le monde merveilleux de lucien

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CHAPITRE SEIZE

 

 

16

 

 

      Si Lucien aspirait à parler encore de cette légende de la Dame bleue, c’est que l’histoire en question l'avait depuis longtemps inspiré, et même peut-être conduit, à reprendre l'écriture d'un manuscrit qu'il avait commencé quelques années auparavant…

Alors il était là, planté sur ses deux jambes, puis il tira le "caillou" de sa poche…

 

– je souhaiterais te montrer ceci qui est tombé du ciel alors qu'un moment de désespoir s'emparait de mon être, avoua-t-il subitement à son épouse.

– Enfin Lucien! Ne put s'empêcher de rétorquer Colette, pourquoi dire cela! N’es-tu donc pas heureux avec moi... Ainsi notre amour ne serait donc pas inhérent de ce que tu voudrais?

– Ce n'est pas cela, et tu le sais bien, c'est juste que notre monde humain ne l'est pas, et...

– Ne pourrais-tu pour une fois t'exprimer autrement que par énigme?

– Pardonne- moi, c'est juste que je rage de voir tant de décadence et de cruauté autour de nous, alors que pourtant, si la technologie de ce siècle était utilisée à d’autres fins, cela permettrait que par un partage équitable de toutes les valeurs, un meilleur confort de vie soit offert aux plus démunis d'entre nous.

– Nul ne peut refaire le monde à sa manière mon cher mari.

– Ma chérie… si je souffre malgré ton sentiment d’amour envers moi, c'est peut-être commun à des faits douloureux qui me montrent qu'à présent, la plupart des gens s’intéressent davantage à accumuler des richesses que des petits bonheurs s’attachant certes à une vie simple mais saine. Et si j'ai mal à l'âme parfois, c'est juste que j'aspire de pouvoir t'emmener vivre dans un endroit sans usine ni autoroute. Un de ces lieux privilégiés où seule compte la nature... telle qu'elle était autrefois, en liberté, même sauvage... Parfois je rêve que nous vivons dans un cabanon forestier. Au bord d'un lac, ou d'une rivière poissonneuse. Cultivant un jardin dans un lieu où seul notre amour coulerait des jours légers comme une eau fraîche à la fois magique et pure… Où tout recommencerait autrement: sans pomme et sans serpent...

– Et voilà de nouveau mon rêveur de mari parti visiter ses étoiles ingénues, l'interrompt Colette, en plongeant son regard mouillant dans celui bleu de mer de Lucien.

– Je peux comprendre ce qu’il ressent intervint Gladys qui les voyait si émus: crois-moi!... Tant de fois j'ai voulu comme lui partager des choses simples et sincères avec les autres. Des riens qui me tenaient vraiment à cœur. Et puis je me disais: à quoi bon! Je me ferai encore ridiculiser… J'entendrai encore des rires narquois dans mon dos. Et qu’en me retournant, je les verrai baisser ou biaiser leurs regards moqueurs... Mais cependant je crois que Lucien a raison de vouloir s'exprimer à sa manière. Et si le fait de reprendre l’écriture de son manuscrit de rêveur peut lui apporter virtuellement la sérénité qu’il aimerait partager en vrai, ce sera déjà ça… Tant pis s'il ne parvient pas à trouver l'éditeur honnête qu'il s’imagine. À cette étape charnière de sa vie, il a à dire et faire les choses qui sont importantes pour lui. Le temps qui passe ne se rattrape plus… Et si le village ne veut pas de ses écrits, il produira son art dans le village voisin ou même en ville… Allez Lucien! Oublie ton pessimisme et fonce!

 

*

 

      Alors, négligeant la pierre qu'il remit dans sa poche, et pour se faire pardonner sa morosité, Lucien se mit à improviser spontanément des vers, sans trop se soucier de leur métrique:

 

A voir tant d'assurance, lorsque femme veut,

Quand deux verts yeux attisent l'âme-dieu,

Bien difficile, il est d'en rejeter le vœu…

Car à fuir, Dames, vos regards archangéliques,

Plongeant dans le mien fragile car apostolique,

Si trop fatigable je suis en ce monde bordélique:

De mes prés -jugements je fais l'apostasie,

Puis de vos idées, admettant l'apologie.

J’oublie en cet instant de vie ma nostalgie.

Foin de pessimisme et ne craignons la ronce!

Plus rien d'ornière ni de lise qui enfonce.

Allez les filles, j'abjure... Et puis je fonce !

 

– Sacré Lucien, s'exclamèrent ensemble les deux amies qui superbement complices, envoyaient la réplique :

 

Décidément si venant de nous quelque chose,

Peut mieux te faire poétiser la vie en prose,

Si d'une idée, d'une doctrine, tu abjures,

Ce n'est certes pas de ta foi en l'écriture…

 

– Tiens! S'amusèrent-elles: voilà qu'à notre tour sans le vouloir nous versifions!

 

Alors, ils se prirent tous les trois à rire d’un bon cœur, tandis que, tapi dans l'ombre, l'esprit d'une entité bleue prenant plaisir à les voir ne put s'empêcher d'ajouter en secret:

 

Sur des flots bleus de nuit s’avançait une femme,

Venue de l’onde, pour consoler ton cœur chagrin.

Mais comme un rêve s’éteint, la belle dame,

Disparut au petit-matin...

 

Dehors, en amont du lac, le gai clapotis du fleuve se tu un instant. On aurait dit que les vaguelettes avaient cessé de caresser les pieds des arbres enracinés dans la berge proche. Ceci peut-être afin de mieux entendre le silence s'installant dans la forêt. Tandis que d'autres paroles encore, parvenaient à l'esprit grand ouvert d'une fée au cœur agnostique :

 

Issue des flots couleur ciel,

Je suis la Dame faite d'eau…

De par des mots couleur miel:

Suis théâtre de Feydeau.

 

      La conversation ayant comme souvent fait divergence, Lucien s'aperçut évidemment qu’il avait complètement oublié le véritable objet de cette soirée. Mais se dit qu’après tout, ces moments de convivialités valaient bien qu’on oublie le reste… Par enchaînement, il s’était donc mis à parler de ses passions littéraires. Tout en partageant volontiers d’autres sujets avec son épouse et leur amie commune. Et puis le silence avait débordé de la forêt. Bondissant par-dessus un dernier talus, il était même parvenu à s'insinuer dans la pièce… pour un instant… C'est alors que le poète avait brusquement éprouvé l'envie de montrer aux deux femmes, ce que sa main avait dessiné la veille de façon quasi automatique. Mais il s'était ravisé. Il s'était soudain rappelé ce moment, ou dans son atelier il avait saisi la feuille de papier vélin, et que se munissant aussi de l'étrange pierre tombée du ciel, tenant donc le dessin dans une main et la météorite dans l'autre, lorsqu'un fait absolument étrange s'était produit! Il avait d’abord ressenti quelque chose qui pouvait s’interpréter comme une sorte de fourmillement bizarre dans tout le corps. Et puis il eut clairement conscience qu'une énergie magnétique, autre que la sienne, avait entrepris de transiter par son être, se percevant alternativement. Un peu comme un courant électrique passant d'un pôle à l'autre. Alors que sa personne physique en fournissait l’intermédiaire utile au transit. Ou plus précisément: cela venait du dessin à la pierre et inversement. Les deux membres et le corps faisant office de processus catalyseur. Fortement intrigué, Lucien avait reposé la pierre et l'effet avait immédiatement cessé.

 

C'est un quartz actif, avait-il pensé...

 

Sur ce, il avait aussi reposé le dessin qu’il avait fait au crayon bleu. Puis il avait mis en mouvement un touret qu'il avait muni d'une brosse très dure. Pareille à celle qu’utilisent les ouvriers lapidaires pour polir les pierres fines.

Et ce qu'il avait obtenu après coup l'avait laissé pantois :

 

– Il s'agit bien d'un quartz! Avait repris tout haut Lucien, et pas n'importe lequel!

 

*

 

      Au lendemain de leur soirée amicale, lors d’une conversation à laquelle elle avait pris part, Colette se trouva fort émue lorsqu'elle apprit de son ami siégeant au conseil régional qu'il s'envisageait d'apporter une aide à des auteurs régionaux qui choisiraient la forêt ardennaise et ses légendes pour sujet de leurs écrits. Il avait ajouté que le projet pourrait même se recevoir l’appui conjoint des points d’accueil "syndicat d'initiative" de la région Champagne-Ardenne. En clair, mais à la condition qu'il soit choisi, cela permettrait à un auteur comme Lucien de déposer là quelques exemplaires de son livre. Son œuvre se voyant alors proposée à la vente sans avoir à subir aucun frais annexe. Et pour ajout de ces "petits bonheurs" qui font belle, sinon une vie, au moins une journée bien commencée, il se trouva que l'adage se confirma, lorsqu'elle en informa son amie Gladys, qui de son côté en parla à un bouquiniste de Charleville-Mézières, qui lui-même, en discuta avec un conseiller municipal de ses amis… Ce dernier, dûment contacté, invita Gladys à se rendre rapidement au bureau du conseil régional, afin d’y retirer de sa part le fameux dossier... accompagné d’un document permettant de solliciter une aide éventuelle. Ceci afin de couvrir tout ou partie des frais d’autoédition qu’il faut prévoir dans ce genre de choix libre…

 

Un autre soir, lorsque Colette et Lucien arrivèrent à proximité du bistrot, il purent voir une Gladys exaltée qui apposait le petit panneau "FERMÉ" à la porte du commerce. Et puis, lorsqu'ils furent entrés et qu'elle eut refermé derrière eux, elle introduisit un CD de musique celtique dans le lecteur qui l'avala aussitôt. Et sans attendre les premières sonorités de vielle, la jeune femme entraîna ses deux amis jusqu’à la cuisine où sur la table, trônaient de belles assiettes garnies de fromages et de cochonnailles. Il y avait aussi du bon cidre de pays...

 

– Mmm, avait émis Lucien: voilà un décor pour l’estomac qui me met les yeux en appétit! À moins que ce ne fût l'inverse! Il me semble que nous pourrions lui faire grand honneur et en réjouir nos papilles, avant que de faire succomber notre enthousiasme en assommant notre plaisir primesautier par des paperasses trop sérieuses.

– Si tu veux mon Lulu! Mais à la condition de ne pas faire péter trop de bouchons avant, car, c'est justement à propos de cette paperasse, que nous comptions sur ton aide, vu qu'il va falloir la renseigner avec soin! Précisèrent ensemble Colette et Gladys, avec la bouche en cœur.

– Soit, reconnu Lucien, mais sachez que tout acte administratif m'ennuie au plus haut point, alors débarrassons-nous rapidement de ce souci gâche-soirée. Et puis d’ajouter en plaisantant: d’ailleurs pour le faire au mieux, je vais demander de l'aide à la Dame Bleue…

 

À l’entendre prononcer ces mots inattendus, les deux amies s’aperçurent pourtant, en l'observant mieux, que le regard bleu de Lucien, loin d’être pétillant de malice, leur apparaissait soudain comme devenu chamanique. De plus, il leur sembla qu’un trait de lumière indéfinissable avait souligné la silhouette du poète, bien que n’ayant duré que l’espace d’un éclair. C’était au moment précis où il avait prononcé les mots désignant l'entité. Totalement ébahies, elles en tombèrent littéralement chacune de si haut, qu'elles s'en retrouvèrent respectivement affalées et interdites sur le siège le plus proche.

 

Lucien semblait s’être robotisé. Il s’approcha des documents étalés sur une autre table, celle-là étant libre de tous préparatifs de festin… Et puis il ouvrit le classeur qu'il avait apporté. Il en tira le dessin de la Dame bleue qu'il garda dans une main… Tandis que de l'autre, il sortait le quartz de sa poche.

 

Le reste arriva si vite que lui seul le vit!

 

Telle une fuyante décalcomanie, la matière première constituante du pastel avait glissé de son support de vélin. Puis cela avait effleuré les documents avant de regagner la feuille de papier...

Lucien avait aussitôt remis la pierre dans sa poche et rangé son précieux dessin dans le classeur.

 

– Voilà mesdames c'est fait...

 

Colette et Gladys hésitaient manifestement à s’arracher de la bienveillance matérielle de leur chaise. Sachant bien que les yeux de Lucien n’avaient pas même parcouru les papiers. Pourtant, la curiosité l’emporta sur le scepticisme des deux amies qui s’étant tout de même approchées, ne purent que se rendre à l’évidence: car le dossier de demande se voyait parfaitement renseigné. À l’encre bleue... et les mots étaient calligraphiés de si belle façon que n'importe qui, en les lisant, ne pouvait qu'en être séduit. Une belle écriture annonçant par avance le sérieux d’un travail littéraire et donc la proposition d’un manuscrit de qualité.

 

– Co..., comment as-tu fait cela? s’étonnèrent ensemble les deux femmes!

– C'est simple à comprendre répondit le poète en souriant: c'est le quartz... qui à travers moi, donne vie à l'entité de la Dame bleue qui se trouve représentée par le dessin qu’elle m’a elle-même inspiré...

– Alors, on peut se demander si ladite entité n’est pas intervenue auprès de quelques autres personnes aussi! Renvoya Colette qui, bien que doutant ouvertement de son propos, ne croiyait peut-être pas si bien dire…

 

 

 

 

 

 

 



17/03/2020
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