le monde merveilleux de lucien

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CHAPITRE QUARANTE

 

40

Hiver 2143

 

      Nul n’ignorait encore que la conquête de l'espace, qui avait débuté deux siècles plus tôt, s'était révélée un fiasco total par le fait conjugué que la constitution du corps humain lui interdisait de quitter son système solaire, et que de toute manière, on n'avait rien trouvé qui soit capable de le propulser à une vitesse qui soit à la fois supportable et suffisante.

Alors on avait dépensé sans compter pour rechercher, à l'aide de sondes, les traces d'une éventuelle civilisation extraterrestre. En espérant, non sans risque, qu'elle disposât de la technologie qui faisait cruellement obstacle au rêve humain… En vain… Et à présent que tout avenir était devenu gris sur la terre comme au ciel, que la pluie acide faisait l'ultime tentative de féconder quand même le sol moribond. Pas plus attendue par l'homme que par la complicité trop sollicitée de sa terre nourricière, cette retombée dénaturée faisait qu’elle agonisait avant même de disparaître, comme avalée par le désespérant caniveau du temps perdu...

 

C'est un fait indéniable: la meute des prédateurs humains s'était pourvu de moyens d’autodestruction qui se sont alors révélés encore plus efficaces que les guerres! Et c'est ce ciel, décidément bien trop sombre pour éclairer ce qu'il a le plus eu à déplorer qu'à s’en être éploré, qui en témoigne. Soulignant la courbure de la terre d'un horizon indéfinissable, l'aveu déchirant de cet hiver avait été rendu encore plus affligeant par le déversement avare d'un cru millésimé de neige fondante et sale. Le tout s'avérant par la vague liquéfaction d'une concrétion vaguement malodorante. Cette rare précipitation restait tout de même comparable à une soupe, certes élaborée en haut lieu, mais servie par des nuages depuis longtemps devenus bassement toxiques. Et puis il y avait cette température anarchique qui se la jouait du genre yoyo, escaladant ou sautant avec une certaine grandiloquence par dessus les grilles affolées des météorologistes paniqués. Et si elle se révélait pour être devenue totalement absurde, c'était surtout par sa délirante alternance de vents froids équatoriaux et de souffles tièdes venant des pôles! Le tout faisant que si, pour le vieux massif ardennais, un tel mois de janvier aurait paru absolument inconcevable autrefois, vu que la région était réputée mille ans en arrière pour ses hivers longs et glacials. Alors, c'était tout de même faire fi en vérité, que malgré tous ces basculements désaxés de la planète affolée: le début de la fin qui fut prédite cette fois pour 2012, avait quelque raison d’être pris à présent au sérieux, calendrier Aztèque périmé ou pas!

 

Mais il s’entendait pourtant de paroles bien asservies: que l'ex état français se trouvait toujours en zone dite: tempérée!

 

Oh! Me direz-vous, l'empoisonnement prévisible de la planète avait été amorcé de longue date! Alors il s'était vite avéré que des faits plus que galopins à leur début, se sont très rapidement transformés en désastres galopants, qui faute d'entente réelle entre les nations, se sont montrés non seulement irréversibles, mais carrément annonciateurs d'une incontournable série de marasmes inéluctables. Tant les intérêts d'une minorité de roitelets gaussiens plus cloches fêlées que raisonnantes, n'avaient eu longtemps de flux que dans l'accomplissement machiavélique de leurs funestes ambitions démesurées…

D’autant qu’au printemps 2144, si l'on ne pouvait pénétrer sans rechigner parmi ce qui subsistait d'organite chloroplaste propre aux végétaux de la forêt, c'est peut-être qu'imaginer la verdure qu'elle magnifiait autrefois était devenu un luxe pour les rêveuses et autres rêveurs.

 

Il restait toutefois un moyen d'entrer en elle autrement que virtuellement. À la condition d’être un tant soit peu perceptif de ses gémissements naturels, comme de ceux féeriques, et donc capable d'écouter attentivement d'autres chuchotements plaintifs, quand ils peuvent s'entendre encore de la faune angoissée... Mais quant à espérer trouver ici ou là, sur le sol noir tapissé d'un vague restant de feuilles dévastées, quelques lichens hétérotrophes dévorant la pourriture, ou du moins, ce qu'il pouvait en subsister de profitable, d'organique, cela se révélait nettement plus simple que d’y chercher la blanche rose de noël des hivers d'antan...

 

Ainsi la lente, mais inéluctable dégradation du royaume des Fées, qui s'était activé depuis longtemps continuait de progresser. Plus rien ici ne subsisterait bientôt de l'exubérance passée. Cette ère, dite de haute technologie, est entrée dans une phase qui s'est révélée hautement catastrophique pour la planète dont les forêts surexploitées n'avaient pas été replantées ailleurs, puisque l'on avait alors choisi de les remplacer par des cultures de céréales OGN, dont une partie était surtout destinée à l'élevage intensif et l’autre à obtenir de l’énergie.

 

En s'obnubilant siècle après siècle, la pensée humaine s'était aussi aveuglée à regarder le trompe-l'œil des campagnes de propagande publicitaire. Lesquelles diffusant à tout va, inculquaient des idées fausses qui s'admettaient de plus en plus uniformément. Le matérialisme, et l'égocentrisme, s'étaient taillé la part belle d'un comportement humain, au demeurant si néfaste, que même les actes sexuels étaient devenus des gestes d'amour hygiénique. Les hommes, pour la plupart étant stériles, laissaient à d'autres le choix de servir, autant qu'à fournir, des banques de cryogénie génétique. Elles-mêmes étant affiliées à des cliniques employant de jeunes mères porteuses spécialisées dans la conception de bébés-éprouvette que pouvaient adopter les couples, qui souvent étaient du même sexe, en respectant toutefois des quotas qui avaient été établis de manière à pouvoir limiter le peuplement des villes aseptisées.

 

On « faisait » un enfant comme on achèterait un animal fétiche ou un gadget, en regrettant mollement qu'un certain conformisme passif ait fini d'étrangler irrésistiblement ce qui conduisait autrefois à l’idée d’un partage réellement humanisé. Lequel étant alors plus sainement ouvert au retour d'anciennes tolérances qu'à certains des usages civiques devenus irrémédiablement obsolètes.

Indubitablement, puisque le résultat connut cette année-là un pic de négativité jamais atteint. Il était montré pour l'exemple, à des gens qui sans chercher plus loin, approuvaient les directives nouvelles en applaudissant des deux mains l'occultation menteuse. Cela produisant des décisions gouvernementales qui étaient plus fatales aux peuples les unes que les autres, car aptes à les fourvoyer dans l'erreur qui se reconduisait de génération en génération, en même temps que l'inexorable déclin que connaissait la Terre.

 

C'est ainsi que l'on avait pris l'habitude de vivre sans plus chercher à se donner bonne contenance. Sinon qu’à parquer tout ce qui naît encore de flore et de faune, bien à l’abri sous des bulles-jardin-publics et zoologiques. Des sortes de cloches, dont les parois imperméables ne craignaient en rien les pluies acides, et sous lesquelles on réinventait, sous protectorat artificiel, les paysages naturels d'autrefois. Alors qu'au-dehors, de soi-disant renégats vivotaient en irréductibles jardiniers vaguement écologistes, obligés depuis fort longtemps, de plastifier des tunnels sous lesquels croissaient péniblement des légumes maraîchers prétendus « bio » qui se vendaient à prix d'or, par rapport à ceux industrialisés...

 

      Si la fêlure entre les deux sociétés (celle des opportunistes, et celle des désintéressés,) fut provoquée par la course au profit d'une partie de la race humaine peu courageuse, tandis que l'autre laborieuse, optait pour le conservatisme naturel: il faut avouer que bien qu’il soit suicidaire, le choix de liberté des derniers, considérés comme étant les ultimes survivants de l'ère d'avant, n'était pas plus mauvais que celui des peuples parqués sous cloche et encasernés comme des militaires, dans des tours faites d’un peu de béton banché et de beaucoup de verre. Toutes étant alimentées en énergie par la géothermie terrestre. Cela leur offrant le confort feutré de « cases » d'habitation dont on s'extirpait rarement, non plus par des rues ouvertes et avenantes, mais par les circuits mécanisés des ascenseurs qui les déposaient directement sur les paliers des tapis piétons motorisés dont beaucoup sont essentiellement souterrains. Rappelant d'autrefois ces tristes couloirs aux voûtes couvertes de céramiques blafardes, de l'ancien métro parisien qui depuis longtemps avait été désaffecté pour cause d'air vicié.

Chaque citadin ayant choisi de vivre dans ces nouvelles cités aseptisées était donc dépendant de la centrale de retraitement des déchets, et par-là, se trouvait astreint à vivre avec des gestes quotidiens consistants, entre autres pires, et sous peine d'exclusion de la communauté, à se prêter au cycle sempiternel du tri et de la collecte sélective, de la consignation/récupération de tout, du retraitement recyclage et réemploi « ad viteam eaternam » de ce qui habille, mais aussi de ce qui nourrit! Toutes ces choses pour la plupart artificielles, transgéniques, ou même clonées, qui pourtant étaient devenues le lot quotidien des résidents peu enviables de ces villes champignonnières expérimentales, où tout se faisait en autarcie.

 

Ainsi, nul ne saurait dire si ceux-là, qui sont programmés pour "durer" une vie citadine de cent ans, sont plus ou moins heureux que les irréductibles ruraux qui eux, ne dépassent guère comme autrefois en moyenne, les quatre-vingt-cinq hivers, mais sont presque assurés de vivre d'autres karmas dans les ailleurs des dieux, car mieux conditionnés pour y assumer une plus noble mission que celle de ces zombies robotisés des villes, et qui, tant que l'univers galactique produira des étoiles, se poursuivra longtemps encore...

 

      Mais voici que quelques années plus tard, durant le mois de Juin 2159, noyé dans l’immensité de l'océan galactique, on ignorait qu’un étrange objet de glace traversait l'espace... Il progressait à une vitesse supérieure à celle de la lumière. Cela semblait venir de nulle part. Alors qu’il avait été directement taillé dans la banquise de Gröène: planète principale de la Galaxie-des-Glaces, qui se trouvait à exister de l’autre côté de l’univers connu...

Cela correspondait à une sorte de navire qui serait de la taille d’une belle comète. À son bord, l’Ange gris Athaânas méditait sur l’action sa vengeance…

 

Mais oublions plutôt cette nouvelle menace qui pèse sur le monde: car voici que l’âme de notre cher Lucien nous est revenue, elle vibre à nouveau de tous ses quarks-Stranges depuis qu'elle habite le corps d'un jeune être. Ceci, permettant la renaissance du poète d'antan, afin que soit réalisé un tout dernier karma qui se doit de le préparer pour un ultime «voyage organisé» lequel se fera peut-être en compagnie d'autres humains qui pour l'heure vivotaient comme ils pouvaient, prisonniers d’une Terre devenue moribonde...

 

      Cette fois, le poète était naturellement doué d'une philosophie vraiment divinatoire. Il était né d’un père cartomancien qui lisait l'avenir en pratiquant la chiromancie, et d'une mère hypnotiseuse et magnétiseuse, qui de surcroît, pratiquait la régression paranormale.

Difficile dans ce cas pour notre "Lucien Nouveau" qui d'ailleurs montrait déjà un psychisme bien développé, de pouvoir se départir d'un comportement d'esprit similaire à celui que son âme avait déjà montrer durant chacun de ses Karmas.

 

À seize ans passés, c'est pourtant à déplacer péniblement sa jeune enveloppe humaine, toute ruisselante de sueur, que dans la moiteur étouffante de la mi-journée, l'adolescent errait encore et toujours au cœur de sa chère forêt: ignorant peut-être, que son esprit lui ferait rencontrer tôt ou tard une de ses vieilles connaissances de vies antérieures… Quitte pour cela à ce que le Grand Junyather le suggère discrétement au cerveau du jeune poète...

 

En fait, si ce Lucien là dispose, en mieux de celui défunt, de dons qu'il a obtenus génétiquement de ses parents: c'est que sa mère lui à transmis ceux qu’elle-même à obtenus de quelque lien consanguin ayant rapport avec une certaine ondine dont la légende affirme, qu'elle serait l'immortelle «gardienne» d'un ancien lac devenu vasière... Une eau noire, encerclant un îlot bizarre, que l'arrière arrière-grand-père de son père, qui fut chamane, aurait connu autrement pourvu... Et c’est alors qu'il méditait doucement à propos de cela, que notre jeune poète atteignait les abords du fleuve Meuse.

Autrefois chère à l’enfant Arthur Rimbaud, qui d’une simple barcasse avait fait un bateau-ivre, la rivière qu’il comparait en son temps à des flots rugissants laissait voir à présent un lit défait. Son flux d’alors avait tellement tari qu’il était maintenant en passe de devenir un simple ru. Elle se montrait d'ailleurs, à l’image d’autres fleuves qui ne valaient pas mieux pour être de moins en moins munis d’une eau venant de sources dont le débit continuait de s'amenuiser en raison de la surexploitation.

Le peu qui sinuait entre des bancs de terre glaise ne contrastait plus guère avec l’envasement marécageux qui gisait presque partout sur son parcours. Aux alentours immédiats de ces berges, des lianes qui seraient bientôt mourantes, étranglaient encore des restes de grands saules qui semblaient aussi morts que des carcasses de bateaux échoués. La seule vue de ces plantes ligneuses pouvait se confondre à l'image irrésistible de quelques garrots de pendus. Alors, pour ne plus les imaginer ainsi, Lucien porta son regard plus loin, en amont, s'intéressant cette fois, mais sans le voir en vrai, à un maigre troupeau de moutons dont le corps était chétif sous une laine salement poisseuse, et qui cherchait ce qu'il pouvait subsister de nourricier: quelques touffes d'herbe rare, que les ovins piétinaient nonchalants, au sein d’un vague enclos jouxtant une maisonnette.

 

Trônant très modestement au faîte d'un toit d'ardoises grises, une cheminée constituée de briques rouges laissait s’échapper un mince filet de fumée ocrée qui semblait s'étouffer doucement de lui-même: se mêlant volontiers à des lambeaux de brume, dont l'apparence spectrale, s’annonçait avec le hululement lointain d'une chouette improbable… Relève annoncée du petit jour qui, restant trop longtemps blafard, s'obtenait tant bien que mal par quelque soleil ne brillant guère dans cette atmosphère produisant, de temps en temps, des relents diaphanes pareils à des rais morts-vivants.

 

À ses pieds survivaient rares, quelques arthropodes. Le poète s'employait à ne pas les écraser, respectant au mieux ce qui peuplait encore les biotopes… Ces insectes nécrophages témoignaient à l'évidence, d'un reste d’activité organique... Traces de vies cellulaires noyautées, que des mitochondries opportunes adaptaient comme faire se peut à ce qui subsistait de la flore.

Estompés en quasi-permanence derrière le rideau plombé d'un ciel triste: les astres lointains avaient passablement disparu des mémoires. C'était comme si même les nues seraient bientôt absorbées par l'épais brouillard gris-jaune qui constituait à présent pour plus de dix pour cent, la plus basse couche de l’atmosphère terrestre. Au mieux, c’était la lune qui s'étant rapprochée de la planète, donnait parfois l'impression bizarre de rayonner la nuit davantage que la lumière directe du soleil ne le faisait de jour. S’ingéniant à percer courageusement la noirceur considérable des nuits, au cours desquelles régnaient à présent les vespertilionidés et autres Molossidés qui, bien qu'ils fussent autrefois apparentés au diable, prenaient maintenant des allures d'anges. Tant leur présence pouvait encore laisser naître un vain espoir de réconciliation entre l’homme et la nature agonisante…

Cependant que d’autres menaces, encore plus sombres allaient bientôt se préciser...

 

 

 

 

 



02/09/2020
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