le monde merveilleux de lucien

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CHAPITRE SOIXANTE SEIZE


Toute chose de paix,
Fait bonheur en chaumière,
Dont le jeu se complait,
De l'acteur ordinaire.

En bâtissant son monde,
Comme un amour se donne:
L'être en poursuit la fronde,
For l'enfant qui pardonne.

L'homme ne sait toujours,
Au nom de ses aïeux,
Pourquoi il voit le jour,
Sinon que grâce à Dieu?…

Sa femme préparant,
Comme en chaudron magique,
Sur sa braise d'amant,
Son festin romantique.

L’or, sa foi étincelle,
Tisseuse en canevas,
D’un trousseau pour icelle ;
C'est ainsi que tout va...

 




         Tel un nuage de lait se noyant dans une tasse de thé: le mirage se diluait conjointement à la brume du petit matin. Pourtant, rien qu'en levant les yeux, Lucien pouvait encore contempler des cieux qu'il percevait nets, car contrastés. Il s’était même étonné d’y voir naître une étoile à côté de Jupiter. Tandis que Mars et Vénus mettaient cette diversion à profit pour se juxtaposer dans le plus grand secret.
 
Ainsi le jour s’était levé, effaçant peu-à-peu l’émail galactique. Cependant que, exceptionnellement, l'on pouvait toutefois s'attendre à l’émergence, pourtant devenue rare, d’un ciel vide de la moindre grisaille. Le mélange sulfureux de vapeur d’eau, d’oxyde de carbone, et de toutes sortes de poussières cancérigènes en suspension, ayant été dévoré durant la nuit par un appétit lunaire très inhabituel.


Bien que Marie ait disparu depuis longtemps, il s’imaginait encore entendre sa voix lui disant qu’il devrait trouver seul à présent le bon chemin. Elle lui avait néanmoins précisé que celui-là serait unique, et qu'il le conduirait tout droit vers Maria…

Il s'était donc fait à l'idée. De surcroit, il pressentait que l'aventure lui serait utile à justifier sa raison d’être. Et peut-être aussi que cela le ferait accéder à d'autres ressources s'obtenant de l'âme. C'est donc ainsi ce qu'il méditait en marchant… Certes, le poète pouvait s'imaginer porteur du potentiel inné. Chacun de ses précédents karmas l’y ayant préparé. Il ignorait cependant qu’il avait pour mission d'aller au delà de ses seules aptitudes humaines. Et puis, il ne savait pas davantage, que son existence présente, pourrait bien infléchir des lignes de force qui le dépassent! Mais puisque le jour avait fini par vaincre les hésitations de l’aurore, alors, délaissant le lac et son mystérieux ponton, notre poète avait décidé de fermer les yeux pour mieux se confier au hasard et ses mystères, afin d’emprunter à nouveau le même sentier que celui de ses rêves. Bien qu’il le présumât conduisant vers nulle part…



         Lucien avançait d'un pas machinal. C’était comme si quelque entité l’invitait à revivre une aventure d’adolescent qui avait été effacée de sa mémoire. Allant jusqu'à le repositionner là où tout lui semblait devoir commencer... Ou recommencer?




          Nous sommes au premier matin qui a suivi la naissance d’Erzeré-Gabryel, et celui-là était comme lui d’une beauté exceptionnelle. Alors la saison printanière s’annonçait telle une cohorte de nymphes que le poète s'imaginait toutes joyeuses, butinant les perles rares d’une rosée vaguement acidulée. Pourtant, bien que la forêt qu'il voyait fût celle moribonde, il s’avéra vite que sa marche à l’aveugle n'allait pas s'obtenir sans la moindre gène:

– M’enfin! Lâchez-moi!

 

À quoi bon insister? Puisque de toute façon, il ignore où se trouve la raison de sa quête. Pas plus qu'il ne saurait se fier longtemps à l’intuition qui guidait son corps dans une zone où le marcottage sauvage de la ronce commune s'imposait en reine obstinée, s’ingéniant vigoureuse à le retenir au point de lui interdire d'aller plus avant dans cet ancien passage druidique!...

 

Non, décidément, il y a trop d’entraves, trop d'arbres morts dont les branches basses se mêlent avec autant de lianes barbelées qui incitent à renoncer, dit le poète en pestant contre les griffures. Et puis maintenant, ces bruissons d’épineux jaunis qui se profilent, ils me semblent furieusement inextricables, alors je vais certainement… Ouille! Cette fois j'en ai ma claque! Alors, puisque ce qui subsiste ici m’est décidément hostile, peut-être reviendrai-je demain… Mais je serai cette fois vêtu d’une armure de chevalier moyenâgeux!... Allez! Soyez chics… Buissons: écartez-vous!

L'endroit disposait pourtant bel et bien d’un passage... mais il se trouvait dans l'autre monde de la terre: celui de la déesse Habygâ qui, parmi d'autres comme elle, avait  pour habitude de l’emprunter depuis bien longtemps sans éprouver la moindre gêne. Elle l'utilisait quand à certains soirs de pleine lune, elle souhaitait se rendre à pied dans la Clairière-Des-Justes, où elle savait trouver la maisonnette de sa tante: la déesse Morganie. Mais alors, il se faisait que la blonde divinité savait commander la nature qui s’ouvrait comme il faut devant elle. Ce que semblait ignorer le poète qui pourtant venait de la sommer de s’écarter! Mais les choses dites: paranormales, qui sont nommées ainsi  – tant qu'elles ne s'expliquent – n’en sont pas moins issues ou dépendantes d’autres bien réelles, témoignant de ce que les yeux ébahis de Lucien pouvaient voir à présent opérer…


– Que… c’est quoi ça? Mais non, je ne rêve pas! Or ces ronciers… Il me semble bien qu'ils bougent alors qu'aucun souffle de vent ne se sent… Et ces houx qui tout à l'heure s'appliquaient à vouloir me défigurer… Voici qu’à présent leurs rameaux s’écartent d’eux-mêmes!
– Comme quoi mon Lulu, il te suffisait de leur demander…
– Japiary! Quel plaisir! On peut dire que tu arrives à point nommé!
– C’est Maria qu’il te faut louer… Car vois-tu, c’est elle qui m’a mandé pour te conduire directement au bon endroit… Quoique je reconnaisse que ton intuition ne côtoie pas vraiment l’erreur. Puisqu’au moins, tu as pris la bonne direction.
– Cette Maria virtuelle, interfèrerait-elle aussi de jour sur ma personne?
– Ne sais-tu donc vraiment Lucien, ce qu’elle représente concrètement pour toi?
– Évidemment, ce n’est, si je puis dire, rien d'autre qu'une femme de rêve qui visite les miens. Rien de plus qu’une égérie que ma conscience invente.
– Peut-être… Et peut-être pas… Mais en tout cas, j'admets que tu me sembles pour le moment plus vrai et mieux armé qu’elle…
– C’est que mon ami, à défaut d’être médium, il se trouve que je suis peut-être nanti d'un don substitutif, et que peut-être, celui-là me sert par excellence involontaire.
– Certainement mon cher poète. Alors à présent, si tu le veux bien: avançons… Mais considérant que mes jambes sont plus petites que les tiennes, c’est par les airs endimanchés d’aujourd’hui que je te suivrai!

Et sur ces mots dits, le Pillywiggin se changea en hochequeue. Il avait même entrepris de gazouiller en attendant çà et là le poète. Se déplaçant plus vite que Lucien, il voletai d’un arbre Faye à un autre, qui pour le recevoir plus joliment, ouvrait une fenêtre temporelle dans laquelle le grand végétal se montrait autrement, car magnifiquement vêtu de sa parure de verdure extra dimensionnelle… Inutile de préciser, que cette métamorphose graduelle laissait évidemment, à chaque fois pantois, notre Lucien lorsqu’il la voyait!

Pour le conduire à l’endroit précis qu’il fallait, Topiary avait dû faire un détour. Il souhaitait éviter la clairière des Justes.  Ainsi, le poète passant d’émerveillement en féérie, il leur fallut la matinée pour arriver jusqu’à l’endroit que le joyeux Pillywiggin souhaitait lui montrer:

– Mais! Qu'est-ce donc que ce mouvement… ici dans ce taillis sur ma gauche? Et puis là-bas!... attends… Quelque chose me semble à présent sortir du sol… au centre de ce monticule moribond… Ce… Ça brille! Et voici que ce que je ressens me semble bien étrange! Dis-moi bel oiseau: accepterais-tu encore une fois de renseigner mon ignorance?

Gentiment moqueur, Japiary le taquina du regard tout en reprenant sa forme de lutin :

– Si tu sais voir à présent "la force qui montre" c’est donc que Maria avait raison.
– Mais encore?
– La magnétite mon bon Lucien: ton corps en est si bien pourvu que tu sers présentement de récepteur pour ondes stellaires radio magnétiques. Mais tu n’as rien à craindre: même s'il te semble que tu as la tête qui se transforme en tournette, il se trouve qu'à l’avenir, tu finiras pourtant par t’y faire. Mais pour aujourd'hui tu vas devoir faire avec... Et si tu veux profiter pleinement de ce que je vais à présent te montrer, tu devras rester en arrière…

Sur ces mots, le Pillywiggin tendit sa main droite au poète qui la prit dans la sienne, sans lui poser d'autre question. Mais à peine avait-il songé que peut-être par ce geste, il allait voir se concrétiser celui particulier d’un contact entre deux natures différentes, que se produisit à quelques dix pas devant eux un jaillissement de lumière qui, d’anodin à la base, prenait quelques centimètres plus haut, une apparence éblouissante devenant intolérable pour la vue du poète, au fur et à mesure qu'il s'intéressait mieux à la partie qui constituait le faîte de son élévation.

– Qu’est-ce que cela demanda prudemment Lucien? (tout en protégeant ses yeux en les barrant de son avant-bras libre).
– Surtout n’avances plus: gardes bien ma main dans la tienne en restant immobile… car malgré que ceci se montre fort clément et conciliant, son potentiel énergétique pourrait bien te consumer si tu tentais de l’approcher. Prends calme et patience Lucien. Et alors tu pourras lui porter sans crainte le regard qu'il mérite. Mais ce sera en oubliant cette fois le jaillissement, car il te faut l'abstraire pour aller au-delà de lui. C'est le seul moyen que tu as, si tu veux capter une plus merveilleuse image de cet endroit du monticule où tu vis tout à l'heure, l'éclat très bref d'un curieux scintillement. Et surtout, ne dis plus un mot tant que cela restera devant nous.

Alors ce fut l’apothéose!

Il advint que la corrélation électronique d’interaction entre les électrons du point d'énergie, s’ajoutait judicieusement à l’intervention laser croisée d'atomes quantiques invisibles. Et cela avait fini par ouvrir un passage temporel offrant une vision directe sur le sanctuaire Athsérian de la planète Yäga. Ainsi, le site, pourtant situé à quelques années-lumière de la terre, était devenu apparent au regard humain de Lucien. Le phénomène offrait un rendu remarquable si surprenant que le poète ne s’aperçut pas qu'il s'agissait d’une image électronique en relief, et qu’elle s’était substituée au vieux sanctuaire terrestre qui se trouvait véritablement dessous, mais enfoui à jamais dans le sédiment gorgé de quartz détritique constituant l’essentiel d'un monticule, d’où ne dépassait guère à certains moments qui se voulaient fortement pensés – du moins dans la réalité temporelle humaine –  que la mince partie d'un bord ourlé d'or… lequel ornant pourtant encore, un creuset de pierre de lave profondément enfoui, soudé à une colonne sacrée qui s'ignorait pour avoir totalement disparu sous la terre.



**



        Longtemps après qu'il fut de retour à la caverne, Lucien était encore envahi par le charme de ce qu’il avait vécu. Il aurait souhaité que cela dure plus longtemps. Mais il y avait eu à nouveau ce discret mouvement dans le taillis… juste sur sa gauche. Il avait regardé à la dérobée. Il crut même distinguer un visage de femme. Surpris, il avait laissé un "oh" s'échapper de sa bouche! Et le résultat ne s'était pas fait attendre. La féerie avait immédiatement cessé. Exactement comme Topiary l’en avait averti. Et ce fut tout juste s'il avait pu battre en retraite avant que le tunnel dans la forêt ne se referme et l'emprisonne.

À présent il ne pouvait s’empêcher de songer à Maria. Mais Topiary persistait à lui dire que la belle n’existait pas dans son monde.  Alors Lucien avait installé un châssis vierge sur son chevalet. Il avait pris ses pinceaux et ouvert ses tubes de peinture. Puis il s’était mis à coucher sa vision sur la toile, sous le regard attendri de Japiary, qui tel un ami indispensable, amoureux en diable, ne l’avait plus quitté des yeux.

 

*

 

 


   Le lendemain, de même que les jours suivants, le poète alterna son activité entre sa toile et ses cahiers: c'est ainsi qu'il noircissait avec soin moult pages de son écriture, et puis, remplaçant la plume par le pinceau de martre, il créait des couleurs étranges, qu’il posait de main abstraite, sur la toile qui se prétait stoïque à l’ébat de son émotion cognitive surréaliste.


Or, un beau matin, il s’était reculé plus qu’à l’habitude. Puis il avait intensément scruté l’œuvre tourmentée. Son regard était critique. Considérant que le visage serti dans le houx ne s'y cachait guère mieux que parmi ses lignes d’écriture abstraite. Ne ressentant rien qui l'inspirât mieux, allait-il pour autant délaisser ces deux supports pour visiter d'autres pensées… d'autres rêves?

 

Lucien avait fini par ranger ces plumiers et même nettoyé ses pinceaux. Puis il s'était dirigé vers l’Homme de métal. Toujours aussi froid qu’un gisant de marbre, le robot était resté assis: stoïquement adossé contre le fond scellé de la caverne…

– Bon, maintenant, à nous deux mon pote…
– Ah! Tout de même. Tu reconsidères malgré tout ta position envers l’envoyé de Maria…
– Tu n’as pas tort Japiary, mais c’est que vois-tu, ces jours derniers je ne pensais plus que par elle. À tel point que le tableau que tu vois… C’est elle qui l’a peint et non moi! Même mon écriture me semble étrangère, comme dictée... Et puis de toute manière, je n’ai jamais su peindre comme j’écris avec mon âme, et pourtant, de ma vie, c’est ce que j’ai fait pour la première fois.

        Depuis toujours, Lucien s’appliquait à se surpasser. Il aimait construire de jolies phrases pour honorer en mémoire ce que fut autrefois Dame nature. C’est très jeune qu’il avait commensé à versifier. Et puis, c’est à force de regards approfondis que l’envie d’insérer des métaphores abstraites dans ses écrits lui était venue. Mais cela ne lui suffisait pas pour exprimer ses visions comme il voulait. Alors il s’était mis à les peindre… Faisant comme on s'exprime par le biais de l'art naïf. Mais là n’étaient pas ses seules habitudes. Il savait aussi « mettre les mains dans le cambouis » !

– Hum… Le système qui contrôle la puissance du robot est HS. Et puis ses capteurs photovoltaïques sont manifestement d’un autre âge… Japiary, je connais cette machine pour l'avoir vue dans un musée. C’est un androïde datant de plus d'un demi-siècle!
– Bravo mon Lucien! En fait, je peux te l’avouer, à présent que nous sommes devenus presque intimes: celui-là était destiné à explorer le cosmos, Il a donc transité par un couloir hors du temps mais il s’est égaré. Alors, Maria l’a renvoyé dans ton monde.
– Hum tout ça ne me dit pas qui est cette femme qu'il m'a semblé voir mais que je ne parviens pas mieux à peindre qu'à décrire?
– En fait mon bon Lucien, elle est là, mais pas encore ici.

 



*


 
         La caverne où vivait Lucien était bien plus qu’un simple abri. Suffisamment aménagée, elle pouvait s'accepter confortable pour quiconque acceptait de vivre de temps à autre dans un tel lieu. Notre poète en avait peut-être fait un symbole? Sachant pertinemment qu’elle faisait partie du corps naturel de Gaïa, il la comparait souvent à une certaine matrice maternelle originelle. Pour lui, c'est à partir des cavernes ou des grottes que commencent les entrailles de la Terre. Et c'est aussi au sortir d’elles, servant de gite, que d’abord immergé dans l’eau des océans, tout s’est obtenu et développé. Ainsi de tels lieux, où qu’ils soient, nous renvoient toujours à nos sources, à notre origine, au lieu de nos racines.

– Ah, voici qui devrait faire l’affaire pour un temps!

Tout en cogitant, Lucien farfouillait à droite et à gauche. Il procédait comme on inspecte une brocante publique, en se marmonnant à soi-même des rejets et des appréciations en même temps que procédant à diverses manipulations. Déplaçait çà et là quelque objet vaguement hétéroclite, et puis, presque triomphalement, il brandit soudain une plaquette porteuse de cellules photovoltaïques.
 
– Tu connais sans doute, Topiary, ces accus à base de poudre de graphème synthétique, dont notre ami de métal est muni. Or, sachant qu'aujourd’hui le stockage d'hydrogène se fait sur du graphane en plaquette, c’est donc à partir de cela que j’ai pu fabriquer ce gadget. Alors il me semble que voici venu le moment où jamais de le tester. Et puis j’ai aussi trouvé un CPR de rechange.

  

Moins de trente-six heures après, il avait remis le robot sur pieds. Et c’est alors que Lucien venait juste de le mettre en fonction que son synthétiseur multiple lui proposait de visionner un message hologramme. Projetée directement sur le rocher qui barrait le fond de la caverne, l’image montrait assez fidèlement ce qu'il s'était imaginé de Maria. Elle l’invitait à la suivre. Lucien eut même le sentiment que l'image avait pénétré la roche au point de la traverser, lorsque soudain la luminosité s’était atténuée… Jusqu’à disparaitre totalement.

– Message terminé, fit la voix métallique du droïde…
– Mais pourquoi donc a t-elle désigné ce foutu bloc de granit ? Et toi, espèce de grand « machin » si tu m’indiques une possible cache secrète, qu’attends-tu pour l’ouvrir? s’emporta Lucien!
– Enfin! J’attendais ta décision depuis si longtemps que je commençais à désespérer, lui confia Topiary.

        

      Le robot avait bien récupéré de l'intervention de Lucien mais néanmoins sa tâche fut difficile. Le plus long avait été de desceller l'énorme rocher en utilisant un fin rayon désintégrateur dont il avait usé à la manière d'un chalumeau oxhydrique. Et puis il avait bousculé le rocher qu'il avait ainsi réussi à desceller. Découvrant un passage dans lequel Topiary et Lucien s'étaient engouffrés.

C’est ainsi qu’ils se trouvaient à progresser dans les entrailles de la Terre lorsque se produisit le premier tremblement !

– Bon sang Topiary, ça n’est pas, me semble-t-il, le meilleur moment que nous ayons choisi pour rejouer "Les enfers de Dante" s’exclama soudain le poète vaguement inquiet.
– Bah, si les voies du Prince des Ténèbres terriennes s’avèrent aussi impénétrables que celles lumineuses de son Seigneur et Maître, espérons qu’au moins nous pourrons rebrousser chemin en temps opportun.
– Il ne manquerait plus que l’étrange clarté du lieu disparaisse, lui répondit Lucien dont la lampe frontale s’était inopinément éteinte lors du tremblement.
– De quelle clarté parles-tu cher ami?
– Ben, je… Ne me dis pas qu’à présent j’y vois dans le noir!
– Décidément mon pauvre ami mortel, tu as donc tout oublié de ton escapade d’adolescent!

La seconde secousse les sépara soudain en les projetant l’un l’autre contre une paroi opposée du passage. Et ce fut heureux! Car c’est en même temps que s’ouvrit une profonde crevasse: en lieu et place du sol qui les avait portés jusque-là !

– Tudieu Topiary, cette fois, nous avons échappé de justesse à l'enfouissement, nous pouvons remercier le souffle qui nous a écartés de cet abysse!
– Hum, modérons ces jurons mon cher ami! Car du fait que nous nous éloignons des dieux de miséricorde, il se pourrait…
– Tu fais bien mon cher lutin, car en ces lieux, sait-on jamais!
– Tu l’as dit, cher humain…
– Qui est là? S’enquit soudain Lucien surprit par cette réponse qui fut émise dans une tonalité qui non seulement ne correspondait en rien à celle de son compagnon, mais qui plus est, lui parvenait depuis le fond de la crevasse.
– Voyons mon garçon, aurais-tu donc oublié jusqu’au son de ma voix?
 
Il y eut une troisième secousse. Elle avait fait s’élargir encore la crevasse, et Lucien se trouvait à présent contraint d’agripper une aspérité de la paroi pour ne pas tomber dans le gouffre, tant le sol sous ses semelles s’était réduit à peau de chagrin:

– Cette fois nous sommes fichus adressa-t-il à Topiary.

C’est alors que levant des yeux ébahis, il constata que le lutin semblait flotter dans l’air.

– Allons Lucien, tu peux lâcher prise, fit la voix d’en bas, car je te le garantis: tu ne tomberas pas!

Et comme pour faire bon poids, ladite prise soudain se brisa…

--- De pelleteur de nuages, me voici devenu comme ces derniers, pensa le poète en constatant que la voix avait raison…

– Je suis Belzéé, Prince des Ténèbres fit la voix, tandis que devant le poète, se matérialisait un être de belle stature.

Il était vêtu de cuir noir et pourvu d’une cape de velours rouge.

– À présent messieurs, suivez-moi.

Et sans avoir à esquisser le moindre mouvement, nos deux aventuriers s'aperçurent qu'ils étaient à présent capables de se déplacer par le seul fait de leur consentement. C’est ainsi que se prenant de plus en plus pour le poète Dante Alighieri, Lucien allait pénétrer à la suite du diable, dans un monde parallèle qu'il se figura comme celui de Jules Verne, probablement situé au centre de la Terre…

Sa capacité mnésique déverrouillait peu à peu des bribes d’information. Elles se précisaient doucement dans sa conscience grande ouverte. En fin de compte, il eut même le sentiment étrange de n’avoir quitté la conversation de ses seize ans que depuis quelques secondes.

– Le temps des humains n’existe pas chez moi Lucien, et tu le sais.
– Il me semble Monsieur-le-Prince, qu’en ce moment vous fouinez carrément dans mes pensées!
– En fait, je n’ai jamais cessé.
– Évidemment… Et merci pour l’intimité!
– Je suppose, Lucien, que tu as déjà entendu parler du, ou des mondes parallèles…
– J’ose espérer que tu sais que mes parents font dans le visionnaire de perception. Et puis, je t’avoue que j’en ai entendu parler plusieurs fois ces jours derniers.    
– Lucien, ici toute notion de temps devient chose abstraite, alors on peut considérer que le présent moment fait continuité avec celui-là même  où tu m’as suivi, alors que tu étais encore adolescent. Ton temps d’évolution ne compte pas. Ce faisant tu as cependant acquis de nouvelles connaissances, et te trouves donc suffisamment initié pour recevoir celles supplémentaires que je vais t’offrir.    
– Le Diable, selon ce que j’ai pu lire le concernant, ne donne rien qui soit précieux sans demander une contrepartie encore plus couteuse...
– Les idées reçues humaines ont encore de l’avenir. Et puisque c’est le nom basique qui me fut donné par eux: je t'avoue que je suis bien l’Archange déchu que tu dis. J'ajoute que si j’ai pactisé autrefois avec le dieu des ténèbres, c'était pour gérer les choses sombres de la terre. Mais il se trouve que mon créateur m’a réhabilité depuis un bon siècle de ton temps, et qu’ainsi, il m’a investi d’une nouvelle mission dont tu fais partie.
– Ben voyons, prends-moi donc carrément pour un idiot!
– Hum, que tu le veuilles ou non, et ton compagnon qui le connait ne saurait le nier: ce qui se fait par de l’énergie sombre n’est pas forcément négatif au sens que tu l’imagines. Tout comme l’ombre n’existerait pas sans la lumière. Il se trouve que c’est même là une question d’équilibre!
– J’ai obtenu récemment un premier résultat dans ma quête de l’énergie sombre, mais je ne vois pas en quoi?    
– Ne t’es-tu jamais demandé de quoi le Très-Haut qui m'a créé peut être fait?
– Allons, autant m’interroger aussi sur la constitution d’un dieu photon!
– Lucien! Ils ne sont pas faits que de ça!
– Ne me dis pas qu’ils sont aussi constitués de matière noire et d’énergie sombre?
– Justement si, et de bien d’autres choses encore, que les savants de la terre ne soupçonnent pas! Mais à présent, je vais t’enseigner le moyen de redécouvrir, ce que connut le premier couple qui fut doué de la conscience qu’il reçut du Très-Haut de Lumière, mais que tes contemporains, pour la plupart, ont complètement oublié.
– Soyez gentil voulez-vous Monsieur-le-Prince-des-Ténèbres. Ne changeons pas de sujet. Et puis, ce qui touche de loin mon avenir n’est pas prêt à m’effleurer.

C’est alors que Belzéé fit un geste et que le décor changea radicalement.

– Et puis cessez vos subterfuges, car depuis ce jour dernier où mon ami me l'a mieux appris, je sais à présent reconnaitre un environnement virtuel. D'autant qu'il y a longtemps que mes ainés font cela dans leurs cités sous "plexiglas vivant".
– Sauf que ce qui est intangible chez eux, et même brûlant quelque part en forêt à l'emplacement d'un certain monticule… ici tu peux le toucher.

  

Incrédule, Lucien s’aperçut soudain qu’il lui était possible de gravir des marches usées qu'il croyait n'être qu'hologramme. Il le fit donc, jusqu’à aboutir sur un perron éclairé par une torche bizarre. Laquelle laissait voir une importante menuiserie de vieux chêne. Elle était munie d’un marteau de bronze, comme autrefois les portes des manoirs. Alors, pour s’assurer qu’il ne rêvait pas, notre poète leva plusieurs fois la pièce de métal qui retomba sur son socle en faisant un bruit conséquent. Cela déclenchant le glissement simultané d’un loquet, et un grincement de gonds qui s’arrêta en même temps que le perron se dérobait sous les pieds de Lucien, surpris de se trouver à nouveau en état de lévitation.

– Où… M’avais-tu cette fois, entrainé?

Lucien qui s’était remit à tutoyer l’entité se sentait en devenir d'être la proie d'une visible fébrilité. D'autant que le Pillywiggin avait disparu…

– Tu étais devant l’entrée du manoir qui existe sur l’ile où habite ton ami Topiary. Mais je dois avouer que sans son accord, je n’aurais pas su t’y emmener. D’où, notamment la raison de sa présence tout-à-l'heure...
– Ainsi ce petit sacripant s’est une fois de plus joué de moi!
– Non Lucien. Et puis tu ne dois pas le sous-estimer, car c’est par lui que parfois, tu as vent de celui qui soufflait autrefois sur la cime des arbres de ta chère forêt .
– Et cette étrange lumière qui éclairait l'endroit: d’où venait-elle?
– C’est Marie qui l’a allumée pour toi.
– Ainsi la boucle est bouclée: me voici revenu au même point d’interrogation que l’autre nuit, lorsque je me trouvais au bout du vieux ponton, puisque tout ce qui se matérialise sous mes yeux semble me fuir dès que je le veux toucher du bout des doigts…
– Non Lucien, car la fois prochaine tu iras plus loin.

 



***



         La manière qu’employa Belzéé pour permettre à Lucien de revenir dans son monde ne lui fut pas révélée . Et d’ailleurs, notre poète aurait été bien en peine de le dire! Car au petit matin il s’était réveillé dans son fichu lit de camp. Dans sa fichue grotte. Dont le bloc de granit encombrait toujours le fond. Reste que le droïde manquait à l'appel. De même que son ami Topiary.



23/10/2021
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