allée directement voir la dangereuse renégate:

 

– Ainsi toi aussi tu as rompu le pacte! Avait commencé Morganie sur le ton de la colère.

– je me demande bien ce qui a pu te faire croire que je me soumettrais à l’insignifiance du Petit Peuple...

– Prends garde la rouge! Car ton alliance avec quelques Dames noires ne te servira en rien quand ton Diable d'amant sera vaincu...

– En attendant je constate que tu es venue seule, et que Belzéé pourrait bien te mettre à mal s'il survenait maintenant!

– Qu'il essaye un peu pour voir! Et il apprendra vite qui je suis!

– Bah, tu ne vaux guère mieux que moi qui suis tout de même une fée de lumière alors que tu n'es qu'une descendante d'ondine! Et si le Grand Junyather n'était pas venu à la rescousse, à l'heure qu'il est, tu serais morte brûlée depuis des siècles sur un bûcher! Débutante insignifiante comme tu l'étais, sans lui, tu n'aurais pas fait long feu... D'ailleurs, ce n'est probablement pas des pouvoirs obtenus de tes cohabitations avec des vampires lorsque tu fus mise pour un temps en disgrâce par l'ancienne reine d'alors, qui nous feront lui et moi te craindre... Ha! Mais ma parole! Ignorerais-tu donc qui est réellement mon amant?

– Basta! Tu me fais perdre mon temps pour me parler d'un archange déchu, pas même un ange dieu. Et qui se fait passer pour tel, parce qu'il a obtenu ses pouvoirs démoniaques en fouissant dans le ventre géniteur de Gaïa, elle-même création de son propre créateur à lui, et qui ne fut qu'un temps utile en demi déesse qu'il eut tôt fait de renvoyer à sa propre matière ordinaire... Par mon statut de Déesse, je sais mieux que toi où ton amant se trouve en ce moment! Je peux même te dire qu'il vient de subir une nouvelle défaite, et encore te préciser, que son arrogance et sa témérité, auraient bien pu le mener à sa perte s'il avait osé combattre à lui seul Gabryel et Erzeré agissant conjointement pour l'expulser manu militari! Ainsi ton Belzéé vient de fuir les terres de Castel Anatha sur lesquelles il avait sournoisement pénétré. Il y était avec une poignée d'autres démons encore plus sots que lui. Ceux-là ont vite été exterminés sous ses yeux sidérés de voir comment savent combattre les guerriers de lumière quand il faut. Et puis aurais-tu déjà occulté dans ton pauvre esprit malade et borné, le fait que Junyather m'a voulue troisième Dame de la Forêt, et qu'à ce titre, je suis aussi Déesse Reine ayant droit de vie et de mort sur toi? Alors suis mon conseil, rentre chez toi, je te laisse sauve pour le moment, car j'ai à faire des choses plus sérieuses qu'à écouter une renégate...

 

Sur ces mots, et craignant tout de même pour le manoir dont elle avait suivi l'action de guerre par les yeux d'Erzeré, Morganie avait laissé la Dame rouge plantée comme un if devant son antre. Interloquée par la cinglante menace qu'elle venait d’entendre, la fée sorcière avait probablement ressenti l'injure comme une gifle en pleine figure!… Tandis que montant telle une flèche qu'on aurait tirée à la verticale jusqu'à franchir la cime des arbres, la guerrière avait aussitôt pris la direction du lac où elle savait trouver l’avant-garde de toute une armée de démons munis d’armes moyenâgeuses et hétéroclites. Elle se dit que l'Archange Déchut les avaient pu trouver en explorant leurs galeries. Elle admit aussi que ça n'était là que de vils gorilles dépourvus de poil, dont les yeux couleur de braise souffraient d'une lumière dispensée peu à peu par le jour naissant, et à laquelle ils n'étaient nullement préparés. L’ensemble paraissant de surcroît fort mal encadré par d'autres gorilles au regard de cobalt, montrant certes une carrure plus imposante encore que les premiers… quoique paraissant encore plus patauds de se retrouver sur le sol plutôt qu'en dessous, là où ils se sentaient tout de même beaucoup plus à l'aise pour combattre...

 

Un petit groupe d'éclaireurs, posté en lisière, s'était aussitôt replié dans la forêt lorsqu'ils l'avaient aperçue tournoyante au-dessus d'eux. De toute façon, la guerrière s'était promis qu'elle n’engagerait pas le combat la première. Tant que la négociation resterait possible: elle choisirait cette alternative. D'ailleurs, constatant aussi que le repli amorcé par Belzéé était effectif, elle admit qu'elle serait plus utile en répondant au vœux de Gabryel, tout en pensant qu'un répit était plus que probable pour Castel Anatha puisque le jour avait à présent fait place à l’obscurité de la nuit. Elle choisit donc d’aller se joindre aux gardes Athsérians du village, en sachant pouvoir du même coup y trouver Habygâ. Laquelle s’était levée tôt. Elle avait perçu un autre danger depuis longtemps, et même avant son père qui venait de l’en avertir depuis le Castel où tout était redevenu calme. Et elle avait si bien organisé sa défense que c’est une volée de flèches qui accueillit sa marraine en plein vol. Bien qu’elle ne les craignit pas, Morganie aurait dû éviter les pointes qui tout de même l’auraient pu blesser si elle ne s’était abrité d’instinct derrière un Chêne-Faye providentiel qui lui servit de refuge, le temps qu’il fallut à Habygâ pour faire cesser le tir.

 

– Hé bien ma chère filleule, quel accueil!

– Pardonnez-leur ma tante, mais il y a depuis hier tant de mouvements furtifs alentour que les archers sont nerveux et...

Habygâ qui s'était avancée afin de l'accueillir ne termina pas sa phrase: à deux cent mètres à peine, un groupe d'une vingtaine de démons aux yeux cobalt venait de sortir de la forêt relativement proche en agittant un bout de tissu blanc.

– Arrêtez-vous immédiatement, prévint-elle alors qu'ils étaient à présent à portée de flèche, sinon je vous ferai tous massacrer sur le champ.

– Nous sommes venus parlementer, lui répondit alors une voix humaine.

– Que tu sois ami ou ennemi, montre-toi d'abord, car, si je ne fais nullement confiance à un démon, c’est encore moins pour un traître!

Les démons obtempérant, il s'écartèrent pour laisser apparaître Lucien qui obéissant néanmoins à un geste de la déesse s'arrêta à son tour, laissant une cinquantaine de mètres entre elle et lui :

– Habygâ, nous allons attaquer ce village sur la demande de notre Maître, car il le perçoit comme une menace contre son futur règne et puis...

– Qu'est-ce qui te fait croire qu’un dieu Sombre puisse parvenir à dominer les dieux de lumière, et ce, jusqu'à régner en maître absolu sur la Terre aussi longtemps qu'il pourrait niaisement penser que cela lui soit possible?

 

La Déesse s'était montrée visiblement agacée par le propos du poète… et puis... elle avait repris:

 

– Et pour qui te prends-tu pour t'autoriser à me braver?

– C'est que vois-tu Habygâ, je ne suis pas seul, et justement… D'autres démons s'écartèrent encore, et l'on vit apparaître, superbes, le dieu Sombre accompagné de son fils adoptif.

– Bigre!... S'emporta aussitôt une Habygâ pas du tout intimidée et encore moins surprise, puisqu'elle les avait repérés depuis longtemps! Que me vaut cet honneur?

 

L’on entendit alors la voix profonde de L'Hombre lui répondre ceci:

 

– Habygâ... cette bataille pourrait ne pas avoir lieu si tu le veux. Il te suffit de te soumettre à mon autorité, et ainsi je te ferai bru en épousailles de mon fils… Par cette alliance, nous serions toi et moi plus forts que Junyather, et même probablement serions-nous respectés du Très-Haut dieu de lumière. Ton règne serait immense !

– À qui donc me compares-tu pour penser que je puisse trahir ma propre famille pour m'allier à un dieu craché du centre de la Voie lactée, qui du reste, me semble-t-il, n'en voulait plus!

Entendant cela: L'Hombre se fâcha tant pour de bon que le teint de son visage noir en devint presque gris...

– C'est que, vois-tu je t'aime! Intervient alors Néphysthéo!

 

Il avait craint soudain pour Habygâ, alors il s'était avancé de trois pas devant son père adoptif, allant jusqu’à placer son corps comme bouclier entre le dieu Sombre et Habygâ. Puis il planta son regard dans celui de la blonde déesse, espérant ainsi de pouvoir l’influencer...

 

– Tu as de drôles de façons de m'aimer lui répondit Habygâ qui dût pourtant faire l'effort de masquer la vérité de son émoi.

– Alors! Que décides-tu Prêtresse Athsériane? Hurla L'Hombre, comme pour sanctionner cet acte de faiblesse indigne du fils d'un dieu de son rang, croyant de rabaisser du même coup celui de la blonde Déesse.

– Tu as détourné Néphysthéo, enchaîna Habygâ: mais tu ne me tromperas pas! Si tu veux ce que tu dis, cela ne peut se faire comme tu le conçois. Ton ambition est de détruire tout ce qui est amour. Mais même si tu as obtenu jusque-là quelque résultat, tu ne parviendras pas à rendre mauvaise l'humanité tout entière! Et cela même en poussant les hommes à empirer la notion d'enfer qu'ils ont créée eux-mêmes. Tu ne saurais obtenir de moi ce que tu as fait ou tenté de le faire avec le poète Lucien et tant d'autres paumés comme lui. Sache qu'en profitant de leurs faiblesses passagères, tu as provoqué du courroux dans mon esprit. Non! Tu ne détruiras pas ce qu’il y a de bon chez les humains, car sur ma vie: je fais ici le serment que je t'en empêcherai!

 

Tout était dit, chacun resterait sur son choix politique.

L’engagement d’un combat total devenait alors inévitable.

 

      La réponse du dieu Sombre arriva peu après qu'avec les parlementaires il se fut retiré. L’on vit sortir de la forêt toute une bande de démons patauds, car éblouis par la lumière, mais paraissant tout de même suffisamment enragés pour être dangereux. Ils montèrent à la charge du village comme le ferait une horde de sangliers hargneux. Et, si ce n'était la couleur étrange de leurs yeux et leur apparence monstrueuse de grands bipèdes à la peau grise et dépourvue de pilosité, on aurait pu les prendre comme tel.

 

Pourtant, cette première vague d'assaillants aux yeux rouges n'atteignit même pas les premiers jardins situés loin derrière les maisons! Car si les paysans avaient l'habitude de passer entre les tourbières et autres terres fraîchement labourées, utilisant en cela le même étroit chemin empierré qu'avait emprunté la délégation au drapeau blanc, il n'en fut pas de même pour que soit rendu possible le déploiement de toute une ligne d'attaque: laquelle se montrant presque aussi lourde et pataude que le furent jadis les premier chars d'assaut! Et d'ailleurs, les assaillis eurent beau jeux de décimer leurs assaillants en les ajustant de loin par le tir précis des arbalétriers. Sans omettre que la plupart les démons, blessés ou non, s'étaient lamentablement et fort piteusement affalés dans la glaise que la pluie des derniers jours avait soigneusement contribué à rendre pareille à l'amorce d'un marécage… De fait, le terrain ressembla vite à un bourbier inextricable! Et il se faisait d’autant glissant que croissait le nombre de pieds de monstres, déjà balourds sans cela...

 

Lorsque la guerrière brune donna l'ordre à ses archers et arbalétriers de cesser leur tir, on ne distinguait plus rien que des corps finissant de se consumer. L'Hombre s'aperçut de son côté, mais un peu tard, qu'il venait de perdre la moitié de ses fantassins aux yeux rouges, et qu'il ferait bien de revoir autrement sa stratégie! Car elle s'était révélée si dévastatrice pour son corps d’armée, que la victoire pourrait bien changer de camp s'il continuait d'attaquer de cette manière bien téméraire!...

 

D'ailleurs, voyant cela: les villageois et guerriers Athsérians, tous unis en un seul cœur, ne purent s'empêcher d'exulter par un hourra si fort qu'il devait s'entendre loin parmi leurs allies de la forêt… Lesquels pourraient bien à leur tour s'enhardir jusqu'à aller botter les fesses de l'arrière-garde que commandait Belzéé, et qui campait toujours non loin du Manoir en attendant des ordres qui n’arrivaient pas.

 

– Ceux-là ne sont que chimères maladroites, et qui retournent dans le magma de la Terre dont ils n'auraient jamais dû sortir, tempéra aussitôt Morganie. Ils ne sont pas vraiment dangereux. Mais il y en a d’autres, et qui pourraient bien nous atteindre s’ils s’organisaient mieux…

 

Et cela allait se vérifier…

Excédé: L'Hombre lança bientôt la deuxième attaque.

Améliorant sa stratégie… Derrière chaque démon abattu, et s’imposant après que les flammes et les cendres asséchaient peu à peu le sol, on pouvait voir apparaître des êtres colossaux. Ceux-là étaient cette fois plus grands que des gorilles, et leurs yeux d'un bleu profond rappelaient en cruauté ceux de Belzéé.

 

– À présent c'est du sérieux! s'exclama Habygâ.

– Oui! Confirma aussitôt Morganie: ce ne sont plus là des êtres primaires venus on ne sait trop comment des entrailles de la terre, mais des créatures de Satan lui-même, faites à l'image qu’il montre en prenant l’apparence de Belzéé. Une image cruelle, qui correspond bien à celle d’avant qu’il se soit résolu à vivre son temps dans la débauche. C’est celle-là qu’il offrait durant les siècles moyenâgeux, et qu’il avait mis à profit pour se constituer une petite armée de serviteurs zélés. Des géants qui bien qu'endormis comme savent le faire les grands vampires nés d'Isis, peuvent être un jour tous réveillés, quand cela parait nécessaire à leurs chefs. Si ceux-là comme il faut s'y attendre, sont presque aussi forts que Belzéé, nous risquons d'en arriver à devoir soutenir un combat rapproché. Dans ce cas nous devrons utiliser le naar, ainsi que nos griffes de crôol, car ces nouveaux assaillants sont sans doute capables comme leur maître, d'intercepter des traits en plein vol, et donc de détourner de leurs gestes rapides, la plupart de nos flèches… Dans la mesure cependant où ils les voient toutefois arriver, puisque la lumière du jour qui les aveugle est notre alliée, mais nous risquons tout de même de ne pouvoir tenir longtemps face à une telle puissance...

 

Et c'est ce qui arriva: des assaillants énormes, au regard bleu cobalt, pénétraient cette fois en nombre à l'intérieur de l'enceinte! Après avoir renversé clôtures et barricades, ils s'engageraient bientôt dans un combat au corps à corps avec les défenseurs… Ces derniers les maintinrent néanmoins en respect, en leur montrant qu'ils étaient capables d'autant de courage que des Gavroches: ceci s'avérant par un jet nourri d'ampoules de naar.

 

Alors, en dégageant une fumée âcre: on vit fondre beaucoup de démons. C'était comme s'ils n'étaient que du vulgaire calcaire mouillé d'acide chlorhydrique… Et puis, lorsque le brouillard qui s'ensuivit fut entièrement dissipé, l'on put se rendre compte qu'il ne restait plus rien des agresseurs... Sinon que des traces de combustion… ceux-là n'ayant laissé çà et là que des ronds noirs d'ocres calcinées entourant quelques fientes visqueuses… Finalement, on aurait pu croire que rien de tout cela ne s'était produit.

 

– Ce silence ne me dit rien de bon, murmura Morganie, d'ailleurs je trouve étrange que L'Hombre ne se soit pas encore manifesté pour appuyer l'attaque, vu que nos assaillants étaient en nombre mais néanmoins contenu... Il me semble qu'il teste nos défenses, et il faut bien avouer qu'une attaque plus massive, si elle est appuyée par lui, serait cette fois plus difficile à repousser...

 

En fait, la Guerrière n’avait pas pu terminé son monologue inquiétant, car chacun pu voir s'approcher une grande nuée noire dans le ciel, et ce, en même temps que tout ce qui pouvait rester de démons, Lucien et Néphysthéo à leur tête, sortait de la forêt en une ligne serrée dont les extrémités avançaient plus vite que le centre.

 

– Hélas, s'écria aussitôt Habygâ, cette fois ils veulent nous prendre en tenaille tout en nous attaquant par les airs. Je crains qu'il ne nous reste plus qu'un seul moyen d'en sortir sans se faire massacrer...

– Je vois ce que tu veux dire, lui répondit Morganie et je te donne raison. Toi seule peux nous sauver en acceptant l'alliance qu'il te propose, mais...

– Il n'est pas question que je capitule devant qui que ce soit ma tante, et encore moins face à quoi que ce soit venant du mal; pourtant, je vais devoir te laisser combattre seule à un moment où tu vas avoir besoin de tous pour défendre non seulement le village, mais aussi ta vie.

– Ma vie n'a que peu d'importance Habygâ, et tu le sais. J'ai été sauvée du bûcher pour te la consacrer, alors, si ça peut sauver la tienne... Fais donc ce qui te semble juste. Et moi je ferai de mon mieux pour aider à défendre la vie de tes gens, comme s'il s'agissait aussi de la tienne, car je m'y suis engagée devant celui à qui je dois d'être encore capable de le dire.

 

Ce qui se produisit ensuite arriva très vite. Beaucoup trop vite même au goût de Morganie pour que la Déesse Habygâ puisse avoir le temps d'invoquer l'aide de son Grand-père!

La multitude rectement engendrée du dieu sombre attaquait de partout par le ciel. Chacun en bas ressentit soudain le sentiment cruel que tous les aigles de la terre menaçaient de le déchiqueter en même temps que tout ce qu'il y avait de vivant autour d’eux. Tandis qu’en dépit des pertes nombreuses qui auraient dû le stopper, le demi-cercle des démons enragés continuait de se rapprocher inexorablement. Et s'il semblait aux guerriers Athsérians que malgré tout, les becs et les serres de la nuée dans le ciel n'étaient en fait pas si dangereux pour eux qu’à l’endroit de Morganie, c'est que bien qu'elles se soient révélées insensibles aux flèches qui les traversaient comme si elles n'existaient que dans l'imagination: les répliques de L'Hombre, pour virtuelles qu'elles fussent, ne pouvaient cependant résister au contact des vésicules de naar libérées en masse par les auxiliaires de combat, et qui montaient tout naturellement vers elles. Ce qui produisait que l'étrange phénomène faisant périr en nombre ces ersatz d'avatars issus du dieu sombre, pourrait bien finir par le réuire de façon drastique, quand bien même ce n’était que molécule après molécule. Le dieu Sombre le savait, et Morganie qui ne l'ignorait pas non plus ne s'était pas gênée de prendre elle aussi les airs pour être prêtre à le harceler si l'idée lui venait de se reconstituer afin d'opter pour une autre tactique, contribuant ainsi à rendre son attaque aérienne moins inefficace contre les Athsérians guerriers. Et d'ailleurs, cette nuée noire faite du corps disséminé du dieu sombre, et qui offrait ainsi l’apparence de nombreux aiglons, n’était guère qu'une diversion qu'il avait voulue afin d'appuyer l'attaque des démons au sol. L'intervention courageuse de la guerrière par le ciel s'ajoutant à la défense antiaérienne menée conjointement par les auxiliaires Athsérians permit néanmoins que l'essentiel des forces de défense concentre son effort à repousser les démons fantassins. Du reste, ces derniers eurent un moment de flou en voyant Morganie opérer au-dessus d'eux. Cela donnant du répit à Habygâ qui de son côté, avait entrepris de faire appel à la force des Justes . Elle pouvait déjà à présent en user efficacement durant le développement de la phase transitoire de transmutation. Elle opérait habilement. Se servant d'une partie de sa force mentale grandissante pour appuyer l'ardente guerrière, ainsi que les combattants encore valides qui s'étaient regroupés autour d'elle en carré: afin de mieux protéger leur Prêtresse.

 

Pourtant, cette mise en échec du dieu Sombre parut vite illusoire, car ce dernier s’était résolu à faire monter plus haut ses avatars dans le ciel, afin qu'ils échappent à la fois aux flèches et au naar dont la portée était quand même limitée. Après quoi, pour contrer efficacement Morganie qui l’avait suivi, il décida de modifier l'aspect de sa division ailée par l'obtention d'une autre: restreinte cette fois à une dizaine d'éléments beaucoup plus puissants et aptes à contre attaquer efficacement. Et si la Guerrière restait plus rapide que ces autres rapaces noirs, mi-aigle, mi-ptérodactyle, L'Hombre avait cependant imaginé un bon moyen de s’en prendre plus sérieusement la guerrière. Il concentra la majeure partie de ses pouvoirs dans l’une des dix entités dernièrement créées: les neuf autres lui servant de leurre. La manœuvre était subtile. Et puis cela le rendit aussi puissant qu'elle.

 

C'est ainsi qu’il fondit traîtreusement par-derrière, tandis que le reste de sa personne qu’il avait divisée en artifices détournerait l'attention de sa proie, s’acharnant à l'attaquer par tous les côtés en même temps... Alors Morganie blessa un des éléments leurre. Puis elle entreprit de se débarrasser d'un autre en lui portant un coup rapide de sa griffe de crôol. Mais ce fut à ce moment précis que l’attaquant dans lequel s’était introduit l’esprit de L’Hombre fondit sur elle et s'agrippa soudain au vêtement de cuir, le crochetant de ses pattes griffues. Et tout en lui labourant le dos, il planta simultanément un bec étonnamment puissant dans le crâne de la guerrière...

 

Habygâ qui la vit tomber comme une pierre vers le sol eut un instant d'hésitation et ce faisant, mettant à profit le flou émotionnel taraudant la pensée défenderesse de la prêtresse, l'aigle élémentaire que venait de blesser grièvement Morganie, et que L'Hombre ne contrôlait plus se jeta sur elle: déterminé à lui crever les yeux avant de mourir...

C'était compter sans le courage d'un garde Athsérian attentif à la protéger. Il intervint juste à temps pour terrasser la bête. Et si l'ersatz avait alors disparu aussitôt, comme avalé par la terre, c'est que le dieu Sombre, promptement redescendu après avoir neutralisé Morganie, venait de reprendre sa forme de grand prédateur humanoïde. Décidé cette fois à épauler directement l'attaque des grands démons aux yeux de cobalt. Pourtant, c’est au moment où tout semblait perdu pour Habygâ que tel un puissant arc électrique s'obtenant entre la terre et le ciel, l’on vit soudain jaillir un éclair si aveuglant que les nuages alentour disparurent d'un coup! Et il y eut aussi un long bruit de tonnerre, si fracassant, si puissant, que les combattants des deux camps durent poser leurs mains à plat sur leurs oreilles pour s'en protéger les tympans.

Mais cela ne suffisait pas, car ils entendirent par-dessus tout, vibrant autant dans l'air que dans leur tête, une voix tonitruante qui parla ainsi:

 

– Démons de rien! Craignez ma colère! Car elle est immense, et toi misérable je te conseille de cesser tes actes barbares à l’endroit de la Déesse Habygâ car à travers elle c'est moi que tu injuries!

– Qui es-tu pour oser me défier? Fit alors une autre voix presque aussi forte...

– Silence! Misérable engeance! Car tu n'es rien que la progéniture de mon Frère des ténèbres! Et si je ne t'ai pas encore renvoyé chez lui, c'est que tu me sers...

– Ainsi, tu es mon oncle: ce Dieu de lumière dont mon père m'a tant parlé, et qui justement, ou injustement, a autrefois pactisé avec lui… Et bien sache que je suis moins pleutre que mon père et qu'avec son aide, si je l'invoquais, il se pourrait bien...

– Va-t’en!

 

L'Hombre avait maintenant repris l'aspect d'un prédateur si grand, si immense, que sa noirceur noyait à nouveau tout le village d'une ombre malsaine… mais pas du tout Habygâ, dont l'aura devenait à présent de plus en plus forte et brillante. En voyant cela, le dieu sombre se remémora l'éclat du même rayonnement qui, lorsqu'il fut renvoyé vers lui ce jour-là par Excaliatura brandie de la main d'Erzeré, le blessa fort dangereusement! Il se dit que vu sa taille imposante il faisait une cible de choix, et que même si ça n'était pas certain que ça lui soit un possible coup fatal, il pourrait bien néanmoins se voir percé de part en part quand arriverait le grand jaillissement de lumière! Alors, rageusement, il réduisit sa dimention pour mieux monter, très vite, et encore plus haut. Puis il tournoya un moment au-dessus du champ de bataille et disparut d'un coup.

 

– Par le Très-Haut qui se consent proche de moi, je fais appel à La Lumière Des Justes, prononça la voix d'Habygâ...

 

Quittant de partout la Forêt-Noire, et même venant des ailleurs environnants, on put voir ainsi une multitude de particules de lumière de toutes les couleurs s'ajouter à l'aura de plus en plus dense et resplendissante d'Habygâ... Et puis, la Grande Déesse invoqua le dieu Éole, qui d'un souffle plus puissant qu'une tempête, repoussa tous les assaillants d'un coup: les envoyant « dinguer » dans les Arbres Faye qui les mirent aussitôt hors de combat en les étouffant par la mouvance vivante de leurs branches noueuses qu’ils resserraient aussitôt sur eux, tel que savent le faire certaines plantes carnivores...

De cela qui les exterminait, seuls deux ennemis furent préservés, et c'est ainsi que tout pantois, Lucien se retrouva mal en point mais vivant, inconfortablement assis à l'intérieur d'un buisson d'épine. Tandis que Néphysthéo qui s'était dématérialisé pour protéger sa vie, comme le lui avait enseigné Belzéé, était tout de même resté sur place, bien qu’il fut invisible.

 

– Tu peux te montrer, le railla Habygâ qui avait recouvré toute sa puissance d'esprit une fois qu'Éole fut reparti… Allons! Je sais que tu es là, car je te vois!

 

Et puis elle envoya quatre Athsérians guerriers afin qu’ils ramènent le corps de Morganie:

 

– J’ose espérer qu'elle ne peut être morte, leur dit-elle avec un immense chagrin dans la voix, mais ce qui est arrivé est grave, car je ressens un manque, comme si une partie de moi entreprenait de se déliter. Il m'est aussi devenu impossible de communiquer avec elle.

 

*

 

      L'Ange dieu renégat se réincarnait doucement. L’on put d'abord distinguer sa tête , seule, libre et flottante, car isolée dans l'air, et puis son cou, son buste et ses bras apparurent en dessous, comme sortant de nulle part: vint ensuite le thorax, le tronc, et enfin les jambes...

Ainsi reconstitué, il apparaissait encore plus beau qu'avant aux yeux d'Habygâ. Il tenait dans sa main droite la même fleur étrange qu'autrefois, dans le pays des enfants dieu, il avait offerte à la mère de la Grande Déesse...

Habygâ l'attendit fort cérémonieusement: comme le font les Reines quand elles acceptent la reddition d'un de leurs ennemis obligés par la force…

En le voyant venir ainsi marchant lentement vers elle, elle ne put réprimer l'étrange sensation qui la désarçonnait. Cela ressemblait à un picotement électrique…

Lorsqu'il fut arrivé à moins d'un mètre d'elle, le beau Néphysthéo s'agenouilla tel un prince de sang magnifique qui se soumet, et alors, respectueusement, il embrassa les pieds d'une Habygâ médusée par un tel changement. Aprés quoi il leva des yeux amoureux qui semblaient prêts à fondre comme neige au printemps. Et puis comme pour répondre à un vœu formulé de manière imperceptible, il lui tendit enfin la fleur, qu'elle accepta volontiers, en le gratifiant d'un sourire avenant...

 

– Madame, Madame!

 

Un prêtre Athsérian arrivait en courant, brisant du coup la belle intimité du doux moment.

 

– Madame, il semble qu'elle respire encore, mais d’un souffle si léger qu’il semble prêt à s’arrêter.

– Mais de qui parles-tu?

 

Toute à cet émoi qu'elle aurait souhaité rendre éternel, Habygâ en avait abstrait Morganie. Alors elle prit Néphysthéo par la main, et tous deux se dirigèrent vers l'endroit où la courageuse guerrière était tombée.

Morganie gisait couchée sur son côté droit. Jambes et bras repliés sur elle-même, dans la position du fœtus. Sa peau, loin d'être chaude et rose, outre qu'elle s'était ridée comme celle d'une femme plus que centenaire, semblait devenue aussi dure, grise et roide, que l'une de ces gargouilles de pierre qui ornent les cathédrales. Et puis, bien qu'ils aient été épargnés par les becs, ses yeux semblaient avoir disparu: tant ils se trouvaient au fond de ses orbites… et même si le cuir noir de son vêtement qui avait été lacéré par de nombreuses traces de griffures, laissait entrevoir ses os dégarnis de chair, ce qui inquiétait le plus Habygâ, c'était surtout le trou dans son crâne. Un petit orifice que l'abondante chevelure de la brune masquait à peine, et qui faisait penser à celui que l'on fait dans un œuf pour en gober l'intérieur.

 

– Ciel! S'écrièrent ensemble Habygâ et Néphysthéo, il ne l'a tout de même pas?

– Hélas, reprit seul l'ange dieu repenti qui savait de quoi il était question: il lui a volé son âme!...

 

Et alors, car c'est ce que font certains vampires quand ils n'ont d'autre choix pour se protéger de l'anéantissement total, son corps s'était mis en catalepsie, et l’on pouvait penser que Morganie pourrait rester ainsi durant des siècles, tant que son âme ne lui sera pas rendue, si tant est que cela puisse encore lui arriver...

 

 

 



21/06/2020
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