le monde merveilleux de lucien

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CHAPITRE CINQUANTE SIX

       Quelque peu ébranlé, autant que surpris par le son de cette voix à la fois puissante et graveleuse, le corps de Lucien fut parcouru d’un long frisson. Mais il eut beau faire: écarquiller les yeux, et passer tour à tour de l’infra vision à celle normale. Rien d’autre ne lui apparaissait mieux que le décor caverneux de l’endroit où il se trouvait. Cœur basaltique, plus mortifiant qu’un immense caveau, au centre duquel bouillonnait un liquide verdâtre, et laissant s’échapper une vapeur étrangement fluorescente. Alors il décida d’aller voir cela de plus près.

 

– Non Lucien : tu ne dois pas t’en approcher !

 

Encore cette voix, pensa le poète… Il me semble que je deviens fou à force de trop bien percevoir ce qui ne s’explique guère autrement que par la démence.

 

– À présent, regarde bien devant toi, mais surtout ne bouges plus.

 

En fait, le brave garçon ne pouvait qu’obéir, puisqu’il lui semblait qu’il commençait à se statufier à la manière d'une concrétion stalagmite! Cependant que le brouillard vaguement lumineux en quittant son impressionnante marmite naturelle, n’avait plus formé que ce que Lucien interprétait comme la courte queue d’une micro-comète. Sauf que, après avoir zigzagué un moment sous la voûte rocheuse, celle-ci fonça littéralement vers lui! Elle entreprit alors de l’ausculter: opérant par un rapide mouvement de spiralisation. Puis elle regagna son Graal de pierre. Alors, tout en regardant la valseuse inquisitrice occupée à reprendre son apparence première, notre jeune poète jugea rapidement à propos de l'objet et son réceptacle, que l'ensemble devait être plus infernal que philosophal.

 

– Bravo, mon garçon reprit la voix sépulcrale: te voilà à présent le digne représentant de ton prédécesseur karmique.

– Ai-je obtenu le droit de me dégourdir les jambes? Répondit Lucien, s'adressant en direction de nulle part, tout en réussissant mais mal, à trouver l’aplomb qui consistait à cacher un stress devenu incontrôlable.

– Mieux que cela Lucien, car lorsque les torches seront éteintes, tu évolueras chez moi sans nul besoin d’avoir à marcher dans une sombritude qui va devenir si absolue, que même ton infra vison, qui est ridicule au regard de la mienne, ne saurait t’être du moindre secours…

 

Le jeune poète se sentait perdu car désorienté. Il se trouvait pourtant quelque part. Dans le ventre sourd et chaud de la terre mère… Mais il y vivait probablement sa descente aux enfers. Malgré qu’il ne portât aucun bandeau sur les yeux, comme le lui avait prédit la voix, il se trouvait à présent plongé dans l’obscurité la plus totale. Se représentant mentalement la scène, Il ne pouvait éviter l’image d’un corps lévitant. Le sien! Ses sens conjugués l’avertissant peut-être ainsi du fait que le sol avait disparu. Et puis il avait brusquement entamé une descente qu'il ne pouvait contrôler. C'était assez comparable, en plus durable, à ces sentiments vertigineux qui se ressentent, quand en s’endormant, l'on croit tomber soudain en chute libre. Tandis que notre cœur, dans un spasme, nous met le corps et l'esprit en apnée… Alors il songea qu’il allait bientôt sombrer dans le vague de l’incertain… Il se savait entièrement plongé au sein d'une équation insoluble. Sans aucune défense. Il s’abandonnait corps et âme à l'espace d'un temps parallèle qui était inconnu de lui. Celui-là était probablement paradoxal. Lucien était entièrement offert aux bizarreries de l’aléatoire. Il ne contrôlait plus rien. Soumis qu’il était à des probabilités aussi incertaines, sinon plus, que tout ce qu’il avait vécu dans cette même journée. Lorsque, enfin, il retrouva l’usage de ses yeux, bien qu'il n'eut ressenti aucun heurt, il se vit néanmoins arrêté, mais en position périlleuse. Debout sur un palier de basalte qui semblait flotter seul avec lui dans le vide absolu. Devant, il y avait une porte de couleur rouge vif. Sans rien autour que le même néant qui semblait s’être accaparé de sa raison. Alors, d’un geste mécanique, Lucien imprima une poussée de la main sur le panneau qui s'ouvrit sans résistance et entra…

 

Devant lui se présentait un long corridor. Il était entièrement rouge. Au fond, semblant l’inviter, il y avait une autre porte rouge, pareille à la première. Il la poussa aussi. C’est alors qu’il cru entrevoir son interlocuteur dansant parmi des flamboyances infernales!

 

Saut que, au fur et à mesure que Lucien s’avançait, il distinguait mieux les danseuses hôtesses qui lui faisaient des signes amicaux. Il dut convenir que le décor ornant la scène sur laquelle elles évoluaient n’avait rien d’inquiétant. Ce qu’il avait pris de loin pour des flammes n’étant en fait que des langues de soie dont les variations jaunes, rouge et orangées, étaient animées par le doux concours d’un air bien conditionné.

Au bout de l’estrade l’attendait un jeune homme. Il était beau comme un ange sans ses ailes.

 

– Allons mon Lulu, cette fois encore, je te vois bien timoré! Serait-ce le fait que tu sois puceau qui te rendrait si timide devant ces dames ?

– J’ignore ce qu’auraient fait à ma place tous les Dom-Juan de la terre, mais vous m’avouerez peut-être, qui que vous soyez, que le ci-devant puceau qui vous fait face, a tout de même de bonnes raisons de ce méfier! D’autant que si vous semblez me connaître de nom et d’intimité, je n’ai pas eu l’heure de vous avoir entendu vous présenter!

– Bravo! Voilà qui est déjà mieux en rapport avec tes transports, et autres virtualités…

– J’accepte le compliment, car j’ai besoin de la magie que procure l’encouragement. Mais il me semble cependant que vous éludez ma question!

– Voyons mon ami, je suis ton hôte, l’aurais-tu oublié ?

– Vous… Tu… Euh… Seriez-vous Belzéé ?!...

– Enfin, nous y voici! Allez viens mon mignon, suis- moi, je vais pouvoir te récompenser. Car tu as montré du courage à vaincre ta peur. Et c’est bien!

 

Tout comme il l’avait fait auparavant, dans un autre corps qui avait depuis disparu, et bien que ses gènes informés n’en réagirent point pour autant: Lucien emprunta cette fois le long corridor bleu de nuit. Le même que son bisaïeul avait connu au premier siècle du troisième millénaire. Puis, ce fut debout sur un étrange nuage, qu'il traversa le pays de ces damnés qui avaient tant tiré comme des ficelles, sur des cordes quantiques aléatoires, qu’ils en avaient terminé leur dernier karma sans plus d’âme ni esprit, ni même le moindre civisme.

Alors, sans d'autre regard que celui du mépris légitime: se prenant cette fois pour le poète Dante Alighieri, notre pelleteur de nuages pénétra à la suite du diable, dans un monde parallèle qui se figure, comme celui de Jules Verne: au centre de la Terre.

 

 



22/03/2021
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