le monde merveilleux de lucien

le monde merveilleux de lucien

CHAPITRE DOUZE

 

12

 

 

De ceux dont je parle, s'il ne reste que propos,

C’est que leurs ossements sont redevenus poussière;

Mais il est qu’à notre temps s’écrivent encore les mots

Offerts par une Femme d'école légendaire...

Car si notre cœur s’irise philosophique:

De métaphysique élaboration de par lui,

L’être bon reconduira l’ami sympathique

En lui offrant des paraboles étoilées de nuit.

Et plutôt que d’ordalies fort moyenâgeuses,

S’il est de fuir un monde éphémère passager:

De toute chose visible et non vertueuse,

N’est rien que vent qui court à sa fin sans présager.

Le Magistère suprême regarde la terre

Mais il n’y voit bien trop clair que légats de Satan...

Ô sages et vénérables preux : pourquoi cette guerre?

Ces royaumes combattants, édifiés décadents!

N’est-il de force, en l’ascétisme spirituel

Qui puisse en perfectionnement rendre la raison?

N’est-il donc rien, pour contrer l’anathème éternel?

Emportant haut sur le vent les nuées d’horizons.

Le sombre ne se peut connaître s’il s’élève,

Obnubilé par des fortunes qui se défont.

Le supérieur a l’apparence du sot qui rêve,

Il n’est que plénitude intérieure de chiffons!

 

 

      L’impact dans l'eau du lac s'était répercuté jusqu’au pied de la colline. Un autre se produisant simultanément... sur la berge…

L'eau s'était mise à bouillonner. On pouvait y voir des cercles ondoyants qui en modifiaient la surface. Tandis que sur la rive, à quelque deux cents mètres de l’endroit où se trouvait le poète, quelque chose d’indéfinissable finissait de consumer le cœur d'une touffe de fougères, dont les feuilles ruinées s'étaient étalées en étoile sur la mousse, pour y mourir…

 

Lorsque Lucien arriva à l'endroit qu'il cherchait, ce qu'il découvrit le laissa perplexe. L'objet, encore chaud, ressemblait à un fragment d'anthracite. Mais quand prudemment il s'en saisit, ce qu'il ressentit fut plus subtil que de la chaleur. C'était un peu comme si des atomes de son esprit s'interconnectaient via son corps avec les molécules constitutives de cette matière étonnante. Et puis cela transita par son aura; alors que le poids conséquent faisant penser à un métal lourd, s’allégeait de quelques pictogrammes… Sans qu’il puisse évidemment s’en apercevoir. Intrigué tout de même, il contempla l'objet si intensément qu’il lui sembla soudain que sa conscience lui échappait doucement. Dans une sorte d’auto hypnose... Et c'est ce qui arriva...

 

– Lucien... Lucien!!!

 

La voix de stentor tira le poète de son immobilité.

 

– Eh Lucien ! Quoi qu'c'est t'y qui t'arrive?... Non seulement tu t'comportes comme si tu n' me voyais mie, mais ça fait bein cinq bonnes minutes que j'te r'garde: on dirait un type qu'aurait été foudroyé! T’as l’air aussi raide qu’un Mort-debout des tranchées de 14… Enterré baïonnette au canon!

 

Sans dire un mot, Lucien lui tendit la drôle de pierre. L'autre s'en saisit. La retourna dans la paume de sa grosse main calleuse de brave gars, bûcheron de son état. Puis il la lui rendit.

 

– Bah, m’en veux pas mon Lulu, mais moi je n'sais point lire dans les cailloux comme t'y !

– Enfin Gaétan, ceci n'est pas une rune, c'est un objet venu de l'espace, mais, n'as-tu rien ressenti en le manipulant?

– J'admets qu'ça pèse comme du plomb... t'as- trouvé ça où ?

– Cela m'est tombé du ciel...

– Bon, c'est point tout ça, mais j'ai du boulot...

 

*

 

      Le petit bourg où vivait alors Lucien, avait été bâti à la limite sud de la frontière franco-belge. Pour être plus exact, le village se trouvait en surplomb par rapport au lac de Castel Anatha. On l’avait donc onstruit à flanc de bonne terre, proche d’un contrefort s’avançant autrefois de la vaste Forêt-Noire. Il avait été un lieu carrefour gallo-romain, avant de devenir une petite principauté, puis un bourg d'artisans drapiers relativement important. Un siècle plus tôt, il disposait encore de deux études de notaires et d’un poste de douane qui fut longtemps actif. Et puis, le rouleau compresseur des temps modernes l’avait virtuellement écrasé, ne laissant subsister que quelques métiers à tisser. Tandis qu'en bas, un fleuve mouillait inlassablement les pieds d'un lieu-dit qui lui-même, alignait quelques maisons le long d'une route départementale.

 

Il y avait là un petit commerce boulanger, jouxté d’un modeste café. Le paradoxe, ou plutôt ce qui faisait la singularité de l'endroit, résidait dans le fait que la "coopérative commerciale ouvrière" avait dû fermer, odieusement concurrencée par la création d'une importante zone commerciale bâtie aux abords immédiats de la ville proche. Ce qui produisait que les moins mobiles dépendait à présent de ces deux petits commerces, qui héroïquement, résistaient à la broyeuse infernale des maîtres du "progrès".

 

      Le lendemain matin, comme à son habitude, Lucien était allé acheter son pain et son journal. Puis il s’était arrêté au café. Certain d’y trouver les habitués dont quelques-uns, juchés sur de grands tabourets de bois gainés de skaï, s’étaient installés à main droite, le long du comptoir zingué. Tandis qu'à l'opposé (et donc à main gauche toujours en entrant) se trouvait la partie épicerie. Ses étagères, peintes en vert comme les meubles du vieux café tranchant sur le fond rugueux blanchi à la chaux, comme autrefois. Ce décor faisait penser à un atelier desservant une étable, notamment, en raison du foisonnement hétéroclite d’objets, et autres outils paysans, s’y trouvant accrochés un peu partout sur les murs. De hauts fonctionnaires avaient bien tenté de déloger la propriétaire, pour faciliter l'implantation d'une voie rapide. Mais tout comme le brave boulanger: elle avait courageusement décliné une offre d'achat qui se faisait pourtant de plus en plus incitative.

 

– Non mais des fois! Disait-elle à ses clients: pour qui ils me prennent ceux-là! Leur pognon qu’ils le gardent pour d'autres! Mais je resterai chez moi!

 

De fait, les autorités municipales qui avaient été de connivence avec les promoteurs ne la portaient pas dans leur cœur. D’autant que l'on avait dû revoir le tracé initial. Cela fit que l'autoroute ayant alors été construit de l'autre côté du fleuve, il ne pouvait plus alors desservir comme prévu la zone semi-industrielle projetée par le maire, sinon que par la création d'un coûteux pont-bretelle d'accès. Alors le magistrat et ses acolytes furent contraints de renoncer à leur projet: c’est tout dire!

 

Autrefois, Gladys, que Lucien respecte particulièrement pour son courage, avait fait partie de la chorale catholique de l'église communale. Cependant elle s'interrogeait beaucoup à présent sur des valeurs qu'elle aurait souhaité ressentir, en plus larges d'esprit. Comme notre poète, elle avait des idées porteuses de plus d'aisance spirituelle que celle généralement accordée par la doctrine qui lui avait été enseignée. N’étant pas toujours d’accord sur le contenu des textes qu’on lui proposait de chanter, elle avait donc décidé comme lui, de cesser toute participation prenante à ce culte, qui somme toute, ne lui correspondait plus partiellement. Sa vie se résumait donc à son activité de tenancière de bar-épicerie. Ainsi les braves paysans qu'elle voyait, et avec qui elle conversait, constituaient son univers…

 

Mais cela allait pourtant changer!

 

¤

 

      Irrationnelle et exquise, elle est un peu comme une promesse qui se propose en reculade…Quand on lui tend la main…

 

L'histoire de Marie-la-bleue, avait autrefois alimenté une légende qui était digne de celle de la forêt de Sénart et de Merlin l'enchanteur. Mais pour que des faits ayant eu lieu il y a longtemps puissent s'admettre aujourd'hui, il eut fallu produire davantage de preuves. Or, seul le doyen du village, et ce uniquement dans sa jeunesse, pouvait prétendre de l'avoir vue…

 

Comme son aïeul, celui-là avait exercé le métier de puisatier. Il avait aussi appris les "herbes qui guérissent" et certains de ses actes témoignaient d'un fort magnétisme-guérisseur. Lucien, au tout début, étant venu là pour se marier à une fille du village, n'avait pas manqué de parler longtemps avec le vieil homme. Ce dernier lui avait alors confié d'avoir vu l'étrange Dame émergeant de l'eau du lac…

 

À l'époque, le poète qui n'était en rien superstitieux, mais au contraire plutôt ouvert, prônait pourtant la prudence dans ce domaine. C'est pourquoi, à présent, même si la situation lui semblait différente, il hésitait néanmoins à ébruiter l'affaire de la "pierre"…

 

C'était sans compter avec la verve du brave Gaétan! Et lorsque Lucien s'installa à une table du petit café, un des clients accoudés au bar se retourna. Puis il hurla quasiment une phrase d’accueil, au demeurant assez narquoise:

 

– Salut poète! Alors, il parait que tu aurais trouvé "la pierre philosophale"?

 

      Les humains, à en croire certains d'entre eux, seraient les dangereux descendants d’une lignée de singes prédateurs… Certains même se trouvant probablement aptes à se comporter en « docteur Jekill! » Lesquels hésitants encore à choisir le côté homme ou le côté bête. Ainsi donc, lorsqu'ils se trouvent en "meute et assoiffés" c'est d'un cœur plus ou moins alcoolisé qu'ils dénigrent à plaisir! Et comme si criant viscéralement "haro sur le baudet": ils se complaisent à ricaner bassement. Faisant comme des hyènes sans véritable courage. S'ingéniant à griffer le dos du patient supplicié. Sans même regarder dans sa direction.

 

Piqué au vif, Lucien qui venait à peine de s’installer se leva bruyamment de sa chaise. Sans dire un mot, il paya sa consommation qu'il laissait intacte. Puis il s'apprêta à quitter la salle en emportant son secret. Broyant du noir dans son cœur. Mais il s'arrêta soudain au moment de franchir la porte qu'il venait d'ouvrir, se retourna de trois quarts et leur dit:

 

– Un homme intelligent, s'il fait fi de vaines paroles: c'est avec la vérité dans l'âme.

 

Et puis il s'en alla.

 

 



26/02/2020
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